Le secrétaire général de l’Otan ne veut pas d’une défense européenne « concurrente »
Suite à l’éviction de la France du marché des sous-marins australiens dans le cadre de la nouvelle alliance formée par l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis [AUKUS], le président Joe Biden avait assuré à son homologue français, Emmanuel Macron, qu’il estimait « nécessaire » que la défense européenne fût « plus forte et plus performante » afin de compléter le « rôle de l’Otan ». Pour le locataire de la Maison Blanche, il s’agissait alors de mettre un peu d’huile dans les rouages afin de mettre un terme à la crise diplomatique entre Paris et Washington.
Cela étant, le 28 septembre, et alors que la Grèce venait de signer une lettre d’intention pour l’achat de trois Frégates de défense et d’intervention [FDI] auprès de Naval Group, le président Macron remit une pièce dans la machine en appelant les Européens à « sortir de la naïveté » face aux choix stratégiques américains.
« Lorsque nous sommes sous l’effet de pressions de puissances qui parfois se durcissent, réagir, montrer que nous avons avec nous aussi la puissance et la capacité à nous défendre n’est pas céder à l’escalade, c’est simplement nous faire respecter », avait d’abord soutenu M. Macron, lors d’une conférence de presse tenue au côté de Kyriákos Mitsotákis, le Premier ministre grec.
Et d’enchaîner : « Les États-Unis d’Amérique sont des grands amis historiques et des alliés en termes de valeurs, mais nous sommes obligés de constater que depuis plus de dix ans, les États-Unis d’abord se concentrent sur eux-mêmes, et ont des intérêts stratégiques qui se réorientent vers la Chine et le Pacifique. […] C’est leur droit, c’est leur propre souveraineté. Mais nous serions là aussi naïfs, ou nous commettrions une terrible erreur, à ne pas vouloir en tirer toutes les conséquences pour nous-mêmes ».
Aussi, avait conclu M. Macron, « c’est avec le même pragmatisme et la même lucidité que nous devons, en tant qu’Européens, prendre notre part de nos propres protections. Ce n’est pas une alternative à l’alliance avec les États-Unis, pas une substitution, c’est assumer ce pilier européen dans le cadre de l’Otan. Il nous est demandé d’assumer davantage notre propre protection, je pense que c’est légitime. C’est donc à nous de le faire ».
Et à l’occasion du sommet de l’Union européenne, qui doit se tenir ce 6 octobre à Brdo [Slovénie], le président français entend bien mettre le sujet de la défense européenne sur la table.
« Nous avons des besoins de clarification et de réengagement » de la part des États-Unis. Mais nous avons besoin d’être clairs avec nous-mêmes sur ce que nous voulons pour nous, pour nos frontières, pour notre sécurité, pour notre indépendance énergétique, industrielle, technologique et militaire », a affimé M. Macron en arrivant en Slovénie. Et de souligner que l’UE devait « continuer à travailler de bonne foi avec ses partenaires historiques et ses alliés mais aussi continuer à accroître son indépendance, sa souveraineté.
Cependant, quasiment au même moment, lors d’une conférence donnée à l’université de Georgetown, à Washington, au sujet des conséquences de l’alliance AUKUS sur le lien transatlantique, le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a pris le contrepied du président Macron. Ce qui n’est pas surprenant, tant ses objections à l’égard des initiatives en faveur d’une défense européenne sont récurrentes.
« Je comprends que la France soit déçue » par la rupture du contrat relatif aux sous-marins australiens mais « en même temps, les alliés de l’Otan s’accordent sur notre objectif global qui est que nous devons rester unis », a commencé par dire M. Stoltenberg. « Je ne crois pas aux efforts pour créer quelque chose en dehors du cadre de l’Otan, ou pour concurrencer ou dupliquer l’Otan », a-t-il ensuite estimé.
En outre, M. Stoltenberg a une nouvelle fois souligné que 80% des dépenses militaires de l’Otan sont effectuées par des pays non-membres de l’UE, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la Turquie et la Norvège [dont il fut le Premier ministre, ndlr].
Et il a également rappelé la dimension géographique. « La Turquie au sud, la Norvège et l’Islande au nord, et à l’ouest les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni. Si vous regardez sur une carte, ils sont importants pour la protection de l’Europe entière », a fait valoir le secrétaire général de l’Alliance atlantique. « Toute tentative d’affaiblir le lien transatlantique en créant des structures alternatives, en disant qu’on peut se débrouiller tout seuls, va non seulement affaiblir l’Otan, mais cela va aussi diviser l’Europe », a-t-il mis en garde.
D’autres pays de l’UE – à commencer par ceux de la Baltique – ne sont sans doute pas loin de penser comme M. Stoltenberg… En outre, et alors que la France avait tenté de la faire reporter pour manifester sa mauvaise humeur après le coup des sous-marins australiens, une réunion du « Trade and Technology Council », s’est tenue à Pittsburg, entre l’Union européenne et les États-Unis, afin de renouer le dialogue entre les deux rives de l’Atlantique.
« Sur la base de nos valeurs démocratiques communes et de la plus grande relation économique du monde, nous avons travaillé dur […] pour identifier les domaines dans lesquels nous pouvons prendre des mesures concrètes afin de garantir que les politiques commerciales et technologiques profitent à nos populations », a-t-il été indiqué dans le communiqué publié à l’issue de cette réunion, à laquelle ont participé les commissaires européens chargés du numérique et du commerce; à savoir Margrethe Vestager et Valdis Dombrovskis.
Et de préciser que dix groupes de travail seront mis en place pour discuter de « la coopération en matière de normes technologiques, des défis du commerce mondial et la sécurité de la chaîne d’approvisionnement, du climat et des technologies vertes, de la sécurité et la compétitivité des technologies de l’information et de la communication, de la gouvernance des données et des plateformes technologiques, de l’utilisation abusive des technologies menaçant la sécurité et les droits de l’homme, des contrôles à l’exportation, du filtrage des investissements, ainsi que de l’accès aux technologies numériques et leur utilisation par les petites et moyennes entreprises ».