A Sloviansk, le bataillon Dnipro 1 se prépare à l’assaut russe

A Sloviansk, le bataillon Dnipro 1 se prépare à l’assaut russe

Voici le reportage que Philippe Lobjois, notre correspondant dans le Donbass, a réalisé pour Ouest-France en fin de semaine dernière dans la région de Sloviansk (les photos sont de François Thomas). Il a rencontré les hommes du bataillon Dnipro 1, qui rassemble un millier de combattants décidés à tenir face aux « orques » (les Russes, pour les Ukrainiens, en référence aux créatures maléfiques du Seigneur des Anneaux). 

 

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par Philippe Chapleau – Linges de défense – publié le 13 juin 2022

http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Sloviansk se prépare. La ville du Donbass sait qu’elle sera directement en première ligne si les Russes percent plus au nord les deux villes stratégiques de Sievierodonetsk et de Lyssistchank. « Après, il n’y a plus que 90 kilomètres pour arriver aux faubourgs de Sloviansk en ligne droite ».

 

YURI 007A7463.JPGDerrière son bureau, dans son PC quelque part dans la banlieue, Yuri Bereza sait de quoi il parle. L’homme est affable. « Ce sont les livres qui ont fait l’homme que je suis devenu« , dit il en souriant. Et de citer l’écrivain d’origine ukrainienne Mikhaïl Boulgakov et le Français Alexandre Dumas. En treillis, la barbe grisonnante, à 52 ans, cet ancien militaire est désormais en charge de la défense de la ville.

Ici, l’homme est tout sauf un inconnu. Entré à l’académie militaire de l’armée encore soviétique en 1987, il a grimpé les échelons et fini commandant en chef de la base de Kharkiv avant de quitter l’armée en 2003 pour se lancer dans les affaires avec succès.

En 2004, il rejoint le mouvement Euromaidan puis reprend du service en 2014 lors du début de la guerre dans le Donbass. Il crée alors un bataillon de défense territoriale issue de la police militaire qui prend le nom de Dnipro 1. Elu député à l’assemblée de Kiev, il se spécialise dans les questions militaires.

Aujourd’hui, il supervise les travaux de défense. Il faut « plus de tranchées, plus de poste d’observation, plus de champs de mines« . Sur l’écran de sa tablette, la zone apparait: « Sloviansk est stratégique car trois routes partent de la ville pour rentrer au cœur de l’Ukraine« , explique-t-il avant de rebondir sur la situation tactique. « Les Russes essaient de bouger depuis Izium au nord-ouest et de prendre Bakhmout au sud tout en poussant de Sievierodonetsk au nord. Pour l’instant, ils sont arrêtés par la nature et les fleuves, et en Ukraine, nos fleuves sont larges » dit-il en s’esclaffant.

Derrière lui, s’étale le drapeau de l’unité Dnipro 1. « C’est un secret pour personne; nous manquons de munitions d’artillerie et de transports de troupes. On est obligé de tenir mais sans avoir les moyens de lancer de contre-offensive. Mais notre moral est très haut » dit-il en levant le pouce en l’air. Puis il se reprend: « C’est une course contre la montre. Si les armes et munitions arrivent, nous pouvons les repousser, sinon nous nous accrocherons comme nous l’avons fait partout en Ukraine depuis trois mois ».

Dans la ville, l’eau n’est pas encore revenue et des 100 000 habitants, seule une petite vingtaine de mille sont encore là tandis que les coupures d’électricité se multiplient. « L’eau devrait revenir dans quelques jours, nous y travaillons. Les Russes visent les stations de pompages ou le réseau électrique qui les fait tourner. »

Et dans les deux mois qui viennent, qu’anticipe-t-il?  Yuri Bereza secoue la tête. « Ici nous pensons en jour. En semaines, c’est déjà du miracle, alors en mois… Avant quand nous tirions un coup de canon, les Russes en tiraient 50 ! Aujourd’hui cela a baissé, ils n’en tirent plus que 20… Il faut que nous arrivions à tirer un obus et que leur réplique ne soit plus que de cinq« ,  dit l’homme qui a servi dans trois armées,  d’abord soviétique, ensuite russe et aujourd’hui ukrainienne. 

« Nous savons qui nous combattons, nous avons reçu la même éducation militaire. On connait leur façon de combattre. Elle n’a pas changé depuis un siècle« . Et d’imiter la chaine de commandement russe en train de faire tourner de vieux téléphone de campagne. « Ils sont restés dans les années 80. Nous, nous avons évolué ». Et de poursuivre: « Ils ont les mêmes tactiques qu’autrefois. Bombarder, raser. Tout comme ils l’ont fait à Grozny, Alep ou Marioupol. Et envoyer des armées d’esclaves qui se feront tuer sur place. C’est ce qui se passe à Sievierodonetsk. Ils essaient de traverser la rivière en posant des pontons. Nous pilonnons mais ils reçoivent des ordres, donc ils recommencent, nous repilonnons. Ils meurent mais ils recommenceront le lendemain. Ils se moquent totalement des pertes humaines », dit il.

Dans son PC, grand comme un labyrinthe, des sacs de couchage, des armes et des gilet pare-éclat attendent leurs propriétaires. Au mur, sur un écran apparait une chouette tenant dans ses serres une obuys de mortier. « C’est l’emblème de notre unité de reconnaissance aérienne », explique un jeune homme bronzé. A 32 ans, Dmytro Podvorchanskyi dirige la recherche et l’innovation de l’unité. « Tout ce qui vient du civil et que nous pouvons adapter à nos besoins est bienvenu ». 

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Sur son patch d’épaule, un œil ouvert avec la devise « des yeux dans le ciel ». Ancien développeur dans une entreprise de Tech, il suit l’unité Dnipro 1 depuis le début de la guerre en 2014. 

Il fait défiler des images de la bataille de Roubijne, ville de 50 000 habitants au nord de Sloviansk assiégée de la mi-mars jusqu’à la mi-avril et qui est tombée aux mains des Russes. Tank russes explosés, militaires pillant des maisons, pile de cadavres russes sur le toit d’une maison…, le tout vu du ciel.

Dans une des pièces, un gros drone au cœur bleu attend son envol. « On dit que l’Ukraine est un pays agricole c’est vrai« , explique Dmytro avec un sourire en désignant l’objet volant. « Mais c’est aussi un pays de haute technologie. Ça, c’est un drone agricole utilisé par les fermiers pour semer les graines dans leurs champs. On l’a modifié. Maintenant il peut transporter au choix une roquette de 120 mm, ou 4 roquettes de RPG ou des grenades prêtent à exploser. C’est notre prochain cadeau pour les orques » (le surnom des Russes).

Dans la cour, des hommes se préparent à monter au front, pour une relève. 

Une vingtaine de kilomètres plus loin, au coeur de la forêt, dans un ancien relais champêtre transformé en poste de commandement, les « Dnipro 1 » sont là.

Long, émacié, Anton, le chef de section, a le regard fatigué des anciens alors qu’il n’a que 27 ans. C’est lui qui gère ce groupe de 40 hommes. Installé dans un sauna désaffecté, un poste de commandement et d’observation s’est organisé autour d’un écran d’ordinateur sur lequel un paysage de forêt apparait. La caméra vidéo montée en hauteur, quelque part dans la forêt, tourne à 360 degrés découvrant une montagne blanche au loin. « Les Russes sont juste derrière », précise Anton en désignant la masse claire.

A trois cent mètres du poste, les pièces de l’artillerie tirent quelques coups, sporadiquement. Des fumées blanches apparaissent sur l’écran, indiquant l’arrivée des tirs . « Maintenant avec trois écrans, deux téléphones et un talkie, nous pouvons contrôler le champs de bataille et guider les tirs et les troupes », lâche Dmytro, très fier.

A l’ombre des feuillus, les hommes étendent leur lessive au bruit du générateur et des tirs de départ des canons M777 flambant neuf envoyés par les Américains. « Les drone ne peuvent pas tout », continue Anton. « Ils ne peuvent pas voir distinctement les traces de véhicules dans l’herbe. Il faut continuer à envoyer de l’humain, des équipes de reconnaissance, à l’ancienne mais c’est une bonne alliance« .

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Des hommes rentrent de patrouille. Casquettes vissées sur la tête, lunettes de soleil, ils arborent un look de « contractors » américains. Tous sont d’anciens défenseurs de la ville de Roubijne.

A 47 ans Mikhael Korolyov était l’un d’eux, journaliste dans sa vie d’avant. Il sort son téléphone pour montrer des images de la défense. Des images puissantes. D’autres téléphones sortent des poches. Et grâce à ces « photos souvenir », la bataille se met à défiler sur petit écran. Sur l’une d’elles, un énorme nuage orange éclate dans le ciel bleu: « C’est l’usine chimique de la ville qui produisait de l’azote. Les Russes ont tiré dessus pour la faire exploser. Le nuage toxique a blessé beaucoup de nos hommes, avec des brûlures sur la peau et dans les yeux. »

 

mikhail007A7566.JPGD’autres images circulent: celles de visages hâves, fatigués, au milieu de ruines mais de combattants encore capables de se raconter des blagues entre deux attaques de tanks ou de faire encore des selfies.

« On a tenu un mois » dit Mikhael Korolyov, à la barbe grisonnante. « On s’est accroché jusqu’au bout, même quand tout était détruit. Puis on s’est retiré. » A Roubijne, ils ont connu le pire: « C’est là-bas que l’on a tout appris, à se cacher dans les ruines, à attendre même quand tout est détruit, à tenir. Roubijne, ça été notre baptême. Ici, on refera tout ce que l’on y a appris ».