Armée : Forces spéciales, à haute dose et à haut risque, sur tous les points chauds
« La mort comme hypothèse de travail. » C’est le sous-titre d’un livre d’un ancien colonel de l’infanterie de marine et historien, Michel Goya (Sous le Feu, éditions Taillandier, 2015). « On vit avec ça, en permanence », nous rétorque un gaillard cagoulé du commando Hubert de la Marine, la reine des unités d’élite des forces spéciales de l’armée française, les nageurs de combat.
Un mois plus tôt, dans la nuit du 9 au 10 mai au Burkina Faso, deux de leurs camarades d’« Hubert », les premiers maîtres (l’équivalent d’adjudant) Cédric de Pierrepont (33 ans) et Alain Bertoncello (28 ans) sont morts lors d’une opération qui a permis la libération de quatre otages, dont deux Français. « L’état militaire exige en toutes circonstances l’esprit de sacrifice pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême », pose dans son article 1 le statut général des militaires de 2005.
« Pas de problème pour en parler, ajoute l’officier marinier. Nous sommes un petit groupe. On vit et on s’entraîne tellement ensemble qu’on se connaît tous très bien. Nous sommes toujours en première ligne, constamment, alors, on déguste. Vous savez, on a aussi beaucoup de blessés. »
On rencontre à Pau ces hommes rares, rompus à l’action sur tous les théâtres d’opérations extérieures où la France est engagée. Le commandement palois des forces spéciales terre et la base du 4e régiment d’hélicoptères des forces spéciales se nomment Quartier Chef de bataillon Damien-Boiteux, du nom du pilote de Gazelle du 4e RHFS, tué le 11 janvier 2013, au premier jour de l’opération Serval au Mali. Les soldats des « FS » sont exposés. Sur les 25 morts dans la bande sahélo-saharienne depuis 2013, sept appartenaient à la Task Force Sabre des forces spéciales (28 %).
800 en opérations en permanence
Ils sont devenus indispensables, parfois suremployés malgré l’augmentation des effectifs, passés en quelques années de 3 000 à 4 000 opérateurs, dont 800 engagés en permanence. Un rapport du Sénat de 2014 explique la vogue des forces spéciales : « Elles sont parfaitement adaptées aux formes d’engagement modernes. » Face à un ennemi mobile, fugace, au faible nombre, qui utilise le terrorisme comme moyen d’action, « l’outil forces spéciales permet d’imposer son propre tempo à la guerre ».
À l’épreuve du feu, Michel Goya évoque « des hommes ordinaires qui peuvent faire des choses extraordinaires ». « Pour être et durer au 1er RPIMa (régiment parachutiste d’infanterie de marine), il faut que le métier devienne une passion, et très vite, sinon, vous ne tiendrez pas, nous indique un sous-officier, depuis 20 ans au fameux régiment bayonnais. Ce n’est pas un simple boulot pour gagner sa vie à la fin du mois. Parfois, on prend des risques. On sait que ça peut mal se dérouler. Alors, on passe énormément de temps à l’entraînement, de nuit, dans des conditions extrêmes. C’est ce qui nous permet de sortir du lot. »
Un chuteur du CPA10 (air), deux tireurs d’élite du 1er RPIMa (terre) et du commando de Penfentenyo (marine) utilisent les mêmes termes pour décrire leur étrange métier. Comme s’ils avaient besoin de se rassurer : « On n’est pas des cow-boys. Le Rambo n’existe pas chez nous. Au contraire, il pourrait mettre tout le monde en danger. Notre force, c’est de travailler ensemble. »
Un opérateur du 1er RPIMa concède une contrainte, une faille : « On en parle très peu à la famille. C’est difficile de partager un travail pareil, surtout quand on revient et qu’il faut se remettre à vivre normalement. »
« Course-poursuite à plus de 120 km/h dans les dunes »
Les opérateurs de forces spéciales sont voués à vivre dans l’anonymat, loin des médias, à garder pour eux les modalités de leurs interventions, leurs actions glorieuses comme leurs peines. Fait rare, la ministre des Armées, Florence Parly, a conté, le 13 juin à Pau, devant une bonne centaine de « FS » une opération qui s’est déroulée à Bou Djebeha, dans l’immensité du désert, à 200 km au nord de Tombouctou au Mali fin février.
La neutralisation de l’émir de Tombouctou
Façon récit épique, « à 13 h 13 zoulou, le soleil brûle le désert lorsque les hélicoptères français décollent ». Le rédacteur du discours de la ministre s’est fait plaisir mais il illustre les circonstances de la neutralisation (la mort) d’une « HVT » (High Value Target, cible de haute valeur), Djamel Okacha, alias Yahia Abou-El-Hammam, alias l’émir de Tombouctou. C’est une prise majeure pour l’opération Barkhane. L’individu était le numéro deux du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), commandé par le chef touareg Iyad Ag Ghali et affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Les drones et les hélicoptères sont en limite d’autonomie à la poursuite de pick-up. Au sol « s’engage une course-poursuite épique à plus de 120 km/h dans les dunes ». Les deux premiers véhicules se rendent après des tirs de sommation. Forcés de quitter les hélicos à sec, les commandos empruntent un des pick-up des terroristes pour en traquer un autre, celui d’El-Hammam. L’autonomie de décision et l’improvisation opérationnelles, issues de l’entraînement forcené et de la cohésion des groupes de combat, sont la marque de fabrique des forces spéciales.
Un autre commando finit par prendre le relais. Les terroristes ouvrent le feu. Ils sont neutralisés. « Un chef-d’œuvre d’opiniâtreté, d’audace et de savoir-faire qui nous vaudra l’admiration des spécialistes étrangers », décrit Florence Parly qui avoue : « Ce genre d’opérations exceptionnelles, je dois le reconnaître, est devenu le quotidien du ministère des Armées. »
Dans ce même discours inattendu, Mme Parly évoque aussi « la neutralisation d’importantes figures de Daech, à Kirkourk et ailleurs ». Les forces spéciales sont sur tous les fronts au nom de la France, au Sahel comme au Levant, et nous n’en saurons pas plus.