Qui a fait mieux et où ?

Qui a fait mieux et où ?

Réflexions libres

Par le Général de corps d’armée (CR) Bernard Gillis – Cahier de la pensée mili-Terre Publié le  28/08/2018

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Le débarquement français en Algérie en 1830 est dû à une décision d’ordre politique, avec un motif stratégique indiscutable : assainir la Méditerranée occidentale des pirates barbaresques.

Une fois Alger conquise, fallait-il coloniser le reste de la province ? Débat qui à cette époque a eu une réponse positive, en raison du constat sur le terrain : l’état de délabrement politique, administratif, sanitaire qui mettait cette province en déshérence et attirait irrésistiblement la prise de pouvoir par qui voulait, en l’occurrence la France. Bien ou mal, qu’importe. Il s’agit dans cet article non pas de faire une étude philosophique et morale comparée, Jules Ferry et Clemenceau se sont opposés publiquement sur ce sujet, mais il s’agit de faire le bilan concret de 132 ans de présence française et de décrire l’héritage laissé. C’est une photographie, car les hôpitaux, l’agriculture, les routes, les chemins de fer, les ports, les aéroports, le pétrole, le gaz sont des réalités indéniables.

Il n’est pas inutile de faire ce bilan en répondant, au passage, aux accusations principales contre cette colonisation, en dehors des préoccupations philosophiques sur les races inférieures et supérieures. Aussi vais-je examiner les disparités civiques (traitées d’inégalités) entre Européens, Juifs et Musulmans, l’inégalité dans la scolarisation de ces différentes catégories, la santé publique, l’agriculture (prétendument réservée aux colons), les équipements d’infrastructure, les ressources minières : pétrole et gaz surtout. 

Le statut civique

Il faut le répéter, ressasser que tous les sujets de l’Algérie, sous souveraineté française (1830-1962) étaient français, et à ce titre, soumis aux lois générales de la République. Sur le plan juridique, la Cour de Cassation a rendu de très nombreux arrêts dans ce sens. En outre, la conscription, expression la plus pure de la nationalité, a été appliquée et a provoquée plusieurs émeutes (Aurès 1916). Ce rappel de la nationalité française de tous était nécessaire pour bien distinguer l’autre problème, dénoncé comme une inégalité : le statut civique. En effet les musulmans refusaient de subordonner leur statut religieux au statut civique de l’indigénat français, lequel statut religieux concernait le mariage, la répudiation, la filiation, les successions, les tribunaux, les écoles, ce qui entraînait des difficultés en matière de droits politiques. En effet, pouvait-on accorder aux français musulmans les avantages cumulés du statut civique de la République et ceux du droit religieux coranique ? Ils auraient été français à 200 %. Inégalité civique si l’on veut, mais le véritable mot est disparité, due au respect de la religion de la population la plus nombreuse. La république laïque n’a pas voulu, à juste titre, se livrer à un génocide religieux, mais les conséquences administratives, sociales, politiques, ont été à la mesure de ce respect de la religion musulmane. Les juifs, beaucoup moins nombreux, acceptant la «naturalisation», mot impropre puisqu’ils étaient Français, ont bénéficié d’un statut civique normal, au dessus de leur religion qu’ils conservaient.

Cette disparité civique, d’origine religieuse, s’est traduite malheureusement par l’inégalité dans la scolarisation. Les musulmans étaient principalement éduqués dans les écoles coraniques et la langue française était représentée comme la «langue du diable». Le changement d’attitude vint lentement et pour une raison inattendue: la Guerre de 14-18! Les tirailleurs et spahis démobilisés dans les années 1920 ont vu «sur le tas» l’avantage de parler français et mieux encore de l’écrire, entraînant une émigration ouvrière vers la métropole et tous relayaient l’idée qu’il fallait parler le français pour sortir de l’exclusion (coranique).

Il faut noter qu’avec près de cent ans de retard, dû au frein de la religion, le pari était déjà difficile, mais la difficulté s’agrandit démesurément par l’explosion démographique qui venait, et en même temps était la preuve tangible, d’une politique de santé publique exemplaire.

La santé publique

La France a eu en Algérie une véritable politique de santé publique.

Dès le début de la conquête, on découvrit que les maladies à vaincre étaient nombreuses : la dysenterie, le paludisme, la variole qui conduisait à la mort ou à la cécité, le typhus, la typhoïde, le trachome (encore une cécité), la syphilis, la peste, le choléra…

La France engagea les moyens : d’abord ceux de la médecine militaire, médecins, chirurgiens, pharmaciens, officiers d’administration, infirmiers. Dès 1832, les soins ambulants étaient dispensés aux populations puis, au fur et à mesure de la conquête; des infirmeries indigènes, des dispensaires anti-vénériens, tenus par les militaires, s’ouvrirent dès 1840.

À cela, il faut ajouter les campagnes de vaccination massives, notamment contre la variole, véritable fléau à l’époque, dès le débarquement de 1830 (six mois après !!…)

Après 1870, la République réalise la reprise par le secteur civil des infrastructures hospitalières et des missions de santé publique. L’effet se fit sentir jusque dans le «bled» où l’expansion démographique, due à la chute de la mortalité infantile, dépassait l’expansion régulière du réseau de santé.

Toujours dans le domaine de la santé, l’œuvre scientifique a été exemplaire. L’Algérie et le monde entier sont redevables aux médecins de l’Armée d’Afrique de découvertes capitales :

  • Maillot se fit l’apôtre de la vulgarisation de la quinine, arme essentielle contre le paludisme;
  • Laveran découvrit à Constantine en 1880 l’agent du paludisme, permettant l’action préventive. Ce qui lui valut le Prix Nobel en 1907, seul médecin militaire à avoir jamais reçu cette récompense ;
  • Huinaut organisa en 1891, à l’hôpital Maillot à Alger, le premier laboratoire militaire de bactériologie;

L’expansion hospitalière fut considérable. La Troisième République développa considérablement le réseau des hôpitaux militaires. En 1953, 24.000 lits répartis dans un hôpital de 2.000 lits, deux hôpitaux de plus de 1.000 lits, 11 hôpitaux polyvalents, 14 hôpitaux spécialisés auxquels s’ajoutaient 9 établissements privés. Tout ceci a représenté une charge financière bien supérieure en proportion à celle consacrée à la métropole.

J’emprunte au Professeur Claude Richet cette phrase : «Cette médecine algérienne doit susciter chez tout Français, pourvu qu’il soit normal, exactement l’inverse du complexe d’infériorité».

L’agriculture

Il ne suffisait pas de soigner la population, il fallait la nourrir. Or l’agriculture utilisait jusqu’à la conquête des techniques primitives. Là encore, la représentation de la modernisation par la colonisation a été caricaturale : les riches colons et les pauvres «fellahs», les propriétaires et les ouvriers….

Il est exact qu’au début de la conquête les expropriations autoritaires mais aussi les transactions privées fournirent une grande partie des sols à la colonisation. Mais on ne peut oublier que des milliers d’hectares ont été gagnés sur les marécages de la Mitidja et dans la plaine de Bône. Ce fut une épopée dont les colons peuvent être fiers, une juste fierté car, au delà de leur labeur, elle fut suivie d’une réussite considérable.

Mais l’inégalité ? En 1950, sur un total de 13 millions d’hectares, les propriétés indigènes représentaient 75% des surfaces cultivées. La disproportion, inégalitaire, était réelle, puisque les Européens ne représentaient que 2% de la population rurale et 10% de la population totale, mais elle était à l’évidence limitée si on s’en tient au seul critère de la surface cultivable. En fait, la disproportion était accentuée par l’explosion démographique chez les musulmans, bienfait de la santé publique, méfait social dû à la religion, car elle diminuait les surfaces théoriquement disponibles par habitant. À ceci s’ajoutait la mécanisation rapide de l’agriculture, réduisant les besoins en main d’œuvre et créant une situation sociale préoccupante.

En dépit de ces difficultés importantes, l’agriculture en Algérie française a remporté des succès remarquables. En particulier dans la restauration des sols par l’assèchement des marécages, par les forages, les endiguements, les stations de pompages, les barrages-réservoirs (14 grand projets menés à bien). L’élevage et les cultures céréalières et fourragères faisaient vivre une très grande partie des populations ainsi que des campagnes. Les tableaux ci-dessous en sont l’illustration, en 1950.

Il faut ajouter la vigne (450.000 ha), l’agrumiculture (la clémentine est née en Algérie). Malgré l’obstacle de la démographie galopante chez les musulmans, l’œuvre française comparée à ce qui existait en 1830 (et à l’agriculture d’aujourd’hui) offre bien des motifs de satisfaction, voire de fierté.

Les communications

Le souci de la maîtrise de l’eau et de la productivité des sols est allé de pair avec la volonté de développer des moyens de communication. 

Communications terrestres

Pendant la conquête, les troupes françaises, à l’instar des légions romaines, construisirent des routes et des ponts. Au 20ème siècle, les travaux routiers sont poursuivis par des entreprises civiles et le génie militaire. En 1958, il y avait 54.000 km de routes dont 34 routes nationales (voir carte). Les grandes pénétrantes Alger-Ghardaia, Philippeville-Touggourt, Bône-Negrine, Oran-Colomb-Béchar. Les transversales, dont celle reliant le Maroc, Tlemcen, Oran, Alger, Constantine.

Pour les chemins de fer, 4.420 km permettaient de relier les grandes villes du territoire.

Communications maritimes

Mille kilomètres de façade maritime, qui en 1830 avec leurs rades bien abritées, servaient de repaires aux barbaresques. En 1958, 23 ports étaient aménagés, dont 10 accessibles aux cargos et 5 desservis par des paquebots réguliers. Alger se classe, à cette époque, troisième port français, et il faut compter aussi avec Oran, Bône, Philippeville, Bougie, et Mers-el-Kébir… dont l’aménagement et la position stratégique en faisaient un point d’appui militaire convoité.

Communications aériennes

En concurrence avec les communications maritimes (les «Caravelles» mettaient Alger à 2 heures de Paris), elles se prolongeaient aussi vers l’intérieur du territoire. À partir de 1949, les longs courriers reliaient Paris à l’Afrique Noire et à Madagascar, en faisant escale à Alger-Maison Blanche.

Bien d’autres aménagements et équipements du territoire valorisèrent l’Algérie : les télécommunications, les mines de phosphates engendrant une industrie chimique substantielle, celle des métaux (plomb, zinc, fer) développant la métallurgie.

Mais le plus beau fleuron, le plus récent cadeau à l’Algérie devenue indépendante, fut la rente pétrolière et gazeuse. Jusqu’en 1950, personne ne se risqua à miser sur les potentialités du vaste désert maghrébin, sauf un petit groupe d’universitaires français venus au début des années 1940 soutenir une thèse de droit en Algérie. Devant les premiers résultats (plusieurs années après) le gouvernement général de l’Algérie lance une campagne officielle de reconnaissance dans une zone de 400.000 km². On découvre alors l’or noir qui va bouleverser les données économiques du pays.

La première découverte importante a lieu au gisement d’Hassi-Messaoud en juin 1956. En 1959, la production de pétrole est égale à 1,2 millions de tonnes. En 1972, lorsque les ingénieurs français quittent le Sahara, 250 puits ont été forés en 16 ans dans la seule aire d’Hassi-Messaoud.

D’autres bases pétrolières sont découvertes et mises en valeur dans l’est du Sahara, ainsi que des gisements de gaz naturel, par exemple à Hassi R’mel.

Ce joyau industriel entraîne l’édification d’une usine de liquéfaction de gaz à Arren (près d’Oran), l’implantation de grandes raffineries à Alger et Hassi-Messaoud, ainsi que la mise en place d’un réseau important d’oléoducs et de gazoducs, jusqu’à Arzew, Alger, Bougie, et également d’un réseau routier saharien (2.500 km supplémentaires.

Le développement spectaculaire du Sahara, basé sur les ressources en hydrocarbures, a été entièrement réalisé par des prospecteurs et des ingénieurs français. Ce qui a procuré à ces anciens départements français l’essentiel de la richesse nationale actuelle (95% de ses recettes) qui est grande, même si sa gestion est très inégalitaire.

Conclusion

Le bilan doit être établi à partir de ce qui existait en 1830 et en intégrant la durée de la présence française, celle-ci ayant été suffisamment importante pour que l’on en attende des résultats concrets, sur le plan humain d’abord, et aussi sur celui des équipements (agriculture, infrastructures, richesses).

Sur le plan humain, une intégration avortée, mais une santé publique exemplaire :

  • l’intégration n’a pas pu voir le jour, car la population est restée hétérogène, organisée en communautés juxtaposées, vivant en paix, mais ne s’assimilant pas les unes aux autres. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, et la IIIème République a eu un comportement honnête par rapport à ses valeurs, en souhaitant établir un système égalitaire et fraternel. Mais l’apathie des populations arabes et berbères de l’Algérie, la religion musulmane plaçant le Coran au dessus des lois et leur refus pendant cent ans de la scolarisation ont handicapé le processus d’intégration. La France a donc pratiquement géré ce qu’on appelle maintenant d’un néologisme ambigu «le communautarisme», qui sur l’instant épousait les inégalités sociales et professionnelles, et portait en germe la fracture finale. Ce handicap n’a pas empêché la France de soigner les populations autochtones, malgré leurs réticences, et d’apporter à cette province une politique de santé publique exemplaire, dont la meilleure illustration est l’explosion démographique, et qui me permet de poser la question : «Qui a fait mieux et où?»
  • de même, les résultats en agriculture et en équipements industriels ont été à la hauteur de ce qu’on pouvait attendre d’un pays comme la France, de sa richesse, de sa culture, de ses capacités entrepreneuriales, techniques et scientifiques.

Cet héritage a été temporairement masqué par la fin tragique en 1962 de la présence française : l’exode massif et instantané de la communauté européenne, le massacre des Harkis.

À moins de nier la vérité, il apparaît que la France a laissé à l’Algérie un héritage important, valorisé par les richesses du sous-sol du Sahara, permettant aux successeurs de continuer le développement d’une nation moderne. Les Français peuvent être fiers de ce qu’ont fait leur pays et leur armée en Algérie.