Quand la bêtise réinvente le fascisme

Quand la bêtise réinvente le fascisme

par Gilbert Robinet (*) – Esprit Surcouf – publié le 2 juin 2023
Général de Division (2S)

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L’auteur n’y va pas avec le dos de la cuillère. Si on le comprend bien, les agissements du parti « La France insoumise » revêtent une connotation fascisante. Comme toujours dans cette rubrique, les propos n’engagent que leur auteur. Si nous publions ce texte, c’est que nous mettons un point d’honneur à donner la parole à toutes les opinions, à tous les « coups de gueule », à condition qu’ils soient étayés par des faits indiscutables.

En 1976, un film de Joseph Losey, Monsieur Klein, avec Alain Delon dans le rôle titre, créait un certain trouble chez les Français. On y voyait un homme qui, sous l’occupation allemande et le régime de Vichy, était considéré comme juif du fait de son patronyme alors qu’il ne l’était pas. Il subit néanmoins le sort réservé à ces derniers. Dans ce film, la symbolique était très forte, puisqu’on y dénonçait l’incapacité des Français de l’époque à se mettre « à la place » des juifs qui furent déportés en masse, de même que l’attitude d’une partie de la population française qui a exploité leur malheur.  

De nos jours, le lundi 15 mai au soir à Amiens, un homme de trente ans a été roué de coups au seul motif que, petit-neveu de l’épouse du président de la République, il porte le nom de jeune fille de cette dernière.

Que l’on ne s’y trompe pas ! Dans les deux cas, c’est bien la même horrible et imbécile démarche qui est en cause : celle consistant à s’en prendre à la vie d’un homme à cause du nom qu’il porte.

Un jeu dangereux

C’est un nouvel épisode d’une dérive inquiétante, qui consiste à introduire de plus en plus la violence dans le champ politique. Ainsi, le 9 janvier 2023, un député de la France insoumise se met en scène dans un tweet le pied posé sur un ballon à l’effigie du ministre du travail d’alors. Puis, le 7 mai, un conseiller général du même parti entraîne un groupe de manifestants à reprendre après lui le slogan suivant : « Louis XVI on l’a décapité, Macron on peut recommencer ! ». Les deux auteurs de ces actions, revendiquées comme de nature révolutionnaire, ont minimisé l’importance de leurs actes qu’ils voulaient symboliques. Mais des responsables politiques ne peuvent pas ignorer que la violence symbolique conduit infailliblement à la violence physique.

Certains partis politiques, à la télévision, jouent un double jeu en condamnant les violences mais en en imputant la responsabilité au seul président de la République, ce qui est une façon habile d’en exempter leurs véritables auteurs. Les responsables de ces mouvements devraient relire leurs livres d’histoire et, en particulier, ceux traitant des années 1930. Le parallèle est en effet frappant. Le nationalisme d’extrême droite resurgit en Europe, en particulier en Italie, en Hongrie, en Pologne, en Belgique, en Grèce et même à Malte. Une guerre aux confins de notre continent, dont le prétexte est la récupération par la Russie de territoires à fortes minorités russes, nous fait immédiatement penser à l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne en mars 1938, suivie de celle des Sudètes en août de la même année.

Cette guerre en Ukraine n’a pas manqué d’avoir des effets, même dans les démocraties les plus stables comme la nôtre. Ne serait-ce qu’à travers une augmentation galopante des prix, en particulier alimentaires, générée par des pénuries de produits ou encore par une forte croissance des coûts de l’énergie. Les catégories sociales les plus modestes basculent dans la pauvreté. Près d’un Français sur six dit ne pas manger à sa faim.

Revoilà le fascisme

Tout cela constitue un terreau propice à la résurgence d’une nouvelle forme de fascisme, qui se développe en transformant le désespoir des couches sociales déclassées en l’espoir d’un ordre nouveau, alternatif à l’ordre établi. Le nouvel adage qui se répand au café du commerce réside en l’axiome suivant : « je ne suis pas d’accord avec la politique suivie, je le clame haut et fort, et comme on ne m’entend pas, je casse. » L’idée que seule la violence est entendue et permet d’obtenir quelque chose fait tache d’huile.

De nos jours, un maire, en l’occurrence celui de Saint-Brevin-les-Pins, voit sa maison et ses voitures incendiées, reçoit régulièrement des menaces de mort et doit faire face à des meutes de manifestants cagoulés et arborant la croix celtique parce que, sur ordre de l’Etat, un centre d’accueil pour migrants doit être implanté sur sa commune. Là, nous sommes bien confrontés à une dérive fasciste selon l’une des définitions du dictionnaire : « Attitude autoritaire, arbitraire, violente et dictatoriale imposée par un groupe quelconque à son entourage. »

Et puis, il y a cet autre fait marquant et révélateur puisqu’il signe systématiquement le retour du fascisme, c’est l’antisémitisme. On croyait celui-ci non pas éradiqué, mais au moins en sommeil, depuis l’assassinat devant son école et la décapitation du professeur Samuel Paty en octobre 2020. Mais il n’en est rien et cette lèpre est toujours présente, comme en témoignent les lettres reçues par la présidente de l’Assemblée nationale, madame Yaël Braun-Pivet, où parmi des tombereaux d’injures figurent en bonne place, et souvent répétée, la formule « sale Youpine ».

La violence en politique, ou la politique de la violence :

En 2022, quelque 2 265 plaintes et signalements pour violence verbale ou physique contre des élus ont été recensés par le ministère de l’Intérieur, contre 1 720 en 2021, soit une hausse de 32 %. Cette aggravation de la conflictualité en politique est le signe que notre démocratie est malade. Comment expliquer cet accès de fièvre contre les représentants de la Nation, qu’ils soient nationaux ou locaux ?  La responsabilité en revient peut-être aux élus eux-mêmes, ou à certains d’entre eux. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer le lamentable spectacle offert dans l’hémicycle de l’Assemblée national pendant les 175 heures consacrées au « débat » à propos de la réforme des retraites.

Mais l’État est tout aussi responsable, car il laisse s’installer la radicalité des modes d’action destinés à faire entendre des revendications ou des colères. Les manifestations encadrées par les services d’ordre des syndicats, incapables d’empêcher les débordements avec leurs lots de casses de vitrines ou d’incendies de poubelles, ne semblent guère émouvoir le pouvoir qui, par ailleurs, ne sait pas protéger efficacement ses agents. Pour ne citer que les deux exemples précédents, l’assassinat de Samuel Paty et l’affaire du maire de Saint-Brevin, ils sont le fait de la défaillance de l’Etat. Au quotidien, ce sont la démocratie et les institutions qui sont de plus en plus souvent attaquées et leurs atteintes insuffisamment sanctionnées. La violence croissante au sein des relations sociales et institutionnelles traduit l’impuissance de l’Etat et une impossibilité de plus en plus grande à « faire commun ».

Revenons au mot fascisme appliqué à notre société d’aujourd’hui. D’aucuns, plus effrayés par le mot que par la chose et s’accrochant à sa genèse dans l’Italie de Mussolini pour en donner une définition « pure », le réfutent. Ce refus de l’envisager est une affaire de tabou ou de déni en même temps que de champ d’application, car tous les ingrédients sont là et, en particulier : la xénophobie, la tentation de l’ordre, la désillusion du monde ouvrier et paysan et la désagrégation de l’État.

Certes, il n’y a pas de fascisme d’État en France. Cependant, les dernières élections législatives ont donné une chambre où deux extrêmes s’affrontent, l’un se qualifiant d’anti fascistes et désignant ainsi implicitement l’autre. Or, c’est surtout le premier qui fait de l’obstruction systématique à l’Assemblée et qui énonce de façon claire sa volonté d’abattre l’actuelle République.

C’est aussi une attitude fascisante de sa part que de tenir pour nulle et non avenue une loi promulguée sous le prétexte qu’elle a été obtenue par la mise en œuvre de l’article 49.3 de la Constitution, alors même que, par le passé, des acquis aussi importants que la privatisation de chaines de radio et de télévision et, plus significatif encore, la construction de la dissuasion nucléaire française l’ont été « à coups de 49.3 ».

 (*) Gilbert Robinet, Ingénieur civil des mines, Saint-Cyrien de la promotion général de Gaulle, breveté de l’Ecole Supérieure de Guerre, a mené une carrière classique de militaire, alternant les temps de commandements et les postes d’état-major, notamment auprès du Chef d’Etat-Major des Armées. Il quitte le service actif avec le grade de général de division et rejoint l’Ecole Centrale à Paris comme inspecteur des élèves de deuxième année jusqu’en 2010. Il se consacre alors au monde associatif, et est secrétaire général de l’ASAF (Association de Soutien à l’Armée Française) pendant 10 ans. Il a rejoint aujourd’hui le directoire de l’Union française des associations de combattants et victimes de guerre (UFAC). Il est l’auteur d’un ouvrage, Le prof et le général ; ou les petits secrets d’une grande école française, aux Editions Velours.