La DGSI à Saint-Ouen, c’est parti !
par Jean Daspry* – CF2R – TRIBUNE LIBRE N°176 / mars 2025
« L’espionnage serait peut-être tolérable s’il pouvait être exercé par d’honnêtes gens, mais l’infamie de la personne peut faire juger de l’infamie de la chose » (Charles de la Brède et de Montesquieu, 1748).
Heureusement, les choses ont bien changé depuis cette époque lointaine. La communauté du renseignement a gagné toutes ses lettres de noblesse. Et cela en particulier depuis que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 reconnait la fonction « connaissance et anticipation » (en réalité le renseignement largo sensu) comme une fonction stratégique à part entière[1]. Qui plus est, le monde du renseignement n’est plus entouré de ce halo de suspicion, voire de mépris qui en faisait la marque de fabrique !
Entouré d’une palette de ministres, de hauts fonctionnaires et d’élus locaux, Emmanuel Macron pose, le 11 mars 2025, à Saint-Ouen la première pierre des futurs locaux de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), actuellement implantée à Levallois-Perret. Rappelons qu’elle succède à la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) qui, elle-même, est le fruit de la fusion entre DST (Direction de la surveillance du territoire) et DCRG (direction centrale des renseignements généraux) dont le siège fut successivement place Beauvau dans le VIIIe arrondissement, puis rue Nélaton dans le XVe arrondissement, sur le site de l’ancien Vel d’hiv de sinistre mémoire. Rappelons que la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), plus connue sous son appellation de « piscine » (elle est proche de la piscine des Tourelles), sise boulevard Mortier dans le XXe arrondissement de Paris, attend son déménagement à Vincennes. Le chef de l’État évoque également ce chantier dans son discours. C’est peu dire que nos deux services de renseignement sont dans l’attente de locaux plus spacieux, plus fonctionnels permettant d’accueillir les recrutements en nombre de nouveaux agents effectués ces dernières années pour faire face à la montée des menaces en particulier, celle du terrorisme islamiste. L’on peut regretter que le président de la République ait privilégié un discours convenu à un discours stratégique.
Un discours très convenu
Loin de ses envolées lyriques habituelles, Emmanuel Macron égrène, de manière fastidieuse, la liste de tous les intervenants sur ce dossier de grande envergure : ministères, structures publiques, élus locaux, entreprises et architectes en charge de mener à bien ce chantier. L’impression prévaut que la plume du chef de l’État a procédé à un copier-coller de fiches techniques rédigées par les ministères concernés, ministère de l’Intérieur en priorité, sans chercher à prendre de la hauteur sur un sujet qui le méritait. Le président de la République salue le « combat singulier » des services, soulignant que « la sécurité des Français est la priorité absolue ». Évacuant de manière préventive toute polémique sur ses récentes déclarations (la Russie, « menace existentielle »), Emmanuel Macron conclut qu’il n’effectue pas de priorité entre menaces de nature géopolitiques et menaces intérieures. Elles sont traitées conjointement. Dont acte !
Ce discours de trente minutes environ tourne rapidement à un exercice d’autosatisfaction de toutes les mesures concernant la sécurité et les services adoptées sous ses deux mandats successifs : législatives, règlementaires, financières, ressources humaines, aménagement du territoire, coopération intérieure et internationale entre services… L’énumération s’apparente à bien des égards à un inventaire à la Prévert.
Un discours peu (pas) stratégique
Au moment où les décisions de la nouvelle administration américaine poussent les Européens à prendre en main leur sécurité et à imaginer les voies et moyens de la mise en place d’une nouvelle architecture de sécurité[2], il est regrettable que le Président de la République n’ait pas choisi de prendre de la hauteur par rapport au sujet strictement immobilier. Une sorte d’actualisation de son discours de la Sorbonne de 2017. Un appel lancé aux Européens pour qu’ils sortent de leur torpeur, de leur sidération afin de dessiner une « Europe post-Amérique ». Un appel pour un grand dessillement afin de faire face au grand ensauvagement de notre Douce France et d’un monde en perpétuel bouleversement.
Comme la fonction essentielle de la communauté du renseignement consiste à anticiper (connaître le passé pour comprendre le passé et anticiper le futur), l’essentiel, pour le chef des Armées, n’aurait-il pas été d’aller voir derrière l’horizon ? Curiosité des premières images diffusés avant qu’Emmanuel Macron ne prenne place derrière son pupitre, le champ de ruines à perte de vue d’un immense chantier, d’une terre en friches. Certains mauvais esprits auraient pu y voir une allégorie de la situation actuelle de la sécurité intérieure telle que la perçoivent bon nombre de compatriotes. Peut-être le sujet était-il trop glissant pour un président incapable de se faire respecter de l’Algérie pour le renvoi des OQTF et qui cherche à masquer ses revers internes par une hyperactivité sur la scène internationale et européenne ? Faible avec l’Algérie, fort avec la Russie.
Le renseignement à l’épreuve du monde de demain
« De même que le XVIIIe siècle a pu voir dans la guerre la poursuite de la diplomatie par d’autres moyens, le XXe a fait du renseignement la poursuite de la concurrence par d’autres moyens » (Alain Chouet, 2011).
Confessons notre immense regret de n’avoir pas vu Jupiter enfiler sa tenue de passeur d’idées dans laquelle il brille parfois ! L’occasion était toute trouvée. Le Président de la République aurait été particulièrement bien inspiré de se remettre en tête la fameuse citation du général de Gaulle pour qui « l’essentiel pour jouer un rôle international, c’est d’exister par soi-même, en soi-même, chez soi. Il n’y a pas de réalité internationale qui ne soit d’abord une réalité nationale ». Cette omission est peut-être un acte symbolique qui dissimule mal l’embarras d’un homme en perte de repères après huit années passées au 55 rue du Faubourg Saint-Honoré. L’homme se serait grandi en saisissant la balle au bond en affichant « son ambition d’écrire une page totalement nouvelle dans l’histoire des relations internationales »[3] à un moment où la réalité reprend ses droits après une période de somnolence stratégique des Européens. Pour ce faire, Emmanuel Macron aurait dû bannir les phrases longues et creuses pour leur préférer des faits et des perspectives d’avenir. Et, après tout, c’est cela la diplomatie : négocier, convaincre, remettre sans cesse le travail sur le métier. Un travail de longue haleine. Un travail de Sisyphe.
Une chose est au moins certaine aujourd’hui, la DGSI à Saint-Ouen, c’est parti !
[1] Nicolas Sarkozy, président de la République (préface de), Défense et sécurité nationale, Odile Jacob/La Documentation française, 2008.
[2] Jenny Raflik, « L’OTAN est devenue un bouc émissaire facile des échecs de la défense européenne », Le Monde, 12 mars 2025, p. 28.
[3] François Hollande, « Donald Trump n’est plus notre allié », Le Monde, 1er mars 2025, p. 15.