Criminalité et délinquance,
Un bilan catastrophique
par Eric Stemmelen (*) – Esprit Surcouf – publié le 10 février 2023
https://espritsurcouf.fr/securie_criminalite-et-delinquance-un-bilan-catastrophique_par_eric-stemmelen_n207-100223/ Commissaire divisionnaire honoraire de la Police Nationale
Comme tout policier, l’auteur se plaint d’une répression trop molle et du laxisme de la Justice (et pas seulement de la Justice). On pourrait en sourire. Mais la violence des chiffres qu’il nous assène et la pertinence de ses remarques nous interpellent. Ses propos sont si riches que nous publierons son article en deux parties. Cette semaine : un constat brut.
La sécurité est un élément fondamental de la vie en société, elle est indispensable à l’exercice des principes fondamentaux de la République : liberté, égalité, fraternité. Elle est expressément inscrite dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (article 2 mais aussi 12 et 13). Mais le développement, constant et inquiétant, d’une insécurité générale est manifeste. Il touche l’ensemble de la population, notamment les plus faibles.
Des pans entiers de notre territoire échappent désormais aux lois de la République, et vivent sous la coupe d’individus ayant édictés leurs propres règles de vie, basées sur les profits criminels ou sur des régressions communautaristes, et comportant l’usage systématique de la violence et de l’intimidation. Cette situation s’est progressivement développée à partir des années 70 dans certains quartiers des grandes villes et dans certaines banlieues. Les différents gouvernements, de droite comme de gauche, n’en ont jamais pris la mesure et n’ont jamais apporté des solutions concrètes et efficaces. Bien au contraire, plutôt que de s’attaquer aux racines du mal, les autorités ont systématiquement privilégié la culture de l’excuse et de la tolérance.
LES CHIFFRES DES SCIENTIFIQUES
La criminalité réelle en France ne peut s’apprécier qu’au travers des études de victimation. Elles révèlent que 90 % des vols de voiture font l’objet d’une plainte (et pour cause, les assurances sont là pour rembourser, mais elles exigent le récépissé de la plainte). Mais seulement 20 à 30 % des vols sans effractions dans les résidences principales font l’objet de plaintes. Et 90 % des violences sexuelles hors ménages ainsi que 90 % des actes de vandalisme contre les logements ne font l’objet d’aucune plainte, et donc d’aucune poursuite, et encore moins de condamnation.
Les infractions à la législation sur les stupéfiants sont au nombre de 200 000 chaque année, alors que l’on estime à près de 14 000 000 les personnes consommatrices occasionnelles de cannabis, et à 550 000 les consommateurs journaliers. Plus de 40% des français, à l’âge de 17 ans, ont déjà essayé le cannabis, et sont ainsi en tête des jeunes consommateurs dans toute l’Europe, malgré une législation française assez répressive mais manifestement pas ou peu appliquée.
Les auteurs d’actes de violence sont de plus en plus jeunes mais aussi de plus en plus violents. Chaque année, 230 000 mineurs ont affaire à la justice pour des infractions pénales, mais 29 % seulement sont réellement poursuivis. Les autres voient leurs affaires classées sans suite (alors que les auteurs sont identifiés) ou bénéficient d’alternative aux poursuites. La prison est rarissime puisque seuls 3000 mineurs sont incarcérés, soit moins de 2% des mis en cause.
Les mineurs sont responsables de 28% des vols (délits), 28% des viols (crimes), et de plus d’un tiers de toutes les infractions de destructions et de dégradations de biens. 7% des mineurs commettent des délits en état de multi-réitération ou de multi-récidive. Il y a ainsi 16 000 mineurs au minimum qui sont en situation d’échec total de réinsertion. Les services de la Protection judiciaire de la justice prennent en charge chaque année 90 000 mineurs. Comme pour les majeurs la justice fonctionne lentement : entre l’interpellation d’un mineur pour délit et son jugement en première instance (sans parler de l’appel ou de la cassation) il s’écoule en moyenne 20 mois !
LES CHIFFRES DES AUTORITES
Depuis 1972, le ministère de l’Intérieur recense les crimes et délits enregistrés par les services de police et de gendarmerie. Ces données ne mesurent pas l’ensemble de la délinquance car les victimes ne déposent pas toujours plainte, on l’a déjà vu, et les contraventions ne sont pas comptabilisées, ni les infractions routières, douanières, fiscales et du droit du travail (c’est pourquoi, depuis 2007, les enquêtes de victimation ont été conduites pour avoir une meilleure appréhension de la réalité).
Si, en 2022, les services du ministère de l’intérieur ont comptabilisés 3 500 000 crimes et délits, la criminalité réelle est estimée supérieure à dix millions de faits commis. A titre d’exemple, les infractions de violence qui entrainent un traumatisme traité médicalement n’aboutissent qu’à 25 % de plaintes quand elles sont commises hors ménage, et à seulement 10% quand elles sont commises dans le cadre familial. Les coups et blessures volontaires sont en hausse constante avec plus de 300 000 faits constatés avec dépôt de plaintes. Mais le chiffre réel est bien supérieur car beaucoup d’infractions ne sont jamais comptabilisées, soit par absence de plaintes, soit par absence de constatations par les services de police et de gendarmerie, soit par transformation des plaintes en mention de main courante. 40% des personnes condamnées à une peine de prison ferme pour des faits de violence commettent un délit similaire à leur sortie de prison.
En 2022, les départements les plus dangereux de France étaient Paris (avec 12% de risques d’être victime d’un crime ou d’un délit) suivis de la Seine Saint Denis, des Bouches du Rhône, du Rhône, des Hauts de Seine. En ce qui concerne les coups et blessures volontaires, c’est la Seine Saint Denis qui arrive en tête, suivie du Nord, des Bouches du Rhône, de Paris et du Pas de Calais. Les villes les plus dangereuses sont Lyon (8% de crimes et délits) suivi de Saint Denis, Lille, Bordeaux, Paris. Pour les coups et blessures volontaires, arrive en tête Douai, suivi de Valenciennes, Lens.
L’index du crime en Europe (Europe Crime Index), qui fait la synthèse des données en provenance d’Eurostat au sein de l’Union Européenne et du Conseil de l’Europe, donne la prévalence criminelle pour les infractions graves (homicides, vols à main armée etc…). Il classe la France en tête des pays criminogènes avec un index de 46,39 à comparer au Royaume Uni (42,72), à l’Allemagne (34,51), à la Suisse (21,37).
Face à cette situation qui s’est progressivement développée depuis des dizaines d’années, aucun gouvernement n’a voulu apporter de solutions concrètes et efficaces. Bien au contraire la culture de l’excuse et de la tolérance a toujours été privilégiée, comme celle de mettre en avant les problèmes de logement comme cause essentielle de la criminalité.
DISCOURS INADAPTES
La phrase d’Albert Camus écrite en 1944 : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » est plus que jamais d’actualité.
Les termes de communication employés par les autorités et par les médias traduisent au minimum une gêne à voir la réalité en face : On parle de banlieues, de quartiers difficiles, de quartiers sensibles, de zones à problème, de jeunes agissant en groupe etc.….par peur de stigmatiser et de discriminer une catégorie de la population, sous le prétexte détourné du principe constitutionnel de l’égalité. Ainsi, le mot « jeune » couvre la classe d’âge de 12 à 30 ans.
Dans l’immense majorité des cas, les quartiers difficiles sont des quartiers qui regroupent une majorité de population issue de l’immigration, venue de l’Afrique sub-saharienne et du Maghreb. Les jeunes de ces quartiers, enfants de ces immigrés, sont quasiment tous des citoyens français. Personne ne pense en parlant de « jeunes » aux asiatiques, aux européens ou à nos ressortissants des DOM/COM. Les médias parlent facilement de l’origine ethnique des victimes en et publient leurs identités, photos comprises. Par contre ces mêmes médias ne parlent jamais de l’origine ethnique des agresseurs. Sauf quand les faits se déroulent aux Etats Unis, où les commentateurs emploient le mot afro-américains ou latino-américain. Qui a jamais entendu sur une antenne française le terme d’afro-français ?
Les visages des agresseurs sont systématiquement floutés comme les identités, seuls parfois les prénoms sont indiqués. C’est la même attitude qui aboutit, en matière de grande criminalité et de terrorisme, à parler du « passé de petit délinquant » pour des voyous qui sont en fait des criminels ou des délinquants multirécidivistes. Cette minoration constante de la dangerosité participe à la culture de l’excuse.
Cette même désinformation par l’emploi de mots inappropriés se constate quand on parle d’incivilités au lieu d’infractions pénales. La notion d’incivilité est sociologique et élude la gravité de l’infraction pénale en fondant ces déviances dans la fatalité du fonctionnement social. L’emploi du mot « incivilité » vise en réalité à dépénaliser entièrement l’infraction. L’emploi du mot incivilité porte dans sa nature même la quasi-certitude de ne pas avoir de sanction pénale appliquée. Or les insultes, les violences physiques, les tapages nocturnes, les tags, les jets d’ordure par les fenêtres ne sont pas des incivilités, mais des infractions pénales…qui ne seront que très rarement réprimées à leur juste mesure.
En 40 ans la criminalité a été multipliée par 4, pas les places de prison. Mais encore plus inquiétant, les infractions les plus traumatisantes, à savoir les atteintes aux personnes, se sont multipliées par 10 depuis les années soixante.
(*) Eric Stemmelen, commissaire divisionnaire honoraire, a effectué sa carrière en France et à l’étranger. En France, d’abord à la direction centrale de la police judiciaire, puis dans les organismes de formation et enfin au service des voyages officiels. Responsable de la sécurité des sommets internationaux et des conférences internationales, chargé de la protection rapprochée des Chefs d’Etat et de Gouvernements étrangers, il a été mis comme expert à la disposition du ministère des affaires étrangères, pour la sécurité des ambassades françaises, de leur personnel et des communautés françaises dans de nombreuses capitales (Beyrouth, Kaboul, Brazzaville, Pristina, entre autres). Diplômé de l’Académie Nationale du FBI, auditeur de l’IHESI, il est aujourd’hui consultant et expert dans les domaines de la Sécurité (au Conseil de l’Europe, par exemple).
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