La technologie 5G va-t-elle mettre l’Otan en péril?
Lors du discours sur la stratégie de défense et la dissuasion qu’il a prononcé devant les stagiaires de l’École de Guerre, le 7 février dernier, le président Macron a plaidé pour que les Européens aient une « vraie politique de souveraineté » sur les infrastructures critiques, quelles soient maritimes, énergétiques et numériques.
« C’est le cas pour les infrastructures 5G, le cloud, décisif pour le stockage des données, les systèmes d’exploitation, les réseaux de câbles sous-marins, systèmes névralgiques de notre économie mondialisée. Il nous faut au niveau européen, aussi, maitriser notre accès à l’espace et décider nous-mêmes des standards qui s’imposent à nos entreprises », a-t-il dit. « Cette politique d’infrastructures stratégiques, est essentielle […] pour notre collective, notre capacité à agir », a poursuivi M. Macron.
« Nous vivons dans le monde de l’interopérabilité, avec des équipements de plus en plus numérisés. Dépenser ce que nous dépensons pour avoir des équipements parfaits et remettre les infrastructures de connexion, entre nos équipements et nos pays, à d’autres, sans garantie, serait quand même une étrange naïveté », a fait ensuite valoir le président français.
Si ce dernier n’a pas explicitement cité Huawei, la référence à la 5G ne pouvait que faire penser à l’équipementier chinois qui, de part ses investissements et les produits qu’il propose, est un acteur de premier plan de cette technologie, laquelle marquera une rupture dans la mesure où, selon l’Agence nationale des fréquences [ANF], elle « se distingue des précédentes génération de communications mobiles en ce qu’elle vise, dès sa conception, à intégrer un nombre de cas d’usages inédit. »
En tout cas, quelques jours après le discours de M. Macron, l’ambassade de Chine à Paris a mis en garde les autorités françaises contre des « mesures discriminatoires » susceptibles de viser Huawei.
« Si, par souci de sécurité, le gouvernement français a réellement besoin de fixer des contraintes aux opérateurs, il devrait établir à cet égard des critères transparents et traiter toutes les entreprises de la même manière », a fait la diplomatie chinoise. « Nous ne souhaitons pas voir le développement des entreprises européennes dans le marché chinois affecté à cause de la discrimination et du protectionnisme de la France et d’autres pays européens à l’égard de Huawei », a-t-elle prévenu.
Quoi qu’il en soit, en multipliant pas dix le débit que permet actuellement la 4G, en réduisant la latence à une milliseconde ou encore en permettant un nombre très important de connexions mobiles simultanées, la 5G laisse entrevoir de nouvelles opportunités dans maints domaines, comme la voiture autonome, les villes dites intelligentes [concept de « Smart Cities »], l’industrie 4.0, la télémédecine, etc.
Les applications militaires promettent également d’être nombreuses étant donné que la 5G permettra d’augmenter la capacité faire communiquer plusieurs systèmes entre-eux, de mieux sécuriser les sites sensibles en interconnectant des moyens de surveillance et de traitement en temps réel [avec l’appui de l’intelligence artificielle], d’améliorer la logistique et les opérations de maintenance des équipements, de mettre au point des outils de simulation encore plus performants pour la préparation opérationnelle ou, plus basiquement, de faciliter la vie quotidienne des soldats.
Dans ces conditions, l’implication de Huawei dans cette technologie fait débat, d’autant plus qu’il est soupçonné d’avoir des liens étroits avec Pékin. Ce que le groupe chinois réfute… en n’hésitant pas à saisir la justice contre ceux qui avancent de telles accusations. Récemment, Valérie Niquet, de la Fondation pour la recherche stratégique [FRS], a fait l’objet d’une telle plainte.
Cela étant, la Commission européenne a accepté que Huawei soit un acteur dans le déploiement de la 5G au sein de l’UE mais selon des conditions « très strictes ». « Nous en Europe, on accepte tout le monde mais on a des règles, ces règles sont claires, exigeantes », a commenté Thierry Breton, le Commissaire européen à l’Industrie.
En fait de « règles claires et exigeantes », la commission a élaboré une « boîte à outils » contenant des recommandations, non contraignantes, visant « à atténuer les risques pour la sécurité » en procédant par exemple à des « exclusions nécessaires […] pour les actifs critiques et sensibles […] tels que les fonctions de gestion et d’orchestration du réseau » ou en faisant en sorte d’avoir « plusieurs sources de fournisseurs pour diminuer les risques. »
Or, cela est loin de contenter les États-Unis, qui cherchent à exclure Huawei, dont les concurrents principaux sont Nokia et Ericsson. La décision de Londres d’autoriser, tout en le jugeant « à risque », le groupe chinois à participer sous condition aux futurs réseaux 5G déployés au Royaume-Uni, aurait mis le président américain, Donald Trump, dans une « colère noire», a rapporté le Financial Times.
Le groupe Huawei est « une extension du Parti communiste chinois soumise à l’obligation légale de remettre des informations au Parti communiste chinois », avait commenté Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, après la décision britannique. « Nous en avons parlé longuement avec le Royaume-Uni au niveau politique et beaucoup au niveau de la sécurité nationale au cours des derniers mois », avait-il rappelé, avant d’estimer que « nous devrions avoir des systèmes occidentaux avec des règles occidentales et que les informations américaines ne devraient transiter que par un réseau de confiance. »
Lors de la conférence de Munich sur la sécurité, les 14 et 15 février, M. Pompeo a remis le dossier sur le tapis. « Huawei et d’autres entreprises technologiques chinoises soutenues par l’État sont des chevaux de Troie pour le renseignement chinois », a-t-il accusé.
Le chef du Pentagone, Mark Esper, est allé plus loin encore. « Le recours aux fournisseurs chinois de la 5G, par exemple, pourrait rendre les systèmes critiques de nos partenaires vulnérables aux perturbations, à la manipulation et à l’espionnage », a-t-il affirmé. « Cela pourrait également mettre en péril nos capacités de communication et de partage de renseignements et, par extension, nos alliances », a-t-il ajouté, en faisant allusion à l’Otan qui, en décembre, a évoqué pour la première fois la « montée en puissance de la Chine ».
En effet, la déclaration finale publiée à l’issue du sommet de l’Alliance organisé à Londres soulignait « l’influence croissante et les politiques internationales de la Chine ». En outre, les Alliés firent part de leur détermination « à garantir la sécurité de leurs communications, y compris la 5G, conscients de la nécessité de recourir à des systèmes sécurisés et résilients », dans les « limites de leurs compétences respectives. »
Enfin, M. Esper a également estimé que la « communauté mondiale devrait être profondément préoccupée par l’utilisation que fait Pékin de l’intelligence artificielle et des technologies pour surveiller et réprimer les minorités musulmanes, les journalistes et les manifestants pro-démocratie. »