Préparation opérationnelle : les déficits ne seront pas résorbés avant fin 2023
L’armée de Terre peine toujours à atteindre ses objectifs annuels en matière de préparation opérationnelle, révèle un récent rapport parlementaire. Si le contrat opérationnel est rempli année après année, le déficit d’entraînement s’est encore aggravé en raison de la crise sanitaire et de Sentinelle, avec à la clef de nouveaux décalages qui ne seront pas rattrapés avant fin 2023.
Un enjeu brûlant pour les armées françaises
La préparation opérationnelle constitue « l’un des enjeux brûlants pour les armées françaises, dès maintenant mais surtout pour les années à venir », rappelait la députée LREM Aude Bono-Vandorme dans un rapport consacré au budget opérationnel des armées pour l’exercice 2020. Cet enjeu ira croissant au vu des défis imposés par un retour aux engagements de haute intensité, synonymes de réappropriation des compétences du haut du spectre et donc d’entraînements plus complexes, plus longs et plus « durcis ».
Or, que ce soit pour l’armée de Terre, l’Armée de l’Air et de l’Espace ou la Marine nationale, le compte n’y est pas encore. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Pour les forces terrestres, l’indicateur de performance « Journées de formation et d’entraînement » (JFE), introduit en 2020, s’élève à 118 jours. Celui relatif aux « Journées de préparation opérationnelle » (JPO) plafonne à 79 jours. C’est, dans les deux cas, deux jours en deçà de la cible 2020. Et si celui des JFE est proche de l’objectif, manquent 11 points de JPO pour parvenir à la norme fixée par la loi de programmation militaire 2019-2025 (LPM).
L’écart se creuse davantage pour les taux d’entraînement des équipages sur les matériels terrestres, dont les cibles ont été revues à la baisse en 2020. Là aussi, certains chiffres sont en baisse. Il était ainsi de 49 pour un VBCI, quatre points en dessous de l’objectif établi pour 2020. Et loin, très loin de la norme à atteindre en fin de LPM, 130. Idem pour le CAESAR, en recul de cinq points à 63 et loin du niveau exigé de la LPM, 110.
Pas de rattrapage avant fin 2023
Plusieurs facteurs expliquent ces tensions apparues dès 2015 dans le cas de l’armée de Terre. Aux déficit de disponibilité de matériels (DTO), stocks de munition limités et niveau engagement particulièrement élevé sont venus se superposer la crise du Covid-19 et, plus récemment, le renforcement provisoire de Sentinelle.
Les soucis de DTO et de munitions sont connus. Les véhicules sont rincés suite à un niveau d’engagement élevé, attrition renforcée par l’âge de certains parcs et par les conditions climatiques difficiles rencontrées au Sahel. Les coûts de maintien partent donc à la hausse, à l’inverse de la disponibilité. Certains stocks de munitions, essentiellement relatifs aux matériels anciens, sont quant à eux si faibles que « parfois, lors d’une journée de préparation opérationnelle, un seul tir est effectué », pointe le rapport.
Les mesures de confinement drastiques prises l’an dernier ont elles-aussi eu un impact négatif, obligeant l’armée de Terre « à réorienter la préparation opérationnelle interarmes et interarmées vers la préparation opérationnelle métier en garnison, pour garantir l’atteinte des objectifs de préparation opérationnelle tout en limitant les déplacements », souligne madame Bono-Vandorme.
Le déclenchement de Sentinelle s’était d’emblée traduit par « une forte baisse » des passages par les centres d’entraînement spécialisés, pourtant à forte valeur ajoutée. Les adaptations successives du dispositif n’auront fait qu’accroître la pression. Ainsi, le renforcement opéré entre novembre 2020 et avril 2021, qui avaient vu les effectifs de la mission passer de 3000 à 7000, aura conduit à l’annulation d’un quart des rotations en centre d’entraînement spécialisé. Résultat : une dette complémentaire qui ne sera pas résorbée avant fin 2023.
Même son de cloche pour les activités bilatérales et internationales, cette fois en raison du Covid-19. Fermeture des frontières oblige, 13 exercices internationaux ont été annulés en 2020. En résulte une diminution de 30% des activités planifiées qui ne devrait pas être rattrapée avant le second semestre de 2023, année durant laquelle se tiendra l’exercice interalliés majeur Orion souhaité par l’ex-CEMAT et nouveau CEMA, le général Thierry Burkhard.
La préparation au cœur de l’actualisation de la LPM
Alors CEMAT, le général Burkhard avait donné le ton dans sa Vision stratégique, jugeant impératif de « renforcer la préparation opérationnelle de nos armées, afin qu’elles puissent s’entraîner mieux pour faire face de manière plus complète et plus agile à l’ensemble du spectre des menaces y compris dans la perspective de conflit de plus haute intensité ».
Une ligne reprise quelques mois plus tard par la ministre des Armées, Florence Parly. Le sujet est à ce point sensible qu’il est devenu l’un des trois principaux axes d’ajustement de la LPM évoqués en mai dernier. Selon celle-ci, les armées ont en effet besoin « d’un entraînement plus conséquent et plus sophistiqué, notamment dans les nouveaux espaces de conflictualité. »
Et la ministre des Armées d’énumérer les points d’attention rassemblés au sein d’un axe baptisé « mieux se préparer ». « L’effort en cours sur la disponibilité des matériels doit être poursuivi, afin de permettre de multiplier les entraînements au quotidien et perfectionner les scénarios de préparation. Il nous faudra renforcer le recours à la simulation. Cela passera par un investissement dans les centres de préparation à la simulation. »
Chantiers en cours et nécessaire appoint budgétaire
Côté DTO, la dynamique engagée par le projet MCO-T 2025 commence à porter ses fruits. De nouveaux modèles de contractualisation ont déjà donné satisfaction. Le marché de soutien en service du Leclerc (MSS XL), par exemple, a ainsi permis d’augmenter significativement la disponibilité du parc. Le marché MSS 2, entré en vigueur le 1er avril, apporte des exigences renforcées. Des gains supplémentaires sont attendus dans les années à venir.
À cette nouvelle politique s’ajoutent des travaux d’actualisation de la LPM concrétisés en 2022 et 2023 pour compenser une partie du décrochage occasionné l’an dernier. Les gains d’activité seraient de +20% pour les chars Leclerc, de +22% pour les AMX-10RC et de +41% pour les VAB, indique la députée Bono-Vandorme.
Qu’il s’agisse de la DTO ou des munitions, infléchir la trajectoire d’activité nécessiterait d’injecter plusieurs centaines de millions d’euros supplémentaires sur la période 2022 à 2025. D’après le rapport, la facture serait de 129 M€ pour l’entretien programmé des matériels terrestres, 75 M€ pour l’entretien programmé des matériels aéronautiques et 78 M€ en munitions. Les chars Leclerc, VAB et AMX-10RC en seraient les premiers bénéficiaires.
Les armées font par ailleurs état d’un besoin croissant pour des outils de simulation. Une simulation de meilleure qualité, en sus de la préparation classique sur terrain et non pas en remplacement de celle-ci. Cela tombe bien, le programme Scorpion est conçu pour moderniser le segment simulation et l’amener au plus près de l’utilisateur. Ce sont, hormis de nouvelles cabines et la construction d’infrastructures dédiées dans chaque régiment, le système SEMBA, qui embarquera la simulation dans le véhicule Scorpion.
La députée Bono-Vandorme propose d’aller bien au-delà avec l’allocation de moyens adéquats « pour le développement d’un écosystème de simulation partagée interarmes mais aussi interarmées. Ce système permettra d’opérer un bond qualitatif par rapport aux capacités actuelles de préparation simulée. »
Des recommandations pour Sentinelle
Quant aux modalités de mise en œuvre de Sentinelle, la question semble aujourd’hui en suspens au sein du ministère des Armées. Dans les rangs parlementaires par contre, on se veut force de propositions. Dans l’immédiat, la députée Bono-Vandorme suggère d’établir une durée maximale dans la réquisition d’un renfort Sentinelle. Passée cette durée, la diminution de l’engagement se ferait automatiquement et éviterait une incertitude dommageable, notamment lorsqu’il s’agit du passage des unités en centre d’entraînement spécialisé.
À moyen terme, une solution plus ambitieuse serait « d’accélérer l’évolution de Sentinelle vers une capacité d’action rapide de certaines unités de l’armée de Terre en remplacement de la pratique actuelle de la patrouille ». Cette transformation contribuerait à soutenir une « culture de l’alerte et de la défense du territoire national » tout en libérant des moyens humains et budgétaires pour la préparation opérationnelle.
D’autres propositions pourraient émerger d’une mission d’information parlementaire consacrée à la préparation à la haute intensité, mission dont les travaux ont démarré le mois dernier. Les conclusions et éventuelles recommandations sont attendues pour l’automne prochain.