Génération Kalachnikov

par Pierre-Marie Giraud (avec l’AFP) – L’Essor – publié le lundi 25 décembre 2023

Bourreaux ou victimes, ils sont mineurs et de plus en plus nombreux. Les règlements de comptes meurtriers, liés aux trafics de drogue, voient une présence croissante de très jeunes tueurs à gage utilisant le redoutable fusil d’assaut kalachnikov contre d’autres jeunes. (MIS A JOUR)

Un fusil d'assaut AK-47 (Photo d'illustration: D-G.Sommavilla/Pexels)

Un fusil d’assaut AK-47 (Photo d’illustration: D-G.Sommavilla/Pexels)

Comme à Marseille, épicentre de ces « narcomicides« , où parmi les 48 personnes tuées en 2023 dans le cadre de trafics de drogues, sept étaient des mineurs et où, parmi les 118 blessés, figuraient 18 mineurs. Des chiffres révélés par le procureur de Marseille Nicolas Bessonne. Le magistrat ajoutait que, sur la totalité des personnes mises en examen pour homicides ou tentatives d’homicides, 11 % étaient mineurs (six au total) et 51 % âgés de 18 à 21 ans.

Fin novembre, le directeur général de la police nationale (DGPN) Frédéric Veaux, révélait que sur 450 victimes recensées en France en 2023, 30 % avaient moins de 20 ans et que 20 % des auteurs de ces homicides avaient de 16 à 19 ans. Début avril à Marseille, Mattéo, tout jeune majeur, a été mis en examen pour l’assassinat de deux adolescents de 15 et 16 ans.

L’AK-47 comme dénominateur commun

Le bureau régional de l’AFP dans le Midi décompte soigneusement le nombre d’assassinats liés à la drogue dans la cité phocéenne: de 2016 à 2023, plus de 180 personnes ont été tuées! Un chiffre supérieur à celui des attentats sanglants de 2015 à Paris (Charlie-Hebdo, Hyper Cacher, Bataclan, terrasses) qui avaient totalisé 150 morts. Dans ces deux séries sanglantes, le même et seul point commun: l’utilisation dans la grande majorité des cas du fusil d’assaut automatique AK-47.

Arme robuste, fiable, et simple à utiliser, cette kalachnikov possède un calibre 7,62 mm, à comparer avec celui du pistolet semi-automatique Colt 45 (11,43 mm), l’arme des règlements de comptes pendant les décennies de l’après-guerre. Les balles d’AK-47 sont beaucoup plus rapides et possèdent une portée bien supérieure à une arme de poing. La munition de 7,62 mm sort en effet du canon de la kalachnikov à la vitesse de 720 mètres par seconde (m/s), trois fois plus vite que la balle de 11,43 mm du colt 45. Elle pénètre en vrillant dans les corps, aggravant les blessures. De plus, les 32 cartouches d’un chargeur du fusil d’assaut AK-47 peuvent être lâchées, en trois secondes, en mode rafale. Il faut cinq secondes pour tirer les 8 balles d’un Colt 45.

Complexité de la prise en charge médicale

Une seule et même balle de kalachnikov peut traverser successivement trois corps humains, rappelle un expert en balistique. Les chirurgiens marseillais qui opèrent régulièrement des victimes touchées par des balles d’AK-47, connaissent bien les dégâts provoqués par cette arme, et bien souvent irréversibles. Un médecin-chef, ancien médecin des commandos marine qui a participé à de nombreuses opérations extérieures (Opex), expliquait ainsi il y a cinq ans à L’Essor: « La balle de 7,62 mm, très puissante et lourde (9,8 grammes), possède une grosse force d’impact » . Il ajoutait que la gravité de la blessure était due au fait que la même balle pouvait toucher plusieurs organes. C’est une balle « full metal jacket » (entièrement métallique) qui cause des lésions profondes et d’importantes hémorragies. Au niveau de l’abdomen, elle peut toucher à la fois la rate et le foie. Il notait également que 25 à 40% des ces blessés sont hémorragiques. Il faut donc « en priorité contrôler l’hémorragie, entamer une transfusion très rapidement avant d’entamer l’opération dans l’heure qui suit«  la survenue de la blessure par balle.

Victimes collatérales

Autre effet de la puissance et de la portée d’une balle de kalachnikov, l’augmentation du nombre des victimes collatérales. À Marseille en 2023, quatre personnes, qui n’avaient absolument rien à voir ni de près ni de loin avec le trafic de stupéfiants, ont été tuées. Le cas le plus emblématique reste celui de Socayna. Cette étudiante de 24 ans avait été tuée d’une balle de 7,62 mm dans la tête alors qu’elle travaillait dans sa chambre, au 3e étage d’une immeuble au pied duquel deux bandes rivales s’affrontaient au fusil d’assaut.

Au fil des ces dix dernières années, la kalachnikov est devenue une arme de guerre qui est de plus en plus facile à se procurer sur le marché clandestin, pour quelque 1.500 euros pièce en moyenne, munitions comprises. Ce qui n’est pas un problème pour le milieu des trafiquants où un point de deal peut dépasser les 10.000 euros de recette quotidienne. Un spécialiste des armes rappelle à L’Essor que l’AK-47 a été fabriquée à cent millions d’exemplaires en Russie, en Chine et dans les ex-pays de l’Est, sans compter ses multiples copies. C’est un arme robuste qui ne demande pas beaucoup d’entretien, qui s’enraye rarement et ne craint pas trop l’eau ou le sable.

Facile à prendre en main

En quelques heures, un néophyte peut la prendre en main. Elle n’a pas pratiquement pas de recul, peut tirer au coup par coup ou en rafale. Son chargeur courbe peut contenir 30 balles. En scotchant deux chargeurs l’un sur l’autre, le tireur peut changer en quelques secondes son chargeur et lâcher 60 balles en une dizaine de secondes avec une portée précise jusqu’à 400 mètres. Facilement transportable dans un sac à dos avec six chargeurs, elle donne au tireur une puissance de feu de près de 200 balles. Il suffit de tenir fermement le dessus de canon pour éviter que les balles ne soient tirées vers le haut.

Pour toutes ces raisons, la « kalach » est devenue l’arme à la mode dans les règlements de comptes. Elle fascine les plus jeunes qui la considèrent comme un objet de jeu vidéo et non comme une arme qui fauche indistinctement jeunes et moins jeunes.

(Article mis à jour avec le 48 e tué avec une fusil d’assaut à Marseille depuis le début de 2023)