L’US Army sonne le glas de l’artillerie tractée

L’US Army sonne le glas de l’artillerie tractée

« Nous avons assisté à la fin de l’efficacité de l’artillerie tractée ». C’est en ces termes que le Général James Rainey, chef du Commandement des contrats à terme de l’armée américaine, s’est exprimé lors du symposium Global Force de l’Association of the US Army.

Selon le général américain, en dépit de l’abandon récemment annoncé du super-canon du programme Extended Range Cannon Artillery (ERCA), l’US Army se prépare à des transformations majeures en matière d’artillerie, mais se détourne désormais de l’artillerie tractée, jugée, non sans raison objective, trop vulnérable.

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La guerre en Ukraine a remis l’artillerie au centre du combat aéroterrestre

Comme ce fut le cas des chars et de l’infanterie mécanisée, l’artillerie a été négligée par de nombreuses armées, en particulier en occident, ces 30 dernières années. Ainsi, la majorité des armées de l’OTAN, y compris l’US Army, utilisent encore, aujourd’hui, des systèmes d’artillerie conçus durant la guerre froide, comme le M109 américain, l’AS 90 britannique, ou les 2S3 et 2S19 soviétiques en Europe de l’Est.

2S39 Koalitsiya-SV
L’US Army doit répondre à l’entrée en service de nouveaux systèmes d’artillerie, comme le PCl-181 chinois, ou le 2S35 Koalitsiya-SV, aux performances supérieures à celles de son M109.

Engagées sur des théâtres dissymétriques, face à des adversaires ne disposant que de peu d’artillerie et d’aucune aviation, ces armées ont évolué d’un appui feu procuré par l’artillerie, vers celui apporté par l’aviation ou les hélicoptères de combat. Même sur des théâtres relativement intenses, comme en Irak ou en Syrie, la suprématie aérienne occidentale, tout comme russe en Syrie, n’a jamais été remise en question.

La guerre en Ukraine a profondément bouleversé ces paradigmes. Bien que disposant d’une force aérienne très inférieure en nombre, Kyiv est, en effet, parvenu à contenir, pendant plus de deux ans, la puissance aérienne russe et son millier d’avions de combat et d’attaque, à l’aide d’un réseau de défense aérienne dense et efficace.

Il en fut de même, d’ailleurs, concernant les forces aériennes ukrainiennes par la DCA russe. Les deux forces aériennes ont été contraintes, par ces défenses antiaériennes, d’opérer à distance de la ligne d’engagement, qu’il s’agisse des avions de combat ou des hélicoptères d’attaque, rendant beaucoup plus difficile le support aérien rapproché.

Cette fonction revint pleinement à l’artillerie, comme le veut, d’ailleurs, la doctrine soviétique. Elle devint, très vite, le pivot du rapport de force dans la guerre en Ukraine, avec comme mètre étalon, le nombre de tubes disponibles, ainsi que les stocks d’obus de 152 et de 155 mm.

L’artillerie tractée trop vulnérable face à la contrebatterie et aux drones

Si l’artillerie a retrouvé son rôle décisif sur le champ de bataille en Ukraine, elle a également payé un lourd tribut à son utilisation intensive depuis deux ans. Ainsi, selon le site Oryx, 350 systèmes d’artillerie tractés, 700 systèmes automoteurs et plus de 360 lance-roquettes multiples russes auraient été détruits, endommagés ou abandonnés depuis février 2022, soit la moitié de l’inventaire théorique des armées de Moscou, en début de conflit.

Artillerie tractée M777
Plus économique, l’artillerie tractée est également beaucoup plus vulnérable. En Ukraine, presque la moitié des 186 M777 livrés par les Etats-Unis ont déjà été détruits ou endommagés.

L’Ukraine, pour sa part, aurait perdu, selon le même site et avec la même méthodologie, 190 systèmes tractés, 310 systèmes autotractés et une soixantaine de lance-roquettes multiples.

Si ces chiffres semblent montrer une plus grande attrition des canons automoteurs, ils masquent, en réalité, la grande vulnérabilité de l’artillerie tractée, bien moins nombreuse sur le champ de bataille, et subissant des taux de pertes beaucoup plus élevés que l’artillerie mobile.

Ainsi, les armées ukrainiennes auraient perdu 82 des 186 canons tractés M777 de facture américaine, livrés entre mai 2022 et l’été 2023, soit un taux d’attrition de presque 42 %. Le canon porté sur camion Caesar français, livré à 49 exemplaires sur la même calendrier, n’a enregistré que 8 pertes, soit un taux d’attrition de 16 %, plus de deux fois et demi inférieur à celui du canon américain, et sensiblement égal à celui du Pzh 2000 allemand.

Le canon de 52 calibres du Caesar explique, en partie, cette plus grande résilience, le Pzh 2000 allemand et l’archer suédois enregistrant, eux aussi, une attrition moindre et comparable au canon français. Sa grande mobilité participe tout autant à celle-ci.

CAESAR Ukraine
Le CAESAR représente davantage une évolution de l’artillerie tractée, dont il reprend la souplesse et les faibles couts, tout en gommant ses faiblesses, qu’une alternative à l’artillerie automotrice blindée.

Ainsi, il ne faut que deux minutes au Caesar pour se mettre en batterie, tirer six obus, et quitter le poste de tir, un délai trop court pour l’artillerie de contrebatterie russe. Il faut, à l’inverse, près de cinq minutes au M777 pour faire de même, avec un équipage très entrainé, laissant le temps aux radars de contrebatterie, voire aux drones russes, de localiser l’origine du tir, et de l’engager.

Même le tir sous casemate, ou à partir d’emplacements préparés et protégés, ne suffisent plus à compenser le manque de mobilité de l’artillerie tractée, alors que les munitions rôdeuses et les obus guidés peuvent, désormais, frapper des cibles avec une précision de quelques mètres, voire moins.

Mobilité, allonge et précision : les trois clés de l’efficacité de l’artillerie moderne

Il n’y a donc rien de surprenant à ce que le général Riley, dans son allocution lors du symposium Global Force, ait fait de la mobilité, de l’allonge et de la précision, les trois clés de l’efficacité de l’artillerie aujourd’hui, et pour les années à venir.

L’allonge permet non seulement de frapper des cibles dans la profondeur du dispositif adverse, mais elle permet de le faire tout en restant hors de portée des systèmes d’artillerie adverses, censément moins évolués. Ainsi, les systèmes européens Caesar, Pzh2000 et Archer, et leur canon de 52 calibres, peuvent atteindre des cibles à 40 km avec des obus classiques, contre 25 km pour le M109, le 2S19 Mstas-s, ou le M777.

M109 Ukraine
Les M109 envoyés en Ukraine par les Etats-Unis et ses alliés, ont eux aussi, soufferts de taux d’attrition élevés, sans atteindre ceux du M777 cependant.

La précision assure d’obtenir un résultat identique, avec un nombre d’obus plus réduit. Outre une consommation plus réduite du nombre d’obus, que l’on sait stratégique, ces systèmes peuvent évacuer plus rapidement la zone de tir, pour éviter le tir de contrebatterie. Enfin, un nombre plus réduit de systèmes d’artillerie, suffit à atteindre un résultat similaire, produisant, de fait, un effet multiplicateur de forces.

La mobilité, enfin, offre une grande souplesse opérationnelle aux artilleurs, tout en réduisant le temps d’exposition des systèmes face au risque de contrebatterie. À ce titre, une majorité des Caesar détruits ou endommagés en Ukraine, l’ont été, non par des tirs d’artillerie, mais par des munitions rôdeuses Lancet. Là encore, la mobilité agit comme un multiplicateur de forces, en permettant à une pièce, d’opérer efficacement sur un périmètre plus élargi.

Reste que si l’artillerie tractée est beaucoup plus vulnérable que l’artillerie automotrice, elle subsistait dans les inventaires des armées, en raison de certaines qualités propres, comme sa capacité à être aisément projetée, y compris par avion, et surtout, du fait de son prix, bien plus accessible.

En effet, le M777 coute 4 fois moins cher que le M109 Paladin, et presque 6 fois moins cher qu’un Pzh 2000. Lorsque la masse est un enjeu décisif, comme en Ukraine, cet aspect économique ne peut pas être ignoré.

Le canon porté, successeur désigné de l’artillerie tractée

C’est pour répondre à cette double contradiction, que le français GIAT Industrie, devenu depuis Nexter, puis KNDS-France, a conçu le CAmion Équipé d’un Système d’ARtillerie, le CAESAR, qui aujourd’hui montre toute son efficacité aux mains des artilleurs ukrainiens.

CAESAR
La mobilité du canon porté, s’étend à sa capacité de projection, y compris par aéronef. Ainsi, un M109 pèse dix tonnes de plus qu’un Caesar, un PZH 2000, 20 tonnes.

Celui-ci devait permettre de remplacer le canon tracté TR-F1 de l’Armée de terre, conservant sa souplesse d’emploi et ses couts réduits, tout en gommant ses faiblesses, avec une mobilité largement accrue, une plus grande allonge grâce à son tube de 52 calibres, et une précision exceptionnelle, grâce à un nouveau calculateur balistique inertiel recalé par GPS.

Le succès commercial et opérationnel du CAESAR, y compris en Ukraine, démontre que les ingénieurs français sont parvenus à relever ce défi, y compris dans le domaine des couts, un CAESAR coutant de 4 à 5 m€, un peu plus qu’un M777, et toujours 4 fois moins cher qu’un M109 et cinq fois plus économique qu’un PZH 2000.

Le concept du canon porté a, depuis, été repris par de nombreux industriels, en suède avec L’Archer, en Allemagne avec le RCH-155, en Israël avec l’Atmos, en Chine avec le PCL-181, et même en Russie, avec le 2S43 Malva. Les États-Unis ont, pour leur part, développer le Brutus, une référence directe au Caesar français, sans pour autant en avoir les qualités.

Quel avenir pour l’Artillerie de l’US Army ?

À l’occasion de ce symposium, le général Riley a donné les axes poursuivis par l’US Army en matière de modernisation de son artillerie, après l’arrêt du programme de super-canon ERCA.

M109-52
Le M109-52 de BAE systems, equipé du canon L52 de Rheinmetall, est certainement l’hypothèse privilégiée, aujourd’hui, pour faire évoluer son M109.

Comme on pouvait s’y attendre, la piste privilégiée, aujourd’hui, repose sur le développement de nouvelles munitions de précision à propulsion additionnée, permettant d’accroitre la portée et la précision de chaque tir, avec le remplacement du tube de 39 calibres du M109, par un tube de 52 calibres.

Les industriels sont déjà prêts à répondre à cette demande. Ainsi, BAe, associé à Rheinmetall, propose une version du M109A7, baptisée M109-52, équipé du canon L52 de Rheinmetall qui équipe déjà le Pzh2000.

Apparemment, celui-ci s’est montré particulièrement résistant en Ukraine, supportant plus du triple du nombre de tirs prévus, sans altération de la portée, de la précision ou de la sécurité. La Corée du Sud, mais aussi Israël et Krauss-Maffei Wegmann, seraient également dans les rangs, pour proposer des solutions sur étagère, à l’US Army.

Toutefois, dans le même temps, le général Riley a laissé entendre que l’US Army pourrait aussi se tourner vers une solution plus légère et mobile que son M109, destinée à évoluer aux côtés des Stryker 8×8 au sein des brigades d’infanterie, ou des unités d’assaut.

Ce cahier des charges pourrait correspondre à l’ATMOS israélien, mais aussi, et surtout, au CAESAR français, qui a fait de la mobilité son ADN, en tant qu’alternative, non aux canons automoteurs, mais à l’artillerie tractée. À suivre donc…

Article du 28 mars en version intégrale jusqu’au 5 mai 2024