Bilan et perspectives de l’opération Barkhane

Bilan et perspectives de l’opération Barkhane

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées – Jeudi 18 juin 2020

Saut de ligne
Saut de ligne


La France est intervenue à la demande du président malien Diacounda Traoré au Mali en janvier 2013 pour stopper les groupes terroristes et les empêcher de prendre la capitale, Bamako. L’opération Serval, qui fut un succès, a pris fin en juillet 2014 pour laisser place à une opération d’une tout autre envergure : Barkhane. Nous avions besoin d’une approche régionale pour prévenir la formation de sanctuaires terroristes. C’était aussi un geste de solidarité envers des pays amis.

Nous réaffirmons avec nos partenaires sahéliens notre volonté de poursuivre ensemble la lutte contre le terrorisme et de mobiliser davantage la communauté internationale. Le sommet de Pau a été un moment refondateur de notre engagement au Sahel. Les quatre objectifs de notre action ont été clairement formalisés : combattre la menace terroriste dans la région ; former et équiper les armées nationales ; favoriser le retour des services de l’État ; soutenir le développement des pays concernés.

Notre ennemi est bien identifié : des groupes terroristes affiliés à Daesh et Al-Qaïda qui sévissent au Sahel. Le sommet de Pau a permis de clarifier les objectifs de notre présence sur le terrain, de remobiliser nos partenaires sahéliens et d’internationaliser notre action. La coordination et la coopération de la communauté internationale sont devenues la pierre angulaire de notre engagement. L’impulsion donnée à Pau a pris corps avec la coalition pour le Sahel, que les pays du G5 Sahel et l’Union européenne ont lancée officiellement le 28 mars dernier. C’est un outil de rationalisation pour mieux coordonner et faire converger nos efforts, afin de permettre de stabiliser la région.
Les pays du G5 Sahel ont redoublé d’engagement au cours de ces derniers mois. Les deux réunions ministérielles que nous avons tenues le 12 juin dernier avec Jean-Yves Le Drian ont permis de confirmer que nous avancions dans le bon sens.

Les Européens continuent aussi de se mobiliser. Nous avons eu plusieurs bonnes nouvelles. Les Britanniques ont renouvelé l’engagement de leurs hélicoptères Chinook au profit de l’opération Barkhane. Le mandat de la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM Mali), a été renforcé. L’Allemagne et l’Espagne ont annoncé une hausse significative de leur contribution.
Les efforts engagés par les forces armées des pays du G5 Sahel, par la force Barkhane et par la Minusma et l’action déterminante d’autres partenaires internationaux ont permis de priver les groupes armés terroristes d’un ancrage territorial solide.

Nous avons décidé de concentrer nos efforts dans la zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, que l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) tente de contrôler. La coordination et le partage d’informations entre les différentes forces ont connu des améliorations significatives, avec la création du mécanisme de commandement conjoint. Comme nous communiquons mieux, nous agissons mieux ensemble sur le terrain.L’opération Sama, qui a été menée par la force conjointe, obtient des succès tangibles. Conjuguée aux opérations Monclar et Malvern, menées par Barkhane, et à celle des forces armées nigériennes, elle a permis de réduire les capacités logistiques et combattantes des katibas de l’EIGS dans la région des trois frontières. Les ordinateurs saisis ont permis de collecter des informations et, in fine, de mettre hors de combat des centaines de terroristes. Nous avons collectivement pris l’ascendant sur l’ennemi. Nous l’avons significativement entravé, grâce à une présence quasi permanente sur le terrain, ainsi qu’à la réactivité et la mobilité de nos forces. Nous n’aurions pas pu le faire sans l’engagement exceptionnel de nos soldats et des partenaires, qui risquent leur vie chaque jour pour nous défendre. Je veux à nouveau saluer la mémoire de ceux qui sont tombés. Nous ne les oublions pas.

Les zones de Labbezanga et Tiloa ont été reprises aux terroristes. L’État fait progressivement son retour. Mais une action des terroristes pourrait saper les efforts en matière de sécurité, qui portent leurs fruits. Nous avons tout de même des signaux faibles que la mobilisation fonctionne. À Kidal, un bataillon de l’armée malienne reconstituée finalise sa montée en puissance. Il témoigne du retour progressif de l’État malien dans cette zone historiquement instable. C’était l’un des engagements du Mali à Pau. Il a été tenu.
Parallèlement, nos forces maintiennent la pression sur les terroristes, notamment avec des actions menées au sol. Nous avons effectivement neutralisé le chef d’AQMI, Abdelmalek Droukdal, grâce à une intervention audacieuse qui n’aurait jamais pu se produire sans le renseignement que les États-Unis nous ont fourni. Nous sommes sur la bonne voie, mais il est encore trop tôt pour crier victoire. Les forces locales progressent, mais elles restent fragiles et sujettes à des revers significatifs. Mais, en de nombreux endroits, la population commence à reprendre confiance, et elle nous donne plus facilement des renseignements.

Pour autant, l’EIGS, qui n’a pas disparu de la région des trois frontières, peut encore porter des coups violents. Le Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RIVM) se renforce, Boko Haram est toujours actif au Niger et au Tchad, les conflits intercommunautaires sont en recrudescence, la menace ressurgit dans le Sud libyen et la crise sanitaire aura des effets sur l’ensemble des acteurs locaux et internationaux.

Cela étant, chaque pas vers un peu plus de stabilité est bon à prendre. L’état d’esprit et la qualité de la coopération avec lesquels nous avançons sont déjà une victoire. Mais tant que les partenaires des pays sahéliens n’auront pas pris le relais et que les groupes armés pourront recruter parmi les populations locales, le terrorisme n’aura pas été vaincu.

La task force Takuba a été officiellement lancée le 27 mars dernier. Plusieurs détachements de militaires issus de forces spéciales de pays européens seront placés sous le commandement de Barkhane. Leur mission sera de compléter la formation tactique des forces armées locales et de les accompagner au combat. Dès juillet, le déploiement de la mission débutera avec des militaires estoniens et français, pour monter progressivement en puissance jusqu’au début de l’année 2021. Au-delà des partenaires déjà impliqués au sein de Takuba, le large soutien politique dont cette initiative bénéficie illustre l’esprit collectif qui nous anime.

Malgré le Covid-19, nous sommes au rendez-vous des objectifs fixés au sommet de Pau. Mais restons prudents. Ce n’est pas le moment de faiblir. Gardons à l’esprit que l’action de nos armées vise à permettre aux forces des pays du G5 de prendre à leur charge la protection de leur population et de favoriser le retour de l’État. Notre rôle est de faciliter cette appropriation en continuant d’affaiblir les terroristes et en renforçant notre effort d’accompagnement aux côtés des forces du G5 Sahel. Je vois se dessiner trois lignes d’actions militaires majeures pour l’année à venir : la poursuite de l’internationalisation de l’engagement militaire, avec en particulier la montée en puissance de Takuba, qui sera une sorte de laboratoire opérationnel au profit des forces du G5 Sahel ; la poursuite de la montée en puissance de la force conjointe du G5 Sahel, grâce à plus de coordination et de coopération opérationnelle ; le développement de notre coopération structurelle avec les forces armées locales pour faire de leur résilience une réalité. Ces objectifs sont à notre portée. Mais ils dépendent d’une condition absolue : le strict respect du droit international humanitaire. Il y a des brebis galeuses partout.

J’ai rappelé à tous mes homologues sahéliens que la France ne tolérera pas qu’on expose la vie de ses soldats, son image et sa crédibilité. Ce message est parfaitement compris. Le ministre malien de la défense a condamné les exactions sans la moindre ambiguïté. Il s’implique pour que des enquêtes soient conduites rapidement et que les coupables soient sanctionnés avec la plus grande fermeté.

Nous avons aussi convenu que les missions d’EUTM Mali, dont certaines avaient été suspendues en raison de la crise sanitaire, devaient reprendre au plus vite. Elles comprennent un volet de formation au droit international humanitaire.

Ces sujets seront au coeur du sommet de Nouakchott, qui se tiendra dans quinze jours et qui devra fixer le cap pour la fin de l’année 2020.

Des progrès importants ont été réalisés, en particulier dans la zone des trois frontières, où l’EIGS est désormais significativement entravé. Il n’a plus les moyens de mener des attaques graves, ce qui ne veut pas dire qu’il est tout à fait neutralisé. Nos partenaires maliens et nigériens progressent. Nous devons nous féliciter que le commandant de la force conjointe du G5 Sahel soit aussi actif, aussi résolument engagé et qu’il obtienne de très bons résultats militaires et diplomatiques. Des difficultés avaient surgi après l’attaque du PC de la force conjointe du G5 Sahel à Sévaré et le général Namata, par sa ténacité, a obtenu un PC à Bamako, lieu évidemment essentiel pour le bon fonctionnement de la force, au-delà du mécanisme de coordination institué à Niamey pour la zone des trois frontières. La situation sécuritaire s’améliore même si elle n’est pas stabilisée et reste profondément fragile.

J’ai insisté sur l’engagement des pays de la région. On parle moins des autres partenaires. Nos échanges avec l’Algérie sont denses, en particulier sur l’évaluation de la situation sécuritaire et la mise en oeuvre de l’accord de paix et de réconciliation signé à Alger en 2015. L’Algérie est par construction un acteur important du processus de paix malien et a vocation à le devenir plus encore.

Vous avez émis un doute sur l’engagement du Tchad. Je pense que vous visez la lenteur avec laquelle le bataillon tchadien se déploie sur le fuseau Centre. Le Tchad, par sa position géographique, a naturellement vocation à intervenir sur le fuseau Est du G5 Sahel, mais à Pau, le président tchadien s’était engagé à déployer un bataillon sur le fuseau central pour appuyer les efforts fournis dans la zone des trois frontières. Ce déploiement a été retardé parce que ce bataillon, bien que formé et équipé par les forces françaises, a été engagé dans la zone du lac Tchad pour participer à l’opération Colère de Bohoma contre Boko Haram. Avec Jean-Yves Le Drian, nous avons rappelé la nécessité d’un déploiement rapide du bataillon comme prévu dans la zone des trois frontières, même si le ministre tchadien n’a pas manqué, lui, de rappeler l’état de la menace dans la zone du lac Tchad et l’inquiétude réelle que Boko Haram continue de susciter. Les questions pratiques ne doivent absolument pas faire obstacle à ce redéploiement rapide et j’ai réitéré la disponibilité de la France à faciliter son transfert vers le fuseau Centre. Je ne désespère pas que ce bataillon soit déployé là où c’est prévu.

Je n’insiste pas sur le caractère absolument décisif du soutien américain à Barkhane. Les événements récents du 3 juin et la neutralisation de Droukdal l’ont une fois de plus montré. Je vous avais rendu compte de mes échanges avec mon collègue Esper à Washington en janvier. Ils continuent. Nous avons gagné du temps puisque nous sommes en juin et que ces moyens sont toujours disponibles et n’ont pas été comptés.

Néanmoins, les États-Unis changent d’année budgétaire en octobre. C’est une échéance. Nous continuons le dialogue et espérons que les moyens d’observation par drone, cruciaux, ne seront pas remis en cause. Je n’ai malheureusement pas d’autres informations à vous fournir aujourd’hui. Les orientations du président Trump sont toujours d’actualité, c’est pourquoi il faut poursuivre le dialogue.