Mme Parly promet des sanctions aux généraux de deuxième section ayant signé un texte polémique
En 2016, l’écrivain Laurent Obertone a publié le roman « Guerilla », dans lequel il décrit l’enchaînement qui mène à une guerre civile en France à la suite d’une descente de police dans une banlieue qui tourne mal. En trois mois, ce livre, qualifié de « sulfureux » par certains, s’est vendu à plus de 50.000 exemplaires, sans la moindre publicité.
Une guerre civile? C’est ce que redoutent une vingtaine de généraux en deuxième section [2S] qui viennent de publier une tribune pour interpeller les responsables politiques [et le président de la République au premier chef] sur le « délitement qui frappe » la France.
Et de citer la « haine entre communautés » alimentée par un « certain antiracisme » ainsi que, pour résumer, par la « cancel culture », « l’islamisme et les hordes de banlieue », qui entraînent « le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre Constitution », et la « haine » qui « prend le pas sur la fraternité lors de manifestations où le pouvoir utilise les forces de l’ordre comme agents supplétifs et boucs émissaires face à des Français en gilets jaunes exprimant leurs désespoirs. »
Pour ces généraux 2S, « ceux qui dirigent notre pays doivent impérativement trouver le courage nécessaire à l’éradication de ces dangers. Pour cela, il suffit souvent d’appliquer sans faiblesse des lois qui existent déjà ». Faute de quoi, préviennent-ils, « demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers. »
Aussi, une telle issue, poursuivent-ils, provoquera « l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national. » Et d’affirmer être « disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation. »
Ce risque décrit dans l’appel de ces généraux en deuxième section rejoint par certains côtés les propos tenus par Gérard Collomb au moment de céder ses fonctions de ministre de l’Intérieur, en octobre 2018. « On vit côte à côte, je crains que demain on ne vive face à face, nous sommes en face de problèmes immenses. […] Je suis allé […] des quartiers nord de Marseille, au Mirail à Toulouse , la situation est très dégradée, c’est plutôt la loi du plus fort qui s’impose, des narcotrafiquants, des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République », avait-il dit.
Cette tribune, également signée par « une centaine de hauts-gradés et plus d’un millier d’autres militaires » dont on ignore s’il sont encore de l’active, a été publiée initialement par le site « Place d’Armes« , animé par l’ex-capitaine Jean Pierre Fabre Bernadac. Elle a ensuite été diffusée dès le 8 avril par d’autres publications, dont le « Journal d’Aix-les-Bains« .
Mais c’est sa reprise par l’hebdomadaire conservateur « Valeurs Actuelles« , le 21 avril, qui aura suscité la polémique. D’autant qu’elle a trouvé un écho auprès de Marine Le Pen, candidate déclarée du Rassemblement nationale à la prochaine élection présidentielle. « Je vous invite à vous joindre à notre action pour prendre part à la bataille qui s’ouvre, qui est une bataille certes politique et pacifique, mais qui est avant tout la bataille de la France », a-t-elle affirmé, en s’adressant aux signataires de cette tribune. C’est une « opération de racolage » a dénoncé le site Place d’Armes.
Toujours est-il que cette tribune a été vue comme un appel à l’insurrection par une partie de la classe politique. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon a dénoncé la « stupéfiante déclaration de militaires s’arrogeant le droit d’appeler leur collègue d’active à une intervention contre les islamogauchistes. Il est temps de se mobiliser pour défendre les valeurs que ces gens piétinent. » Même ton chez le député Eric Coquerel. « Des militaires appellent à une chasse aux sorcières, à une éradication, à défendre des ‘valeurs civilisationnelles’ à rebours de la République, ça finit sur une menace de guerre civile, Le Pen salue ces apprentis factieux et ? Rien. On se réveille? », a-t-il lancé.
« La démocratie française et bel et bien menacée », a réagi Aurélien Taché [ex-LREM]. Et, pour Benoît Hamon, « 60 ans après le début du putsch d’ALGER, 20 généraux menacent explicitement la République d’un coup d’État militaire. Marine Le Pen les appelle à la rejoindre. Aucune réaction de Florence Parly, Jean Castex, ni Emmanuel Macron ».
La ministre des Armées a réagi en deux temps. D’abord, via Twitter, le 25 avril. « Deux principes immuables guident l’action des militaires vis-à-vis du politique : neutralité et loyauté. Les mots de madame Le Pen reflètent une méconnaissance grave de l’institution militaire, inquiétant pour quelqu’un qui veut devenir cheffe des armées », a-t-elle affirmé. Et d’ajouter : « Précisons que Marine Le Pen joue sur une confusion qui l’arrange : la tribune irresponsable publiée dans Valeurs Actuelles est uniquement signée par des militaires à la retraite, qui n’ont plus aucune fonction dans nos armées et ne représentent qu’eux-mêmes. »
Puis, le lendemain, à l’antenne de franceinfo, Mme Parly a fustigé la tribune en question, y voyant une « insulte […] jetée à la figure de milliers de militaires à travers cette tribune. » Et d’annoncer des sanctions.
« Les généraux à la retraite sont astreints à un devoir de réserve. C’est dans le statut des militaires. […] Pour les militaires qui ont enfreint le devoir de réserve, des sanctions sont prévues et s’il y a des militaires actifs parmi les signataires, j’ai demandé au chef d’Etat-major des Armées d’appliquer les règles qui sont prévues dans le statut des militaires, c’est-à-dire des sanctions, car ce sont des actions qui sont inacceptables », a en effet déclaré Mme Parly.
Cela étant, la ministre fait une confusion entre les généraux placés en deuxième section, tenus à un devoir de réserve car ils restent à la disposition du ministre des Armées, qui peut faire appel à eux en cas de nécessité, et les généraux effectivement en retraite, qui sont donc des citoyens comme les autres.
Les généraux 2S qui ont signé cette tribune sont donc désormais exposés à un risque de sanction, qui va d’un simple blâme à la radiation des cadres. C’est ce qui était arrivé au général Christian Piquemal [par ailleurs signataire de l’appel en question] pour avoir participé à une manifestation – interdite – du mouvement des « Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident » [Pegida], en février 2016.
Pour rappel, en 2019, le général François Lecointre, chef d’état-major des Armées [CEMA], s’en était pris aux généraux de deuxième section qui, à ses yeux, prenaient quelques libertés avec leur statut, y voyant une « remise en cause de la stricte neutralité politique des armées, qui est fondamentale et que nous devons préserver comme un bien extrêmement précieux. »