Epuration à Saint-Cyr : Loustaunau-Lacau, dernier condamné du tribunal des bien-pensants
Membres de Saint-Cyr, sur les Champs-Elysées, le 14 juillet 2018. Photo © Thomas Samson / AFP
Une promotion de Saint-Cyr, du nom du général Loustaunau-Lacau, vient d’être débaptisée sous ordre du ministère de la Défense. Qu’importe le glorieux passé de l’officier et ses actions dans la Résistance : il est d’extrême-droite.
Au pays de l’épuration tranquille, les mauvais objets se suivent et se ressemblent. Discours de Victor Hugo sur l’Afrique donné en juin 1885 jugé raciste, volonté exprimée par le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) de débaptiser les collèges et lycées Colbert, parcours du grand résistant français Honoré d’Estienne d’Orves « faisant débat »… Tout est bon à censurer lorsqu’il s’agit de faire passer l’histoire de France par le filtre idéologique des droits de l’Homme et, à travers eux, ceux de l’antiracisme et de la lutte contre l’antisémitisme. Qu’importe la valeur des noms et des actions, si le tribunal des bien-pensants les invalide, c’est l’opprobre puis, si possible, l’invisibilité éternelle.
Georges Loustaunau-Lacau était né à Pau en 1894 et mérite pourtant qu’on ne l’oublie pas. Une promotion de l’école spéciale militaire Saint-Cyr Coëtquidan (2016) portait son nom, jusqu’à ce que l’on décide, il y a quelques jours, de ne plus l’associer qu’au « fascisme ». Fascisme ? Mais il fut résistant ! Ce général de l’armée de Terre, mort à Paris en 1955, avait commencé à servir, durant la Première Guerre mondiale, comme sous-lieutenant puis avait été promu en juillet 1915 au grade de lieutenant, puis de capitaine en 1916. Il avait été fait chevalier de la Légion d’honneur en juillet 1917, pour « bravoure remarquable » devant l’ennemi. Blessé par un éclat d’obus en 1918, il avait été nommé au centre d’instruction des officiers américains et était sorti du conflit décoré d’une Croix de guerre avec palmes.
Camarade du futur Général de Gaulle à l’Ecole de guerre, il en sort major et devient chef de bataillon en 1931, enchaîne les états-majors de Weygand, Lyautey et du Maréchal Pétain, de 1934 à 1938. Férocement anticommuniste, il crée les « réseaux Corvignolles » afin de lutter contre les cellules communistes en germe dans l’armée. Il demande même en 1938 l’interdiction du parti communiste en France. Prisonnier en 1940, puis libéré, il prend part à la bataille de France et revendique la destruction de 22 chars ennemis. A Vichy même, alors délégué général de la Légion française des combattants, il fonde le réseau Alliance, qui travaille souterrainement pour les services britanniques. Il est arrêté en 1941, demeure six mois dans les caves de la Waffen-SS, subit 54 interrogatoires, et se retrouve finalement déporté à Mauthausen en 1943.
Ceux qui corrigent, sermonnent et purifient, se plaisent à réécrire l’histoire, ne retiennent que les activités politiques et éditoriales qui occupèrent l’officier pendant les années qui précédèrent la Seconde Guerre mondiale, et qui permettent aujourd’hui d’affirmer que Georges Loustaunau-Lacau n’était qu’un antisémite. Sur le site internet du ministère de la Défense, ces mots : « Il a lui-même écrit au moins un article en 1938 dans lequel il met en doute la loyauté des Français Juifs. » Pas de doute, le général est un traitre. Proche du Parti populaire français de Jacques Doriot et fondateur d’une société d’édition, La Spirale, Georges Loustaunau-Lacau publiait alors Barrage, un périodique anticommuniste, et Notre prestige, qui était quant à lui d’orientation plutôt anti-allemande. Ces deux revues avaient fusionné en 1938 sous le nom de L’Ordre national.
Les oubliettes de l’histoire servent à cela, elles sont remplies de choses que l’on n’apprendra plus jamais à nos enfants et c’est pour leur bien.
Selon que vous serez ou non du bon côté du manche, on auscultera votre biographie et l’on y dénichera ces « zones d’ombre » embarrassantes pour ne pas dire honteuses, qui effaceront à jamais la gloire de vos faits et gestes. Vous n’avez jamais été une figure, vous n’êtes même pas un bon Français. Vous êtes, peut-être, moins français que les autres, qui vous jugent. Qu’est-ce qu’être français ?
Les oubliettes de l’histoire servent à cela, elles sont remplies de choses que l’on n’apprendra plus jamais à nos enfants et c’est pour leur bien. Elles regorgent de Nos ancêtres les Gaulois, de baptême de Clovis, de Bayard, chevalier sans peur et sans reproche. De Chouans et de résistants royalistes. Ceux-là sont dépourvus de légitimité dans le roman national, qui mute en catéchisme progressif et totalitaire à une vitesse telle qu’on apprend régulièrement que des écrivains qu’on croyait faire partie du patrimoine ne sont en réalité rien d’autres que d’affreux xénophobes ou d’obscurs sexistes. A quand la fascisation des rois de France ?
A la fin, il ne restera plus que des figures qui n’en sont pas, ont simplement brillé par leur acceptation du consensus ou par leur médiatisation surcotée, le feel good moment qu’ils ont prodigué aux Français à un moment T. Egalement et surtout, à toutes ces personnes qui depuis une quarantaine d’année ont affirmé leur détermination à faire de la France un carrefour de métissage, respectueux de toutes les religions et de toutes les cultures, surtout de celles des arrivants. Alors vivement les salles polyvalentes Jean-Pierre Papin, les lycées Grand Corps Malade. Les stations de métro Daniel Cohn-Bendit et les promotions de grandes écoles Christiane Taubira.
Dans Un paradoxe français (2008), l’historien Simon Epstein faisait un amer constat : « Nombre d’antifascistes de 1936, basculés collaborateurs en 1940 mais experts à se faire pardonner en 1944, auront connu une Libération plus paisible que celle qui s’acharna sur ce résistant de la première heure, rescapé de Mauthausen et des « marches de la mort ». » Loustaunau-Lacau a en effet subi les affres de l’épuration pour son anticommunisme, notamment dans le cadre du procès de la Cagoule. Le tourment continue.