Guerre en Ukraine : les trois cartes pour suivre l’avancée des forces russes
INFOGRAPHIE – Dans la nuit de mercredi à jeudi, Moscou a lancé une invasion de l’Ukraine, à la fois au nord, au sud et à l’est du pays. Depuis samedi, les forces russes sont aux portes de Kiev, mais l’armée ukrainienne ne s’est pas effondrée.
La ligne de front s’étire déjà sur plusieurs centaines de kilomètres au nord, à l’est et au sud de l’Ukraine. L’opération militaire russe lancée par le président russe Vladimir Poutine dans la nuit de mercredi à jeudi est bien de «grande ampleur» et ne se limite pas à la région orientale du Donbass, tenue pour partie par des séparatistes depuis 2014 dont Moscou a reconnu l’indépendance le 21 février 2022.
La carte suivante, mise à jour régulièrement, montre l’avancée des troupes, les principales frappes et les territoires contrôlés par les forces russes. On aurait tendance à l’oublier en raison de son si vaste voisin, mais l’Ukraine est, derrière la Russie, le plus grand pays d’Europe par sa superficie (603 548 km²), devant la France (543 940 km²).
Au quatrième jour de combats intenses, les Russes ont indubitablement avancé, mais les Ukrainiens ne se sont pas non plus effondrés, loin de là. Et ce d’autant que les premiers ne contrôlent a priori encore aucun grand centre urbain, même s’ils sont dans les faubourgs de plusieurs villes, à commencer par Kiev, Kharkiv, Kherson ou Marioupol. Passons en revue les fronts.
À l’Est, Kharkiv en ligne de mire
À l’est du pays, les forces russes sont aux portes de Kharkiv depuis jeudi. Les combats sont extrêmement rudes aux abords de la deuxième ville d’Ukraine (1,4 million d’habitants). Depuis longtemps, l’on savait que, si invasion il devait y avoir, ce serait un verrou clé. Les 150.000 soldats russes déployés ces dernières semaines à la frontière ukrainienne ont notamment été massés dans la ville russe de Belgorod, juste en face de Kharkiv. Ce déploiement était très suivi par les observateurs du conflit.
Le front de l’Est avance également plus au Nord, et assez rapidement avec une percée au-delà de Konotop, ville de 80.000 habitants désormais encerclée. Et l’on imagine bien l’objectif de cette opération puisque, dans cette direction, les forces russes peuvent aller en ligne droite jusqu’à Kiev [dont il sera question plus bas dans l’article]. Depuis dimanche, elles seraient ainsi à environ 100 km de la capitale ukrainienne, à hauteur des villes de Nizhyn et de Priluky.
Une opération terrestre dans le Donbass est aussi menée du côté des séparatistes prorusses de Donetsk et de Lougansk soutenus par Moscou, mais elle ne va guère en direction de l’intérieur des terres car c’est là que les Ukrainiens, depuis 2015, ont particulièrement renforcé leurs défenses. Le ministère russe de la Défense a malgré tout annoncé ce lundi une «progression supplémentaire de 19 kilomètres» du côté des séparatistes appuyés par les Russes. Ils ont aussi et surtout en ligne de mire le port de Marioupol, qui donne accès à la mer d’Azov. Là encore, d’intenses combats ont lieu. Un débarquement de 2000 «marines» russes depuis cette mer fermée contrôlée par la flotte russe aurait été mené d’après le Pentagone, mais cette information n’a été corroborée par aucune image.
Au Sud, percée vers le Dniepr
Un front au Sud est aussi constitué, avec comme point de départ la Crimée, annexée en 2014 par la Russie, et comme objectifs probables les bords de la mer Noire vers l’Ouest et ceux de la mer d’Azov vers l’Est, voire une remontée vers le Nord. C’est sur ce front que les forces russes ont de loin le plus avancé.
Remontant vers le nord-ouest, elles sont arrivées aux portes de la grande ville de Kherson, à l’embouchure du Dniepr, soit une avancée d’au moins 100 km à l’intérieur du territoire ukrainien. Elles ont même franchi le grand fleuve ukrainien, se retrouvant ainsi sur l’autre rive, et certaines unités avancées ont atteint les faubourgs d’une autre grande ville portuaire, Mykolaïv, où de premiers combats ont eu lieu dimanche. Si l’encerclement de Kherson est évoqué par certaines sources, rien n’indique néanmoins que Moscou contrôle solidement cette zone à l’ouest du Dniepr. À vol d’oiseau, les Russes ne sont qu’à 100 km d’Odessa, troisième ville du pays et port important au bord de la mer Noire. Si les Ukrainiens perdaient cette ville fondée en 1794 par l’impératrice russe Catherine II, l’Ukraine serait privée de tout accès à la mer.
Toujours depuis la Crimée, l’armée russe avance de l’autre côté, vers le Nord-Est, et a conquis samedi la ville de Melitopol. Dimanche, elle a également pris le port de Berdiansk et est désormais aux portes de Marioupol, par l’Ouest, tandis que les séparatistes du Donbass attaquent le port par l’Est. Déjà mise en œuvre par ces derniers en 2014 à Debaltseve, une manœuvre d’encerclement – une vieille tradition militaire soviétique connue sous le nom de «kotel», chaudron en russe – est probable, le port de Marioupol étant très bien défendu.
Depuis la Crimée, les troupes russes percent également vers le Nord avec la prise de contrôle par les Russes de la «zone entourant la centrale nucléaire» de Zaporijié, le long du Dniepr. «Le personnel de la centrale nucléaire poursuit son travail de maintenance des installations et de contrôle», a déclaré Igor Konachenko, le porte-parole du ministère russe de la Défense.
Au Nord, la bataille de Kiev a commencé
Le front le plus stratégique est celui du Nord. Les opérations terrestres ont été lancées depuis le territoire russe, mais aussi depuis la Biélorussie, alliée de Moscou, où sont déployées des troupes russes depuis des semaines. Non loin de la frontière, le long de la rivière Pripiat qui se jette rapidement dans le Dniepr, les forces d’invasion ont pris dès jeudi le contrôle de l’ancienne centrale nucléaire de Tchernobyl, accidentée en 1986, et de ses alentours. De l’autre côté du Dniepr, donc depuis le Nord-Est, les troupes russes avancent également. Et si l’on descend le Dniepr, l’on tombe sur la capitale ukrainienne, Kiev, qui est ainsi à moins de 150 km de la frontière biélorusse.
Une triple offensive vise donc Kiev depuis le Nord (rive droite du Dniepr), depuis le Nord-Est (rive gauche) et depuis l’Est (la percée déjà mentionnée passant par Konotop).
Certaines troupes ont d’ores et déjà réussi à atteindre la capitale ukrainienne. Samedi, au troisième jour de l’opération, des combats extrêmement intenses ont eu lieu à l’intérieur même de la ville de 2,8 millions d’habitants. Dès l’aube, à l’Ouest, des affrontements violents ont eu lieu notamment avenue de la Victoire, l’une des principales artères de la capitale, où les Ukrainiens ont réussi à repousser des véhicules russes. Au Nord-Est, une attaque russe a visé une centrale électrique du quartier de Troieshchyna. S’ajoutent à cela diverses opérations dites de «sabotage», notamment dans le quartier d’Obolon au Nord. Il pourrait s’agir d’unités des SSO, les forces d’opérations spéciales, une unité d’élite de l’Armée russe, indépendante et chargée des missions les plus difficiles, notamment clandestines.
Enfin, autour de Kiev, plusieurs opérations des troupes aéroportées russes – les prestigieuses VDV reconnaissables à leurs marinières et à leurs bérets bleus – ont été menées. Un assaut par hélicoptères a été lancé dès jeudi à l’aéroport de fret Antonov de Gostomel situé à 20 km au nord-ouest de la capitale. Samedi, les forces ukrainiennes ont aussi fait état de «violents» combats à 30 km au sud-ouest de la capitale, où les Russes «essayent de faire débarquer des parachutistes». Kiev affirme avoir abattu un voire deux avions de transport lourds Iliouchine Il-76, ce qui n’a pas été confirmé visuellement.
La bataille de Kiev a donc bien commencé, mais cela ne signifie pas que les Russes prendront la capitale de sitôt car il ne s’agit plus de combats dans de grands espaces où les chars peuvent avancer rapidement, mais de combats urbains structurellement beaucoup plus difficiles pour l’attaquant. Par ailleurs, jusqu’à samedi soir, les Russes ne disposaient pas encore d’une continuité territoriale allant de la frontière russe ou biélorusse jusqu’à la capitale ukrainienne. Les forces les plus avancées n’appartenaient pas aux troupes régulières, mais étaient constituées des VDV et des SSO, plus ou moins isolées et ne disposant pas des moyens les plus lourds, qu’il s’agisse d’artillerie ou de chars. Depuis samedi soir, ce n’est plus le cas puisque la percée russe venue du Nord (sur la rive droite du Dniepr) va désormais directement jusqu’à l’aéroport de Gostomel qui était tenu jusque-là par des VDV. Soit à seulement 20km du centre de Kiev. Les forces russes vont donc pouvoir recevoir des renforts et être ravitaillées jusqu’au nord de la capitale, ce qui n’est pas encore le cas pour les offensives lancées au nord-est et à l’est où les troupes régulières russes sont encore assez loin de Kiev.
Une intense campagne de frappes
Au départ de l’invasion, dans la nuit de mercredi à jeudi, d’intenses frappes russes ont été menées sur tout le territoire ukrainien – 160 missiles à longue portée tirés en une nuit selon Washington -, et même jusqu’à Lviv à l’extrême ouest du pays, à proximité de la frontière polonaise. Ont été utilisés des batteries terrestres de missiles Iskander-M stationnées en Russie et en Biélorussie, mais aussi des missiles de croisière Kalibr tirés depuis des navires déployés en mer Noire et en mer d’Azov ou des missiles tirés depuis des chasseurs-bombardiers. Les Russes ont visé des dépôts de munitions, des centres de commandement, des bases aériennes et des systèmes de défense aérienne en vue de lancer les opérations terrestres en ayant la maîtrise du ciel et en affrontant un ennemi désorganisé. Depuis, les tirs de missiles de croisière continuent sans relâche, notamment à Kiev depuis deux jours.
En parallèle de ces frappes de précision qui font penser à la guerre américaine en Irak de 2003, les Russes s’appuient sur d’intenses bombardements d’artillerie, une vieille tradition militaire soviétique. De nombreuses vidéos montrent notamment l’emploi de lance-roquettes multiples, notamment des Grad et des Smerch, héritiers des «orgues de Staline» de la Seconde Guerre mondiale.
Notons que, samedi, des lance-roquettes multiples TOS-1, montés sur des châssis de chars T-72, ont été observés pour la première fois en Ukraine. Ce déploiement est significatif dans la mesure où les TOS-1, contrairement au Grad et au Smerch, sont mis en œuvre par des unités NBC (nucléaires, biologiques, chimiques) et non par l’artillerie car les projectiles utilisés sont thermobariques (avec deux charges explosives et un liquide volatil, ils combinent effets thermiques – thermos en grec – et effets de pression – baros en grec -, NDLR).
Résistance ukrainienne
Côté ukrainien, l’équipement d’origine soviétique est en grande partie similaire à celui utilisé par les Russes, mais est néanmoins moins performant, Moscou ayant lancé une grande modernisation de ses forces armées à la fin des années 2000. En revanche, Kiev peut s’appuyer sur des armements occidentaux fournis depuis 2014, notamment des missiles portatifs anti-chars Javelin ou des missiles portatifs anti-aériens Stinger particulièrement redoutables. L’on observe d’ailleurs que les tourelles des chars russes T-72 ou T-90 sont équipées de cages «anti-Javelin» dont l’efficacité est néanmoins toute relative. Depuis jeudi, les images de blindés russes calcinés pullulent sur le Web (ceci est également vrai de blindés ukrainiens).
Les Ukrainiens disposent aussi depuis peu de drones de combat turcs Bayraktar TB2 dont l’efficacité a été prouvée en Syrie, en Libye ou plus récemment dans le Haut-Karabagh. Leur utilisation ces derniers jours a été documentée et des vidéos montrent l’attaque réussie de plusieurs convois russes, notamment ce dimanche d’un système anti-aérien Buk-M1 qui a été détruit avant d’avoir pu réagir. «La défense aérienne de l’Ukraine fonctionne encore, bien qu’elle ait été endommagée par des frappes aériennes. Ils ont encore des avions qui interdisent l’accès à des avions russes», assurait un haut responsable du Pentagone vendredi. En outre, les capacités de «commandement et contrôle» de l’armée ukrainienne «sont intactes», estimait-il.
Les forces armées ukrainiennes n’auraient donc pas été «décapitées», comme le suggèrent bien leur résistance forte qui perdure et la vulnérabilité de certaines troupes russes qui avancent visiblement sans appui aérien ni moyens de reconnaissance appropriés. La situation pourrait néanmoins changer, le ministère russe de la Défense ayant revendiqué ce lundi la «suprématie aérienne» dans toute l’Ukraine après la destruction des systèmes ukrainiens Buk M-1, S-300 et de cinq avions de combat. Le soutien logistique semble aussi être particulièrement déficient du côté russe, problème traditionnel pour cette armée, mais aggravé par une ligne de front qui s’étend avec un contrôle relatif des zones prises.
Victoire inéluctable des Russes ?
Ces informations sont bien sûr à prendre avec prudence tant il est difficile d’apprécier réellement la situation sur le terrain car les images publiées sur les réseaux sociaux peuvent produire un «effet-loupe» trompeur tandis que la communication de guerre, visant à encourager les troupes autant que les civils et à démoraliser l’adversaire, s’observe des deux côtés. Par ailleurs, le fait que «les Russes n’ont pas réussi à prendre des villes ne doit pas servir à mesurer le succès ou l’échec opérationnel russe à ce jour car cela ne semble pas avoir été l’objectif opérationnel principal à ce stade de la guerre», rappelle sur Twitter Franz-Sefan Gady, chercheur à l’IISS britannique. «L’objectif russe semble être de foncer vers Kiev, en saisissant ailleurs les carrefours clés et en contournant les grandes villes», confirme Michael Kofman, directeur des études russes du think tank américain CNA.
Washington a estimé dimanche que la Russie n’aurait déployé en Ukraine que les deux tiers des forces qu’elle a amassées aux frontières du pays. «La situation pourrait changer. Elle pourrait changer très rapidement», soulignait déjà vendredi soir le Pentagone. La Russie a déployé ces dernières semaines plus de 150.000 soldats formant environ 150 «groupes tactiques de bataillon» (BTG en russe) – unités mécanisées, autonomes, modulaires et mobiles, fers de lance des opérations, NDLR – à proximité de l’Ukraine, ce qui sous-entendrait donc qu’environ 100.000 d’entre eux seraient déjà engagés. Et que 50.000 seraient encore prêts à entrer sur le territoire ukrainien.
La bataille de Kiev est-elle ainsi jouée, et plus largement la guerre d’Ukraine ? Sur Twitter, l’historien Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, a estimé samedi que «la durée du siège de Kiev (objectif principal des Russes) dépendrait entièrement de la motivation des forces ukrainiennes, mais que le résultat était inéluctable». Le stratège militaire propose même une «estimation» : il pourrait se passer «une semaine avant [la] proclamation de la victoire russe [à Kiev avec] cinq à six semaines de combat résiduel». À «plus long terme» et à l’échelle du pays tout entier, «la principale inconnue réside dans la capacité de structuration des ‘bataillons de volontaires’ à se structurer en force de guérilla de longue durée et à faire de l’Ukraine un piège pour Vladimir Poutine», conclut Michel Goya. Au fond, pour le président russe, une victoire, mais à quel prix ?