Covid-19 : Pour le Sénat, la Chine prépare la « reconfiguration du paysage géopolitique de l’après-crise »
Dans un entretien donné au Financial Times, le président Macron n’a pas caché ses interrogations au sujet de l’apparition du Covid-19 en Chine ainsi que sur la manière dont les autorités chinoises ont géré l’épidémie.
Il y a « manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas », a dit M. Macron. « N’ayons pas une espèce de naïveté qui consiste à dire que [la gestion de l’épidémie par la Chine, ndlr], c’est beaucoup plus fort. On ne sait pas. Et même, il y a manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas », a-t-il insisté.
Les doutes du président français rejoignent ceux du Royaume-Uni, qui, de son côté, a averti la Chine qu’elle aura à répondre à des « questions difficiles sur l’apparition du virus, et pourquoi il n’a pas été stoppé plus tôt ». Quant aux États-Unis, le secrétaire d’État, Mike Pompeo, a évoqué une « enquête exhaustive sur tout ce que nous pouvons apprendre sur la façon dont ce virus s’est propagé, a contaminé le monde et a provoqué une telle tragédie. »
Face aux critiques et aux interrogations, la Chine a fini par revoir à la hausse le nombre de victimes de l’épidémie de Covid-19, en annonçant la mort de 1.290 personnes de plus à Wuhan, ce qui porte le bilan à 4.632 décès depuis l’apparition de la maladie, en décembre, voire en novembre.
Ce qui, au regard des ravages causés par le SARS-Cov2 ailleurs dans le monde, paraît peu. En outre, les grandes villes chinoises n’ont été que très peu affectées. « Si les hôpitaux de Pékin ou de Shanghaï avaient été débordés, cela se serait su », a fait valoir Frédéric Lemaître, le correspondant du quotidien Le Monde en Chine.
Reste qu’il est notamment reproché aux autorités chinoises d’avoir sciemment caché la gravité de l’épidémie, en mettant au secret des « lanceurs d’alerte ». « Plus grave, l’OMS [Organisation mondiale de la santé] s’est montrée aveugle face à ce mensonge, vantant même la transparence chinoise alors que ses enquêteurs n’ont eu accès au terrain qu’en février! » écrit ainsi le quotidien Libération.
Quoi qu’il en soit, et alors que l’épidémie a marqué un coup d’arrêt en Chine pendant qu’elle se développe sous d’autres cieux, Pékin a lancé une « guerre de la communication » pour vanter les mérites de son modèle tout en pratiquant la désinformation. C’est ce qu’ont dénoncé les sénateurs Olivier Cadic et Rachel Mazuir, dans une communication publiée cette semaine par la commission des Affaires étrangères et des Forces armées [.pdf].
« Sur le plan international, nous assistons au développement d’une stratégie d’influence particulièrement active de la Chine, tendant à occulter ses erreurs dans la gestion initiale de l’épidémie, sous un ‘narratif’ vantant l’efficacité du modèle chinois de surveillance généralisée et le bienfondé de son organisation sociale pour réduire l’épidémie. La Chine insiste également sur sa générosité par la mobilisation de ses capacités industrielles recouvrées au service des autres États, pour les aider à surmonter la crise, démontrant de façon de moins en moins implicite son caractère de ‘puissance indispensable’ », relèvent ainsi les deux parlementaires.
Et le tout, en utilisant des « méthodes sophistiquées qui vont au-delà de la simple propagande allant jusqu’à la diffusion fréquente de fausses informations, tronquées ou manipulées », soulignent les deux sénateurs, lesquels notent par ailleurs, que la critique de cette stratégie, mise en œuvre « ouvertement sur Internet et les réseaux sociaux », est « parfois difficile, du fait de la dépendance de la plupart des États aux produits de santé fabriqués en Chine », dans la mesure où elle « fait l’objet de ripostes plutôt agressives des autorités chinoises. »
En outre, et alors que le président russe, Vladimir Poutine, a estimé que les doutes exprimés par la France, les États-Unis et le Royaume-Uni à l’endroit de la Chine, étaient « improductifs », les sénateurs ont noté que « la Russie et les médias ‘patriotes’ qui la soutiennent sont moins actifs dans le contexte de la crise sanitaire. »
Cependant, poursuivent-ils, ils « n’en continuent pas moins d’utiliser toutes les opportunités pour susciter des sentiments de défiance à l’égard de l’Union européenne » et ils « se montrent actifs en Afrique pour dénigrer la présence française et critiquer ses initiatives. » Ainsi, soulignent les deux parlementaires, il se diffuse « également sur ce continent des rumeurs et fausses informations attribuant la responsabilité de l’épidémie ou ses conséquences aux Français et aux Occidentaux, plus généralement. »
Aussi, préviennent MM. Cadic et Mazuir, il est « clair qu’une guerre de la communication a été enclenchée, destinée à réécrire l’histoire et à dénigrer les démocraties pour préparer la reconfiguration du paysage géopolitique de l’après-crise. » Et, dans cette « bataille » des opinions, ils invitent les démocraties européennes à ne « pas se montrer naïves ». Au contraire, estiment-ils, elles doivent « accroître la défense et la promotion de leurs valeurs en renforçant leur vigilance et en se dotant d’instruments efficaces. »
D’où leur proposition, s’agissant de la France, de mettre sur pied une « force de réaction cyber afin de répondre aux fausses informations dans le domaine sanitaire, aux attaques contre les valeurs démocratiques et pour lutter contre les campagnes de désinformation ou d’influence de certains acteurs étrangers. »
Par ailleurs, les deux sénateurs ont également soulevé une autre préoccupation : le risque d’espionnage industriel et économique, rendu encore plus élevé le télétravail, qui s’est développé à la faveur des mesures de confinement. « Rares sont les organisations qui avaient pu anticiper un basculement de cette ampleur ou l’envisager de façon cohérente et intégrée à un plan de continuité d’activité », notent-ils. Et cette « bascule » a été effectués avec les moyens du bord, avec un recours à des plateformes non sécurisées.
« Bien souvent, la sécurité informatique a été sacrifiée à l’efficacité immédiate. En ont découlé une élongation des réseaux informatiques des organisations dans un environnement moins
maîtrisé et donc une dégradation assumée de leur résilience », expliquent-ils.
Ce qui fait que, sur la « base de signaux faibles », l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information [ANSSI] estime que les « actions d’espionnage progressent, profitant de la dégradation de la sécurité des systèmes d’information. » Mais le résultat n’en sera visible que d’ici plusieurs mois. « Cette hypothèse est confirmée par une étude récente du groupe Thales à partir de renseignements recueillis dans les pays d’Asie, voisins de la Chine, confrontés à la crise dès février », insistent MM. Cadic et Mazuir.