Quel avenir pour le parc blindé de la Gendarmerie ?
Que faire des 84 véhicules blindés à roues de la Gendarmerie (VBRG), entrés en service en 1974 ? Régulièrement déployé lors des manifestations menées dans le cadre des ZAD et des Gilets jaunes, le vénérable VBRG se cherche désormais un avenir, ballotté en entre retraite anticipée et prolongation du service. Longuement évoqué à l’occasion du budget 2020 de la Gendarmerie, le sujet est à nouveau revenu sur le devant de la scène lors du salon Milipol, organisé cette semaine à Paris.
Trois scénarios
Le parc blindé de la Gendarmerie comprend une centaine de véhicules, dont 84 VBRG. À ceux-ci, stationnés pour la plupart au Groupement blindé de gendarmerie mobile de Satory (38) et en Outre-mer (32), s’ajoute une vingtaine de VAB récupérés auprès de l’armée de Terre. Quatorze d’entre-eux bénéficient d’un surblindage hérité de leur engagement précédent en Afghanistan. Ils présentent une moyenne d’âge de 34 ans. Si ces derniers peuvent encore « tenir » quelques décennies, l’accélération et l’intensification des crises rencontrées ces deux dernières années, rend par contre impérieux le renouvellement du parc de VBRG. Trois scénarios sont pour l’instant à l’étude, rapporte la députée LREM Aude Bono-Vandorme dans un rapport sur le projet de loi de finances pour 2020. Il s’agira soit d’identifier une nouvelle plateforme adaptée au meilleur prix, soit de remettre à niveau les VBRG tout en récupérant des VAB destinés à la déconstruction, soit, enfin, de choisir une solution mixte reposant sur l’acquisition de nouveaux matériels et le « rétrofitage » d’une partie des véhicules en service.
La seconde alternative était celle privilégiée par le général Lizurey, aux manettes de la Gendarmerie jusqu’au 15 octobre dernier et son adieu aux armes. « Nous nous orientons vers le rétrofit des véhicules blindés actuels et des VAB qui ne sont plus d’utilité aux armées, » annonçait-il devant la Commission défense de l’Assemblée nationale. Selon l’ancien Directeur général de la Gendarmerie nationale (DGGN), rafraîchir les VBRG coûterait environ 250 000€ à l’unité, « incluant la remotorisation complète, la climatisation et la révision de l’ensemble du système ». La modernisation de la totalité de la flotte reviendrait donc à une vingtaine de millions d’euros. Soit, « cinq à six fois moins cher que le développement d’un matériel par des industriels, » notait alors le général Lizurey .
Si elle est économique, cette formule n’en est pas moins complexe et n’apporterait pas le sursaut technologique suffisant pour correspondre aux missions d’aujourd’hui. « Pour des véhicules de 45 ans d’âge, cela devient un peu problématique. Nous pouvons les améliorer quelque peu, mais il ne faut pas croire que ce soit une solution si économique que cela. Et les véhicules qui en découleront présenteront des capacités assez limitées par rapport aux véhicules plus récents et mieux équipés, » relève le PDG d’Arquus, Emmanuel Levacher. Le constructeur originel du VBRG, Berlier, a disparu, de même que la majeure partie des connaissances techniques au sein du groupe Arquus, sans parler de l’absence de pièces détachées. Concurrent historique du VAB, le VBRG partage des caractéristiques techniques globalement similaires. S’acharner à prolonger son existence n’apporterait finalement qu’une plus-value toute relative face à une évolution vers un modèle « 100% VAB » plus cohérent.
Le transfert et la modernisation de VAB de l’armée de Terre serait probablement la solution médiane idéale entre un VBRG hors d’âge et du neuf hors budget. « Tout existe déjà pour le VAB, » déclare Arquus, qui réalise pour le moment le rétrofit de 150 véhicules au profit d’un client du Moyen-Orient. Il s’agirait, grosso modo, de récupérer quelques briques du standard Ultima, auquel il conviendra intégrer les systèmes spécifiques aux missions de sécurité. Tout en restant peu onéreuse, l’idée permettrait de reposer sur les savoir-faire existants, tant du côté de l’industriel en charge de la DTO que des opérationnels rompus au maniement de l’engin. Les dispositifs de soutien continueront d’exister à Fourchambault, de même que la petite forge nécessaire pour créer les pièces détachées nécessaires. Contrairement au VBRG, « il reste des mécaniciens formés pour donner une seconde vie à un VAB, » explique Arquus.
Sherpa vs Serval
Reste l’éventualité d’une nouvelle plateforme blindée. « Nous préférons bien entendu proposer des matériels neufs que de rétrofiter à l’infini des matériels anciens, » ajoute Levacher. Bien que celle-ci soit « hors de portée budgétaire » et qu’aucun programme n’a été formalisé à ce jour, la Gendarmerie a récemment exprimé un embryon de besoin auprès d’Arquus et de Nexter. Ni calendrier ni cible précise, mais un choix qui s’orienterait vers un véhicule 4×4, « l’option du TITUS est donc totalement à oublier, » confirme-t-on du côté de Nexter. Sa masse maximale devra permettre à la fois d’évoluer sur la voirie française et de conserver un niveau de protection suffisant.
Pour réduire la facture, les deux groupes versaillais ont décidé de construire leur proposition sur base de plateformes existantes ou bientôt disponibles qu’il suffira de modifier en temps voulu. Du côté d’Arquus, il n’est dès lors pas surprenant de retrouver le Sherpa APC, déjà opéré en version « échelle d’assaut » par le GIGN. Avec près de 1000 unités produites toutes variantes confondues, le Sherpa est particulièrement présent sur le segment du maintien de l’ordre, avec des ventes enregistrées notamment en Inde, au Brésil, au Kosovo et au Chili. L’exemplaire exposé durant Milipol conserve sa couleur noire caractéristique, et ajoute principalement une lame de déblaiement et une tourelle d’observation.
Nexter propose quant à lui une nouvelle version « Gendarmerie » du VBMR Léger commandé par le ministère des Armées. Hautement protégé, ce blindé de plus de 15 tonnes sera livré à 978 exemplaires à l’armée de Terre, dont 489 d’ici 2025. La version « Gendarmerie » présentée à Milipol reprend à son tour les fondamentaux du VBRG : une lame capable de déployer jusqu’à six tonnes de débris, des grilles de protection et une tourelle d’observation. Nexter y apporte ensuite une motorisation, un niveau de protection et une capacité de transport supérieurs, de même que cinq diascopes et quatre caméras offrant une vision à 360°. Le niveau de blindage du Serval pourra par ailleurs être sensiblement diminué pour consacrer le gain masse à d’autres ajouts. Pour l’heure, tant Nexter qu’Arquus sont encore au stade du « maquettage » et aucune configuration précise n’a été verrouillée pour l’instant. Certaines spécifités propres à la Gendarmerie, tel que l’ajout d’une cage pour les chiens policiers, sont autant d’axes de développement sur lesquels les deux entreprises devront encore plancher.
Des options mais pas de fonds
Des solutions ont donc été identifiées mais leur traduction en programme se heurte à de nombreux obstacles, à commencer par une absence de clarté sur le processus de réflexion interne mené par la Gendarmerie. Celui-ci est tellement complexe que « nous avons un peu de mal à suivre. Nous sommes en dialogue permanent, des besoins sont exprimés mais ne se traduisent pas forcément en programmes. Cela est aussi dû au fait que le ministère de l’Intérieur a des processus d’acquisition qui ne sont pas aussi structurés que ceux des Armées, » souligne Emmanuel Levacher.
Le sujet, pourtant maintes fois évoqués par le passé, intervient également à l’heure où le général Rodriguez prend ses fonction en tant que nouveau commandant de la Gendarmerie. Cette étape de passation de pouvoir, synonyme de flottement décisionnel, à l’heure où l’absence de remontée des budgets est pointée du doigt par les parlementaires. Éternel parent pauvre des lois de finances, la Gendarmerie sera dotée de 9Md€ de crédits de paiement en 2020, dont seulement 43,6M€ seront consacrés au renouvellement des moyens mobiles. Des inscriptions budgétaires qui, selon la députée Bono-Vandorme, ne permettront pas d’acquérir les 1600 véhicules prévus. Celle-ci préconise en conséquence de recourir à des dispositifs locatifs, une astuce qui, si elle se matérialise, pourrait par la suite être étudiée pour matérialiser la modernisation du parc blindé.
Ce schéma de « leasing » a déjà fait ses preuves en Belgique. Face aux contraintes budgétaires, la Défense a choisi dès 2014 de remplacer sa flotte vieillissante de véhicules utilitaires au travers d’un contrat de location. Réussie, l’expérience a été renouvelée cet été avec Arval et le groupe automobile PSA pour un montant de 16M€. Outre une ventilation moins contraignante des budgets, l’externalisation de certaines tâches de gestion de flotte et de maintenance permettrait de libérer des postes au sein des unités de soutien.
Malgré ces appels du pied répétés des parlementaires et du DGGN, le question du VBRG risque de rester sans réponse tant qu’elle ne sera pas inscrite dans la trajectoire financière de la Gendarmerie. En l’absence de solution immédiate, il ne fait donc aucun doute, selon la député que cette problématique devra être élevée au rang de priorité à la fois « dans le cadre des travaux d’élaboration du Livre blanc de la sécurité intérieure » et dans la loi de programmation en cours d’écriture. Réponse, au mieux, en début d’année prochaine.