L’attractivité des Armées minée par la croissance économique
« Engagez-vous, rengagez-vous qu’ils disaient… ». Le phénomène n’est pas neuf, le ministère des Armées éprouve depuis longtemps des difficultés à recruter et à fidéliser ses troupes. La croissance économique tend néanmoins à l’aggraver, forçant les Armées à redoubler d’inventivité pour se mesurer au secteur privé.L’équation se répète au gré des crises et accalmies financières: lorsque l’activité économique s’améliore, l’attractivité des carrières proposées dans la fonction publique s’érode, et vice versa. La période de contraction successive à la crise de 2008 a aujourd’hui laissé la place à une reprise dont les Armées ne profitent que trop peu. « Dans un environnement macroéconomique où la situation globale de l’emploi s’est améliorée dès l’année 2018, la tension sur les départs n’en a été que plus forte », alertait la ministre des Armées Florence Parly, la semaine passée en commission des Finances de l’Assemblée nationale. Et ce n’est pas près de s’améliorer car, selon les chiffres de l’Insse, la croissance économique s’est élevée à 1,7% en 2018 et devrait se maintenir en 2019. Rémunération élevées et conditions d’engagement avantageuses promises par les acteurs privés ont tôt fait d’étouffer dans l’oeuf l’éveil d’une vocation militaire, voire d’accentuer les départs.
La disette est telle qu’en 2018, la sous-exécution du titre 2 (dépenses de personnel) aura atteint près de 214M€, réalloués au financement des OPEX et OPINT. En d’autres termes, les départs tels qu’ils étaient prévus dans la LFI se sont avérés beaucoup plus importants que lors des prévisions. « En gros, il y a eu 4000 départs de plus que la Loi de finances initiale l’avait imaginé dans le schéma d’emploi qui sous-tendait le budget », explique la ministre des Armées. Dans ces départs supplémentaires, près de la moitié correspondent aux sous-officiers, « catégorie essentielle pour le bon fonctionnement de nos forces ». « Ces sous-officiers n’ont eu aucunes difficultés à répondre aux sirènes d’un certain nombre d’employeurs parce que les employeurs sont ravis de pouvoir trouver une main d’œuvre, si je puis dire, extrêmement formée », regrette-t-elle.
Alors oui, « la machine à recruter tourne à plein régime », rappelle la ministre des Armées, permettant de limiter le déficit à 583 ETP au 1er janvier 2019. Mais la situation reste des plus précaires dans quelques fonctions très spécialisées, tels que le cyber, le renseignement, les techniciens et mécaniciens. Attirer le chaland est d’autant plus compliqué pour ces deux dernières fonctions que le ministère doit désormais s’accommoder d’une BITD français elle-même appelée à engager massivement dans les mois et années à venir afin de répondre aux exigences de la LPM et à la bonne santé du marché export. « C’est une mauvaise nouvelle pour nos Armées parce que à court, moyen et long terme, si tout cela devait se reproduire, alors cela nous poserait une question d’attractivité », résume-t-elle.
Force de frappe, rémunérations et plan famille
Afin d’inverser la tendance, les Armées se sont dotées d’un plan d’attaque et d’une « force de frappe », une équipe entièrement dédiée à la compréhension des phénomènes précités. Dans l’immédiat, l’une des deux priorités sera de déterminer « ce que pouvons-nous faire pour réguler les départs ? ».
L’hôtel de Brienne planche premièrement sur l’amélioration de la dimension indemnitaire et de la flexibilité contractuelle. Par exemple, les spécialités soumises à de fortes tensions profitent depuis peu de la mise en place de primes de lien au service. Leur montant est variable et tient compte de « la loi du marché ». Son ampleur dépendra donc de l’offre et de la demande d’une spécialité précise. Dans des fonctions extrêmement critiques, le ministère des Armées prévoit l’allocation d’incitant financiers pouvant aller jusqu’à 25 000€ « afin d’essayer de les retenir au sein de l’institution militaire ». Les premiers effets de cette mesure ne sont pas attendus avant le deuxième semestre de cette année. D’autres procédures d’indemnisation devraient apparaître au fur et à mesure de l’implémentation de la LPM, dans le cadre d’une nouvelle politique de rémunération qui n’a pas encore été mise en oeuvre. « On y travaille », confirme Parly.
Autre mesure attendue: le renouvellement et l’adaptation des contrats. De fait, le ministère des Armées explore des pistes afin de proposer un engagement tenant aussi compte des projets que les militaires seraient susceptibles d’envisager à la suite de leur premier contrat. À cela s’ajoutent des mécanismes censés faciliter l’entrée dans la carrière pour un certain nombre de militaires contractuels, de même que la réforme du dispositif de retraite, source d’incertitude pour les militaires.
Selon Parly, la réponse résidera également dans les mesures promises par le plan famille, lancé en octobre 2017. Volet humain de la LPM 2019-2025, ce plan a vécu en 2018 une première année complète de mise en œuvre. Près de 80% des 46 mesures prévues ont connu des réalisations concrètes, tels que le Wifi gratuit en garnison, le portail e-social des Armées inauguré le 20 juin 2018 et l’installation des trois premières cellules d’information d’accueil des familles dans les bases de Nancy, Brest et Mourmelon. Et s’il fallait établir un palmarès des dispositifs ayant rencontré le plus grand succès: « le Wifi gratuit remporterait le concours haut la main ». Près de 108 000 « lits » en ont été équipés en 2018, et 137 000 d’ici 2020.
Nativement évolutif, le plan famille devrait prochainement connaître certains ajustements. Fin mars 2019, le ministère des Armées a ainsi lancé un appel à idées auprès de l’ensemble de la communauté militaire afin d’identifier les réagencements qui pourraient s’avérer nécessaires. L’objectif étant que chaque unité, chaque régiment, chaque base puisse bénéficier cette année d’un projet d’amélioration des conditions de vie relativement personnalisé. Les processus décisionnels devront pour cela s’approcher davantage du terrain et inclure directement les commandants de base.
Le SNU comme levier d’engagement ?
Et si la réponse aux soucis de recrutement résidait aussi dans la matérialisation du Service national universel ? Conçu, entre autres, pour « susciter une culture de l’engagement », le SNU pourrait devenir une « usine à vocations », à condition bien entendu d’en préciser le contour, les objectifs et le financement. Il devrait, à pleine vitesse, concerner 700 000 jeunes par an, ce que les Armées espèrent traduire par la signature de 10 000 contrats d’engagement.
« Malheureusement, il y a un risque qu’il faut dès à présent qu’on anticipe à la lumière des résultats de 2018, c’est l’âge du public ciblé par le SNU », déclarait le député LREM Thomas Gassilloud. Quand la Journée défense et citoyenneté (JDC) intervenait à la fin des études secondaire, soit en théorie à 18 ans, le SNU démarrera quant à lui à l’âge de 16 ans. « On aura beaucoup plus de mal à les recruter car ils pourront s’engager deux ans plus tôt, et à cet âge là on change beaucoup d’avis », s’inquiète-t-il.
La disparition de la JDC aggravera-t-elle la situation ? « Moi je ne le crois pas », tempère Parly. D’après celle-ci, quand bien même l’âge auquel le SNU sera ouvert, la durée de formation ou de sensibilisation aux questions de sécurité « sera très fortement enrichie ». « Certes, il y aura peut-être un petit délai entre le moment où nous aurons pu sensibiliser des jeunes et les intéresser à l’entrée dans une carrière militaire (…) Mais je pense que l’efficacité du dispositif sera beaucoup plus grande », ajoute-t-elle. Par ailleurs, pointe-t-elle, l’Armée recrute un nombre appréciable de jeunes avant 18 ans, « parce que nous avons, pour un certain nombre de postes, aucunes exigences en matière de formation préalable ».