BIA 23, acte de naissance d’une première brigade interarmes SCORPION

BIA 23, acte de naissance d’une première brigade interarmes SCORPION

– Forces Opérations Blog – publié le

Une nouvelle page de l’ère SCORPION est en cours d’écriture dans les grands camps de Champagne, terrain choisi par l’armée de Terre pour déployer une première brigade interarmes entièrement numérisée et apte à la projection.

La 6e BLB, première brigade « scorpionisée »

Après le groupement tactique interarmes (GTIA) en 2020, l’heure est venue pour une première brigade interarmes de valider son entrée dans la bulle SCORPION, programme clé de renouvellement du segment médian de l’armée de Terre. Depuis dix jours, quelque 3700 militaires français et belges et 500 véhicules sont à pied d’oeuvre pour l’exercice technico-opérationnel (EXTO) BIA 23. L’engagement est à la hauteur de l’enjeu, exceptionnel. 

BIA 23 répond à plusieurs objectifs. Déployer une BIA-S entièrement équipée de ses matériels et systèmes d’information de nouvelle génération, mais aussi tester la connectivité de la chaîne de commandement de bout en bout et observer simultanément l’application de la doctrine SCORPION. Une triple mission dont le succès repose en grande partie sur les 2200 combattants d’une 6e brigade légère blindée qui, après quatre années de transformation, « est la brigade de l’armée de Terre la plus avancée en matière de numérisation », se félicite son commandant depuis cet été, le général Valentin Seiler.  

Marsouins, bigors, sapeurs et cavaliers légionnaires ainsi qu’un sous-groupement tactique interarmes (SGTIA) belge affrontent depuis une semaine une brigade mécanisée de taille et de capacités identiques. Les trois GTIA armés par les 1er REC, 2e REI et 21e RIMa et leurs appuis « jouent un combat simulé face à un ennemi qui est assez réaliste car joué sur le terrain et doté de capacités d’artillerie et de renseignement », souligne le général Seiler. 

BIA 23 engage environ 400 « mobiles » connectés grâce au système d’information du combat SCORPION (SICS), dont une centaine de Griffon et 13 Jaguar. Autant de véhicules et de fantassins débarqués partageant les données – une position, une cible, un ordre, un contre-ordre – qui permettent de jouer la montée en charge du système et d’en évaluer les performances.

Si l’action se veut réaliste, le contrôle ne vise cette fois pas les unités mais les équipements, leur appropriation par les différents échelons hiérarchiques et la cohérence d’ensemble. La tactique devient pour l’occasion un support pour l’expérimentation, conduite sur base d’actions successives prédéfinies. « La force adverse est fortement dirigée, l’objectif étant de faire en sorte que les mobiles se rencontrent dans des conditions certes un peu prévues mais nécessaires pour l’expérimentation », note le général Seiler.

Connectivité et infovalorisation

« Celui qui gagne, c’est celui qui décide plus vite », rappelle un officier supérieur. C’est en partant de ce constat qu’ont été pensés le système d’information du combat SCORPION (SICS) et la radio CONTACT. Le premier apporte l’infovalorisation caractéristique du combat de demain, le second la connectivité nécessaire pour garantir un débit suffisant et résilient.

Infovalorisation et connectivité, deux termes « barbares » au cœur de la logique SCORPION mais dont la combinaison doit garantir « d’augmenter les élongations, de combattre plus loin, de mieux comprendre dans la profondeur ce que veut faire notre ennemi et de mieux saisir les opportunités ». Et, in fine, d’accélérer la boucle décisionnelle et de prendre l’ennemi de vitesse. 

Une dizaine de technologies sont déployées à cette fin dans la plaine champenoise. Hormis SICS et CONTACT, ce sont des Griffon VOA, des Griffon dotés d’une station de liaison satellitaire Syracuse IV « on-the-move », des briques de cybersécurité et, surtout, un nouveau système d’information des armées commandement et contrôle (SIA C2) opéré pour la première fois. Des outils réceptionnés entre avril et juin par la Section technique de l’armée de Terre (STAT) puis testés à petite échelle en vue du rendez-vous majeur de fin d’année.

Véritable pont entre la brigade et les échelons supérieurs, SIA C2 dépassera le seul cadre terrestre pour intégrer toutes les armées françaises. Et, plus tard, porter le maillage au niveau interarmées en succédant, par exemple, au FrOpS (French Operational network up to Secret level) propre au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO). BIA 23 met également à l’épreuve la version 1.2 du SICS, évolution amenant l’interopérabilité avec le SIA C2 ainsi que l’amélioration de fonctionnalités existantes.

BIA 23, un exercice pour éprouver le « système nerveux » de SCORPION (Crédits image : armée de Terre)

Quant à CONTACT, celle-ci n’est présente que partiellement et la manoeuvre implique encore des postes PR4G d’ancienne génération. Un panachage qui n’a rien d’une surprise car l’hybridité restera la norme le temps que la transition entre passé et futur s’achève dans le courant de la prochaine décennie. « Nous en tirons quand même des bénéfices », pointe le lieutenant-colonel Lionel, de la STAT. La compatibilité entre systèmes est acquise et, si elle se traduit par une sous-utilisation de CONTACT, c’est aussi un avant-goût des capacités que la technologie produite par Thales sera en mesure de fournir une fois totalement .

Du fait de ces outils de nouvelle génération, la profondeur fuseau s’étend. Ainsi, la 6e BLB est déployée sur environ 120 km, « ce qui est presque le double des standards habituels d’une brigade occidentale ». « Cela crée de la friction et nous pose d’autres problèmes de logistique et de liaison, mais c’est justement ce que nous cherchons à réaliser grâce à notre numérisation : allonger, élargir notre espace de combat », explique un officier du centre opérationnel (CO) de brigade.

Préparé depuis deux ans, BIA 23 est unique en son genre et cette particularité se ressent dès l’entrée dans ce CO. Pour l’occasion, celui-ci est non seulement fixe et sous tente plutôt que mobile et sous blindage, mais aussi huit à dix fois plus grand qu’en temps normal. Une ampleur indispensable pour tester « la mise en charge » des systèmes d’information et, accessoirement, accueillir les quelque 80 personnels de la STAT chargés de « prendre des mesures avec les industriels » et d’appuyer les unités combattantes dans leur appropriation. Il héberge également des spécialistes civils pour « régler in situ un certain nombre de difficultés techniques ou d’imprévus auxquels nous faisons face et qui sont inhérents à la mise en oeuvre de nouveaux systèmes complexes ».

Enseignements à chaud et défis à venir

Si l’armée de Terre travaille depuis longtemps sur sa numérisation et se trouve même en avance par rapport aux grandes nations, BIA 23 amène son lot de défis et d’enseignements pour d’éventuels rééquilibrages et évolutions. « La brigade, et c’est là l’une des difficultés, est à cheval entre un échelon opératif où l’on a un peu plus de temps et le combat du régiment qui se trouve dans l’action immédiate », rappelle le lieutenant-colonel Lionel.

Exit la seule phonie, l’information revêt de nombreuses formes dont certaines plus massives que d’autres. « Cela nécessite de disposer de débits importants parce que la masse qui circule est importante », observe le général Seiler. Les premiers jours d’exercice se sont avérés relativement fluides pour la boucle décisionnelle. La montée en charge se veut progressive et se renforcera parallèlement à l’appropriation des utilisateurs pour parvenir au niveau optimal en fin de manoeuvre. « C’est satisfaisant, mais nous avons encore quelques marches à franchir », estimait le chef du détachement de la STAT après 36h de combats. 

« Ces systèmes d’information, ce sont en quelque sorte le système nerveux d’un corps. Si ce système nerveux tombe, c’est la paralysie générale de votre force, donc vous êtes morts », complète le général Seiler. Les problématiques de robustesse, de résilience de la chaîne de commandement sont pour lui « très, très claires ». « Les questions de cyberdéfense nous concernent directement, même si nous oeuvrons dans des échelons tactiques assez bas », ajoute-t-il. 

Pour le commandant de la 6e BLB, il s’agit d’avoir « en permanence à l’esprit, dans le système de commandement que je dois bâtir pour l’avenir, de répondre à deux impératifs très importants. Il faut que mon système de commandement soit d’un côté agile, et de l’autre côté endurant. Agile pour me permettre de comprendre la situation tactique, de prendre des décision, de donner des ordre et ensuite en contrôler l’exécution. (…) L’endurance répond quant à elle à l’impératif de survivabilité, ce qui implique qu’il soit petitement dimensionné, sous blindage, capable de se prémunir des frappes adverses et de se maintenir sur le terrain dans des conditions dégradées ». 

« Un poste de commandement, au 21e siècle, est une cible à très haute valeur ajoutée. Il est de plus en plus facilement détectable, notamment de par son émission électromagnétique ». Dans sa configuration adoptée pour BIA 23, le PC de brigade aurait un taux de survivabilité très faible. « Il faut que l’on trouve le bon compromis entre la performance du PC et sa survivabilité au combat », indique le général Seiler.

Les enseignements issus de l’EXTO BIA 23 seront précieux pour poursuivre la numérisation des autres brigades de l’armée de Terre. Ils le seront tout autant pour la Belgique, dont la Composante Terre mise depuis maintenant cinq ans sur SCORPION pour se moderniser et parvenir à l’interopérabilité native avec son homologue française. Ses Griffon et Jaguar lui seront livrés à compter de 2025 et 2027, de quoi parvenir à un premier SGTIA belge scorpionisé en 2027 et à une BIA-S en 2030. 

BIA 23 monte à peine en puissance que l’avenir s’y écrit déjà. Un petit état-major divisionnaire y est engagé afin de progresser sur le prochain grand jalon, celui d’une division SCORPION pleinement opérationnelle. L’enjeu, fixé pour 2027 dans la nouvelle loi de programmation militaire, exigera de repousser les limites actuelles pour porter la connectivité et l’infovalorisation à l’échelon supérieur. « À chaque fois que l’on monte d’un cran, la difficulté augmente. Parce que l’on agrège plus de forces, parce que le volume de données augmentent. Nous serons sur d’autres défis en 2027, dont celui du traitement de l’information », entrevoit le commandant de la 6e BLB. 

Explosion, protection et convergence des données obligent, le niveau divisionnaire s’accompagne de nouvelles réflexions portant sur le recours à l’intelligence artificielle et aux clouds de combat susceptibles de remplacer des serveurs physiques vulnérables. Ce volet global de protection des liaison de données et des informations, « c’est l’un des enjeux qui est encore devant nous. (…) Nous avons encore beaucoup de travail, mais la dynamique est bonne », conclut le général Seiler. 

Crédits images : armée de Terre