Pourquoi le format des armées françaises ne correspond pas au contrat opérationnel présenté par le Ministre des Armées ?

Pourquoi le format des armées françaises ne correspond pas au contrat opérationnel présenté par le Ministre des Armées ?

Pourquoi le format des armées françaises ne correspond pas au contrat opérationnel présenté par le Ministre des Armées ?

Meta Défense – publié le

https://meta-defense.fr/2023/07/05/pourquoi-le-format-des-armees-francaises-ne-correspond-pas-au-contrat-operationnel-presente-par-le-ministre-des-armees/


Alors que la Commission Défense de l’Assemblée Nationale a amendé et validé le projet de Loi de Programmation Militaire 2024-2030, y ajoutant notamment l’obligation pour l’Etat de garantir les 13 Md€ de recettes exceptionnelles dans le plan de financement, le Ministre des Armées, en parti excédé par les nombreuses critiques sur le “manque d’ambitions” de cette LPM qui pourtant verra, et de beaucoup, la plus importante croissance budgétaire pour les Armées depuis 30 ans, a tenu a précisé quels étaient les objectifs visés, notamment en terme de contrat opérationnel.

C’est ainsi que dans un Tweet sur son compte, Sebastien Lecornu a tenu à détailler le contrat opérationnel principal confié aux 3 armées. Pour l’Armée de Terre, il s’agira d’être en mesure de déployer une division composée notamment de 2 brigades de combat, ainsi que l’ensemble des capacités de commandement pour encadrer un Corps d’Armée, conformément aux attributions de la France sur le front sud européen au sein de l’OTAN.

La Marine nationale, quant à elle, devra être mesure de déployer son groupe aéronaval organisé autour du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle puis de son successeur. Enfin, l’Armée de l’Air et de l’Espace, pour sa part, devra être en mesure de déployer une escadre composée notamment de 40 avions de combat.

Les objectifs ainsi définis semblent parfaitement en adéquation avec les engagements de la France notamment vis-à-vis de l’OTAN, et correspondent au positionnement de la France en tant qu’allié majeur et puissance d’équilibre tel qu’avancé par l’exécutif.

Toutefois, ils s’avèrent également très supérieurs à ceux qui ont permis de définir le format des armées françaises dans le cadre du Livre Blanc de 2013, alors que la LPM 2024-2030 reste basée, en de nombreux aspects, sur ce même format, et ce concernant les 3 armées.

Se pose donc la question de la cohérence entre la trajectoire définie par la LPM à venir, et le contrat opérationnel tel que présenté par le Ministre des Armées.

Armée de Terre : Déployer une division de 2 brigades

Les engagements concernant l’Armée de Terre française restent, peu ou prou, identiques à ce qu’ils étaient jusque là. En effet, la France assure déjà l’encadrement du front sud-européen de l’OTAN, et doit dès lors assumer non seulement le commandement d’un Corps d’Armée composé des divisions et brigades des forces locales et des alliés dédiés à ce front (comme la Belgique), mais également d’y contribuer à hauteur d’une division composée de 2 brigades de combat.

Pour y parvenir, l’Armée de Terre peut s’appuyer sur 6 brigades organiques réparties en 2 divisions. Selon les engagements français au sein de l’OTAN, celle-ci doit être en mesure de déployer une première brigade de combat en une semaine, ainsi qu’une seconde brigade à une échéance de 30 jours.

Pour y parvenir, les brigades françaises assurent une rotation opérationnelle, avec une brigade assurant l’alerte, comme ce fut le cas pour la brigade Serval déployée au Mali en 2013 sur des délais très courts. Une seconde brigade, qui elle est à l’entrainement, assure une alerte à 30 jours, alors qu’une troisième brigade est également à l’entrainement, pour pouvoir prendre à terme l’Alerte à son tour.

Les 3 dernières brigades sont au repos et à la régénération, en particulier après des déploiements, et participent également à d’autres déploiements en dehors du cadre de l’OTAN. Malheureusement, cette organisation s’avère plus théorique que pratique, et l’OTAN elle même considérait il y a peu encore, que l’Armée de Terre ne pouvait assurer que le déploiement d’une brigade renforcée à 30 jours, et éventuellement d’une seconde brigade à 90 jours.

Le fait est, pour assumer une telle posture opérationnelle, il serait nécessaire de créer 2 nouvelles brigades pour l’Armée de Terre, de sorte à disposer effectivement des moyens de rotations suffisants pour assumer le déploiement soutenu dans la durée de 2 brigades à la demande de l’OTAN (sans même parler d’engagement).

En outre, il convient de garder à l’esprit qu’une partie non négligeable des régiments français sont spécialisés, comme les unités d’infanterie de Marine pour l’assaut amphibie, les unités parachutistes pour l’aérocombat, et les troupes de montagnes.

Or, en intégrant ces unités dans la rotation des unités dédiées à l’OTAN, la France se priverait, de fait, d’une part non négligeable de ses moyens dits d’opportunités, alors même qu’en dépit de leur professionnalisme, ces unités ne sont pas les plus adaptées pour un engagement de type haute intensité en Europe centrale.

Enfin, une partie des moyens sensés assurer la rotation de la prise d’alerte, sont régulièrement déployés dans d’autres missions hors OTAN, notamment en Afrique. Dans ce contexte, il est probable que si l’Armée de Terre sera effectivement en mesure de déployer à la demande de l’OTAN 2 brigades à 30 jours sous couvert d’une réorganisation organique et opérationnelle dans les années à venir, elle sera dans l’incapacité de soutenir dans la durée un telle dispositif au delà de quelques semaines ou quelques mois.

Marine Nationale : Déployer un groupe aéronaval

La situation n’est pas très différente pour la Marine Nationale. En effet, avec un unique porte-avions, celle-ci ne peut garantir la mise en œuvre d’un groupe aéronaval qu’à hauteur de 40 à 50% du temps, et ce en considérant que le Charles de Gaulle, les flottilles de l’aéronautique navale armant son groupe aérien embarqué et le SNA assurant sa protection sous-marine, assument à plein temps cette seule posture d’alerte, sans aller participer à une quelconque autre opération militaire venant éroder leur potentiel d’utilisation.

La situation est différente concernant les frégates et destroyers d’escorte, ainsi que les navires logistiques, ceux-ci pouvant être fournis par les alliés de l’OTAN. En revanche, concernant ces capacités précises, seule la Marine Nationale dispose effectivement des capacités concernées en Europe.

Par ailleurs, une posture comme celle-ci viendra très probablement handicaper les autres moyens de la Marine Nationale, notamment son groupe d’assaut amphibie, celui-ci ne disposant pas de la même priorisation de moyens que le groupe aéronaval.

Pour assumer une capacité de réponse à hauteur de 80%, il serait donc indispensable de doter la Marine Nationale d’un second groupe aéronaval, c’est à dire un porte-avions ainsi qu’une vingtaine de chasseurs embarqués supplémentaires, comme c’était le cas dans les années 70 et 80 avec les porte-avions Foch et Clémenceau, ainsi que deux flottilles de chasse supplémentaires.

Bien évidemment, dans le cadre de l’OTAN, cette limite est prise en compte, et assumée conjointement par l’alliance avec la rotation des moyens européens, notamment les deux porte-avions britanniques HMS Queen Elizabeth et HMS Prince of Wales, les deux porte-aéronefs italiens Cavour et Trieste, et le porte-aéronefs espagnol Juan Carlos I.

Toutefois, la prise d’alerte effectuée par le Charles de Gaulle dans ce cadre, va consommer la presque totalité du potentiel opérationnel du navire et de son groupe aérien embarqué, ne laissant presque aucune latitude à la France d’employer ces moyens pourtant exceptionnels en dehors de ce cadre stricte.

Armée de l’Air et de l’Espace : Déployer une escadre de 40 chasseurs

Si l’Armée de Terre et la Marine Nationale vont rencontrer d’immenses difficultés pour soutenir le contrat opérationnel défini par Sebastien Lecornu au delà d’un déploiement initial déjà sous conditions, les objectifs assignés à l’Armée de l’Air et de l’espace, quant à eux, semblent inaccessibles même en première intention.

Rappelons en effet que la LPM 2024-2030 entérine un format à 185 avions de chasse pour cette force, avec le retrait programmé des Mirage 2000-5 et d’une partie des Mirage 2000D, et une trajectoire ne permettant pas de maintenir le format actuel de 210 appareils par la livraison de Rafale B et C.

Or, ce format de 185 chasseur, avait été défini dans le Livre Blanc Défense de 2013, de sorte à garantir la posture de la composante aérienne de la dissuasion forte de deux escadrilles, la permanence opérationnelle pour assurer la protection du ciel français, la maintenance et la modernisation des aéronefs, ainsi que l’entraînement des équipages, tout en garantissant la possibilité à l’État-major de déployer de manière soutenue dans le temps, 15 chasseurs en opérations extérieures.

En effet, la maintenance et les phases de modernisation immobilisent en moyenne un tiers du parc de sorte à maintenir les performances de la flotte et de régénérer son potentiel de vol, alors que les appareils déployés en opération extérieure tendent à consommer leur potentiel 3 fois plus rapidement que les appareils employés pour l’entrainement et la formation.

Ceci posé, l’objectif de déployer 40 avions de combat à la demande de l’OTAN, semble parfaitement inaccessible à l’Armée de l’Air et de l’Espace, qui devrait dès lors non seulement stopper toutes les missions non indispensables, notamment de formation et l’entraînement des équipages, mais également employer pour ce déploiement des appareils au potentiel de vol partiellement consommé, et donc ne disposer d’une flotte n’ayant qu’un potentiel moitié moins élevé que celui des appareils déployés en Opex jusque là.

En outre, le potentiel de rotation des appareils, notamment ceux ayant consommé le précieux potentiel de vol, restera identique à précédemment, c’est à dire à hauteur de 15 appareils tous les 4 mois.

Dit autrement, en déployant 40 appareils à la demande, l’Armée de l’Air ne pourra assumer un tel format que 2 mois pour une activité comparable à celle constatée en opération extérieure, et ce sans prendre en considération la réalité d’une utilisation opérationnelle au combat face à un adversaire comme la Russie.

Conclusion

On le voit, il existe une grande différence entre le contrat opérationnel présenté par Sebastien Lecornu, et la réalité de ce que les Armées françaises seront en mesure de soutenir au delà d’un premier déploiement, par ailleurs probablement optimiste.

Pour respecter ces engagements, il serait probablement nécessaire à l’Armée de Terre de se doter de 2 ou 3 brigades supplémentaires, idéalement mécanisées et spécialisées pour un emploi dans un engagement de haute intensité; à la Marine de constituer un second groupe aéronaval et notamment de se doter d’un second porte-avions; et à l’Armée de l’Air et de l’Espace de disposer d’au mois 260 à 280 avions de chasse, ou éventuellement de 220 avions de chasse et 60 à 80 drones de combat.

Reste qu’au delà des questions budgétaires pour atteindre un tel format des armées, qui nécessiterait entre 2,6 et 2,7% de PIB dédiés à l’effort de défense chaque année, il serait également nécessaire d’augmenter les effectifs des armées de 15 à 20%, ce qui est loin d’être une tache facile, certains pourraient même la juger impossible à atteindre en dehors d’un effort planifié sur 15 à 20 ans pour y parvenir.

Pour autant, tout indique que les objectifs présentés par le Ministre des Armées ne reflètent pas la réalité des capacités opérationnelles des armées françaises en devenir, et ce en dépit de l’effort consenti par la prochaine Loi de Programmation Militaire. La question est donc de savoir quel sera l’objectif prioritaire pour la France, entre respecter ses engagements en matière de défense, et produire les efforts nécessaires, et probablement douloureux, pour y parvenir ?