Les obligations internationales

Les obligations internationales

Par Patrice Gourdin -Diploweb – publié le 7 décembre 2023  

https://www.diploweb.com/28-Les-obligations-internationales.html

Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique, l’association à laquelle le Diploweb.com est adossé.

Quel est le rôle des accords internationaux lorsque des acteurs extérieurs interviennent dans la crise ou le conflit ? Quels outils pour étudier ces accords internationaux motivant ou justifiant une intervention extérieure sur le territoire ? Quelles informations recueillir ? Réponses avec Patrice Gourdin avec cet extrait gratuit de son célèbre « Manuel de géopolitique », éd. Diploweb, disponible au format papier sur Amazon.

Tout État contracte des accords avec l’ensemble et/ou une partie des autres pays. Il en résulte des droits, des garanties, des avantages et des obligations. Aux termes de ces dernières, il peut être amené à agir (ou à s’abstenir d’agir) en cas de crise ou de conflit. Le champ des engagements internationaux est très vaste. Très schématiquement, nous distinguons un accord universel, la Charte des Nations unies, des ententes régionales et des alliances bilatérales. Ils portent sur tous les domaines dans lesquels les États peuvent avoir des intérêts et rechercher une coopération, déterminer des règles ou fixer des limites. Cela fournit donc de multiples motifs d’intervention – directe ou indirecte – ou de non-intervention.

Un ou plusieurs États peuvent intervenir dans une crise ou un conflit afin d’honorer les engagements découlant de leur adhésion à l’Organisation des Nations unies. Base du droit international la Charte de San Francisco, adoptée en 1945, commence par ces mots : « Nous, les peuples des Nations unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre ». Le premier objectif de l’ONU est de
« maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin [de] prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression et autre rupture de la paix, et [de] réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix [1] ».

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Par conséquent, ratifier ce document impose d’œuvrer en faveur du maintien ou du rétablissement de la paix et de contribuer aux différentes actions menées pour assurer la sécurité collective :
« Les Membres de l’Organisation donnent à celle-ci pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la présente Charte et s’abstiennent de prêter assistance à un État contre lequel l’Organisation entreprend une action préventive ou coercitive [2] ».
« Tous les Membres des Nations Unies, afin de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales s’engagent à mettre à la disposition du Conseil de sécurité, sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des accords spéciaux, les forces armées, l’assistance et les facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales [3] ».

Les opérations de maintien de la paix sont mises en œuvre après approbation de l’ONU, ce qui suppose au préalable l’accord des cinq membres permanents (Chine – Taiwan jusqu’en 1971, République populaire depuis –, États-Unis, France, Grande-Bretagne, URSS – puis Russie à partir de 1991) du Conseil de sécurité :
« Afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale [4] ».
« Les décisions du Conseil de sécurité […] sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses Membres dans lequel sont comprises les voix de tous les Membres permanents [5] ».

Rappelons que, contrairement à une idée répandue, l’abstention ou l’absence d’un membre permanent ne comptent pas. En pratique, seul le vote négatif d’un ou de plusieurs membre(s) permanent(s) bloque une décision

L’histoire des interventions de l’ONU démontre clairement que celles-ci dépendent largement des intérêts des cinq “Grands“.

Durant la Guerre froide, le blocage réciproque devint la règle : chaque “bloc“ se défendait contre l’autre, protégeait ses alliés contre ceux de l’autre. Entre 1945 et 1989, le veto fut utilisé 90 fois par l’URSS (notamment 35 fois pour bloquer l’admission de nouveaux États à l’ONU), 63 fois par les États-Unis (en 1970, pour la première fois, dont 30 au sujet du Proche-Orient, souvent contre les résolutions hostiles à Israël), 29 fois par la Grande-Bretagne (les deux premières fois en 1956 lors de l’expédition de Suez, seulement une autre fois avant 1970), 16 fois par la France (les deux premières et uniques fois avant 1974, en 1956 lors de l’expédition de Suez ; jamais sous les présidences du général de Gaulle et de Georges Pompidou) et 1 fois par la Chine (la République populaire refusant l’admission du Bangladesh, en 1972) [6]. Méfions-nous d’une lecture littérale de ces chiffres : si l’effet paralysant ne fait aucun doute, il convient également de tenir compte du contexte d’affrontement entre deux systèmes à vocation universelle. Cela fournit une autre clé de lecture : en contraignant l’autre au veto, chacun des deux “Grands“ rendait visible ce qu’il présentait comme le refus de son adversaire de participer à l’œuvre collective de paix. Ainsi, toutes les résolutions rejetées entre le 16 février 1946 et le 3 septembre 1963 le furent par la seule URSS.

La situation s’inversa à partir de 1970, lorsque la diplomatie américaine décida d’user à son tour de son droit de veto : sur 79 résolutions rejetées entre le 17 mars 1970 et le 23 décembre 1989, 63 le furent par les États-Unis (38 par eux seuls et 25 avec au moins un allié) et le détail montre un camp occidental sur la défensive face à l’avancée soviétique dans le tiers-monde [7].

Le capital de sympathie de l’auteur du veto pouvait s’en trouver écorné. La pacification des relations internationales voulue par M. Gorbatchev et les Occidentaux se traduisit, entre 1989 et 1994, par un fonctionnement – enfin – efficace du système de sécurité collective institué en 1945. La multiplication des opérations de maintien de la paix en témoigne : 20 furent alors autorisées et le nombre des soldats impliqués (les Casques bleus) passa de 11 000 à 75 000. Il s’agissait, dans beaucoup de cas, de liquider les graves séquelles guerrières de la Guerre froide. Les échecs enregistrés dans des conflits suivis par le grand public (ex-Yougoslavie, Somalie, Rwanda) révélèrent les faiblesses du système et les carences des États, notamment des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.

La défiance américaine, dans un premier temps, après l’échec en Somalie, en 1995 ; ensuite, le durcissement simultané de la Russie et de la Chine, depuis la guerre du Kosovo, en 1999 ; enfin, le choix de l’unilatéralisme assumé par Washington après les attentats du 11 septembre 2001, combinèrent leurs effets.

Assortis d’une insuffisance de moyens, ils ramenèrent l’ONU à une certaine impuissance : 20 opérations de la paix entre 1990 et 1994 ; 19 entre 1995 et 2000, mais dont 10 prolongeaient des opérations engagées durant la période précédente ; 9 entre 2001 et 2009, mais dont 3 pour le seul conflit du Darfour et 3 prolongeaient des opérations engagées durant la période précédente, en Haïti et au Timor Leste. En outre, des dizaines de cas d’“exploitation sexuelle“, de fraude, de corruption et de mauvaise gestion entach(èr)ent les opérations de maintien de la paix [8]. Sans en diminuer la gravité intrinsèque ni l’effet ravageur pour la réputation d’une institution de pouvoir (« la femme de César doit être irréprochable »), il convient de tenir compte du fait que ces crimes et délits arrangent certains acteurs.

En effet, nombre d’États, pour des raisons diverses, ont intérêt – sans l’avouer ouvertement – au discrédit des opérations militaires de l’ONU. Par exemple, ceux qui la trouvent déjà trop interventionniste, ceux qui l’estiment trop coûteuse, ceux qui doutent de son efficacité et souhaitent avoir raison pour agir en dehors d’elle de manière légitime sinon légale, ceux qui pourraient un jour s’y trouver confrontés et la souhaitent donc la plus impuissante possible. Un élément supplémentaire vient compliquer encore l’affaire : l’avis des États peut varier au gré du temps et/ou de leurs intérêts. Dans l’analyse du rôle de l’ONU, il ne faut donc pas se borner aux différends ou conflits dont elle traite.

En février 1992, dans le traité de Maastricht, l’Union européenne posa le principe d’une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) dont les objectifs sont :
« – la sauvegarde des valeurs communes, des intérêts fondamentaux et de l’indépendance […] ;

  • le renforcement de la sécurité […] ;
  • le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale […] ;
  • la promotion de la coopération internationale ;
  • le développement et le renforcement de la démocratie et de l’État de droit ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales [9] ».

Pour ce faire, les États membres prévoyaient d’instaurer une « coopération systématique [10] » de leurs diplomaties respectives, de « mettre graduellement en œuvre […] des actions communes [11] » et demandaient à
« l’Union de l’Europe occidentale (UEO) [née des accords de Paris, en 1954], qui fait partie intégrante du développement de l’Union européenne, d’élaborer et de mettre en œuvre les décisions et les actions de l’Union qui ont des implications dans le domaine de la défense [12] »

Le 19 juin de la même année, à Petersberg, les États membres de l’UEO définissaient ses missions : humanitaires ou d’évacuation de ressortissants, de maintien de la paix, de forces de combat pour la gestion des crises y compris des opérations de rétablissement de la paix. À partir de 1997, ces dernières, insérées (Article 17) dans les traités d’Amsterdam (1997) puis de Nice (2001), relevèrent de l’Union européenne. Mais l’UEO resta prioritairement vouée à la sécurité collective. En effet, en novembre 2000, les compétences opérationnelles de gestion de crise de l’UEO furent intégrées dans l’Union européenne (Accord interministériel de Marseille) qui développa finalement des structures et des capacités propres dans le cadre de la “politique européenne de sécurité et de défense“. Cette dernière résulte d’une décision prise en 1999, lors du Conseil européen de Cologne, en application de l’article J.4 du Traité instituant l’Union Européenne qui prévoyait « la définition à terme d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune [13] ». Le Traité de Lisbonne (2008), reprend l’ensemble des dispositions des textes antérieurs, moyennant quelques formulations revues ou corrigées et quelques précisions. L’action de l’Union européenne sur la scène internationale repose sur
« les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et qu’elle vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l’État de droit, l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d’égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international [14] ».

Elle entend privilégier le multilatéralisme et se fixe plusieurs objectifs : défense de sa souveraineté, promotion de la démocratie et des droits de l’homme, actions en faveur de la paix, soutien au développement durable, intégration économique de l’ensemble des pays, préservation de l’environnement, assistance en cas de catastrophe naturelle. Quant à la “politique de sécurité et de défense commune“, qui
« inclut la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union [, e]lle conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi [15] ».

Elle « fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune. Elle assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires. L’Union peut y avoir recours pour des missions en dehors de l’Union afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale [16] ».

Les missions définies à Petersberg demeurent, tout en s’élargissant à la prévention des conflits, aux opérations de stabilisation à la fin des conflits, au conseil et à l’assistance militaire, au désarmement et à la lutte antiterroriste [17].

L’Union européenne mène, depuis 2003, des opérations dans ce cadre juridique et opérationnel. Par exemple, elle intervint durant l’été 2003 en Ituri afin de soutenir l’action des Nations unies pour le rétablissement de la paix en République démocratique du Congo. Mais l’exécution de missions de ce type ne va pas toujours sans encombre. L’Union européenne déploya ses forces opérationnelles (EUFOR), de janvier 2008 à mars 2009, aux confins du Tchad, de la République centrafricaine et du Soudan, suite à l’adoption de la résolution 1778 (25 septembre 2007) du Conseil de sécurité de l’ONU sur le conflit au Darfour. Comme ses partenaires soupçonnaient la France de vouloir les entraîner dans un conflit auquel elle est, aux côtés du Tchad, déjà partie prenante, le déploiement du dispositif militaire de l’Union européenne prit du retard [18]. L’union demeure un combat et l’articulation des intérêts communs avec les intérêts nationaux s’avère toujours délicate.

L’ampleur des exactions commises contre les populations civiles durant la Seconde Guerre mondiale par les puissances de l’Axe, avec en point d’orgue l’extermination de plusieurs millions de Juifs par les nazis, provoqua une internationalisation des droits de l’homme. Le respect de ces derniers, en temps de paix comme en temps de guerre, devint un des objectifs de l’ONU. En 1948,
« considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde [19] »,

l’Assemblée générale adopta une Déclaration universelle des droits de l’homme qu’elle proclama
« comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société […] s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives [20] ».

Ainsi se développa, notamment, le droit international humanitaire, applicable en cas de conflit armé, y compris dans le cadre des guerres civiles. Les conventions de 1949 reprirent les règles préexistantes (Convention de Genève de 1864, protégeant les victimes militaires des combats – les blessés, les naufragés, les prisonniers –, et Conventions de La Haye de 1899, révisées en 1907, fixant les droits et les devoirs des combattants) et intégrèrent la protection des personnes civiles. Les protocoles additionnels de 1977 améliorèrent encore la protection des civils. Contraire aux principes de la Charte de l’ONU, laquelle stipule qu’
« aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État, ni n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte [21] »,

le “droit d’ingérence humanitaire“ évoqué au début des années 1990 fit place, en 2001, au concept deresponsabilité de protéger“, ainsi justifiée :
« Quand une population souffre gravement des conséquences d’une guerre civile, d’une insurrection, de la répression exercée par l’État ou de l’échec de ses politiques, et lorsque l’État en question n’est pas disposé ou apte à mettre un terme à ces souffrances ou à les éviter, la responsabilité internationale de protéger prend le pas sur le principe de la non-intervention [22] ».

Parallèlement, émergea une répression internationale. Elle apparut d’abord comme exceptionnelle, avec les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg (1945), pour juger les responsables de crimes contre la paix, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par les nazis, et de Tokyo (1946), pour juger leurs homologues japonais. Le texte fixant le statut de ces tribunaux définissait ces différents crimes :
« ‘Les Crimes contre la Paix‘ : c’est-à-dire la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d’une guerre d’agression, ou d’une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux , ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes qui précèdent ;
« ‘Les Crimes de Guerre‘ : c’est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l’assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l’exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ;
« ‘Les Crimes contre l’Humanité‘ : c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux […] [23] » .

En 1948, une convention définit le crime de génocide :
« l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d’enfants d’un groupe à un autre groupe [24] ».

Mais la Guerre froide exclut tout accord instituant une juridiction internationale compétente et ce, en dépit des multiples conflits qui l’accompagnèrent. Au demeurant, ni l’Est, ni l’Ouest, ni le tiers monde n’étaient irréprochables en la matière. Seule avancée durant cette période, la Convention de 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Après la pacification gorbatchévienne des relations internationales, en 1989, l’esprit de sécurité collective opéra un grand retour. Dans ce nouveau contexte et sous l’impulsion de l’émotion provoquée dans l’opinion publique mondiale par l’ampleur des exactions commises, le Conseil de sécurité créa deux tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie (résolutions 808 et 827, 1993) et pour le Rwanda (résolution 955, 1994), puis des tribunaux nationaux “à caractère international“ au Timor oriental (résolution 1272, 1999) et en Sierra Leone (résolution 1315, 2000).

L’Assemblée générale des Nations unies recommanda, quant à elle, la création de “chambres extraordinaires“ auprès des tribunaux du Cambodge « pour juger les auteurs des crimes commis pendant la période du Kampuchea démocratique » (résolution 57/228, 2002).

En 2005, la Bosnie-Herzégovine créa un “Tribunal pour les crimes de guerre“, qui reprit certains dossiers du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Avec la Cour pénale internationale-CPI [25], instituée en vertu de la Convention signée à Rome en 1998, une structure permanente fonctionne depuis avril 2002, date à laquelle le seuil de 60 États ayant ratifié la Convention (désormais appelée Statut de Rome), nécessaire pour la mise en place de la CPI, fut atteint (le 22 juillet 2009, en ratifiant à son tour le texte, la République tchèque portait à 110 le nombre d’États membres des Nations unies parties au Statut de Rome, mais 82, dont les États-Unis, la Russie et la Chine, ne l’ont pas ratifié). Ne faisant pas partie du système des Nations Unies, la CPI traite des génocides, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des agressions postérieurs au 1er juillet 2002 [26]. Actuellement, elle enquête sur les crimes commis en Ouganda, en République démocratique du Congo, en République centrafricaine, en Côte-d’Ivoire et au Darfour. Ainsi, le procès de l’ancien chef de l’Union des patriotes congolais, Thomas Lubanga, arrêté en 2006, commença le 26 janvier 2009 et se présente comme le procès du recrutement et de l’utilisation forcés des enfants-soldats [27]. Le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo fit arrêter Jean-Pierre Bemba à Bruxelles au printemps 2008. La CPI lui reproche les viols de masse commis par ses troupes lors d’une incursion en République centrafricaine, en 2002, ainsi que des atrocités perpétrées en Ituri, en 2003 [28]. Sans la coopération de nombreux États, de tels procès n’auraient pas lieu. Décision sans précédent, le Conseil de sécurité créa un “Tribunal spécial pour le Liban“ en 2007 (résolution 1757), après l’attentat qui coûta la vie à l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri. Il a compétence pour 14 assassinats, tentatives d’assassinats et attentats ayant visé des personnalités libanaises anti-syriennes depuis octobre 2004.

Afin de promouvoir des relations amicales entre États, l’ONU encourage la constitution de regroupements économiques régionaux. La liste (non exhaustive) est déjà longue : Communauté économique européenne en 1957, Marché commun centre-américain en 1961, Union douanière et économique de l’Afrique centrale en 1964 (devenue Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale en 1969), Association des nations d’Asie du Sud-Est en 1967, Communauté andine en 1969, Communauté des Caraïbes en 1973, Groupe des pays Asie-Caraïbes-Pacifique en 1975, Communauté économique pour le développement des États de l’Afrique de l’Ouest en 1975, Conseil de coopération du Golfe en 1981, Association régionale pour la coopération en Asie du Sud en 1985, Union du Maghreb arabe en 1989, Coopération économique Asie-Pacifique en 1989, Marché commun des États d’Amérique du Sud en 1991, Union économique et monétaire ouest-africaine, Association de libre-échange nord-américaine en 1994. Chacune de ces associations suit son propre cheminement et en faire l’étude n’entre pas dans le propos de cet ouvrage. Toutefois, dans une perspective géopolitique, un trait domine la plupart de ces regroupements : le blocage. Dans les faits, de multiples rivalités entravent le rapprochement et la coopération : politiques, économiques, voire ethniques, tous sujets précédemment abordés.

Le jeu des alliances bilatérales se double d’engagements multilatéraux, souvent sur une base régionale. Les États peuvent s’associer pour de multiples raisons autres qu’économiques. Certains cherchaient à mettre en place un système régional de sécurité collective  : Organisation de l’unité africaine créée en 1963 (devenue Union africaine en 2002), Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (1994). L’Union africaine tente des médiations lors de chaque conflit sur le continent et fournit des contingents à chaque mission de l’ONU. L’Union africaine a créé, en 2002, un Conseil de paix et de sécurité, voué à la prévention et à la gestion des conflits sur le continent africain (mise sur pied de forces d’intervention, les Forces africaines en attente, pour 2010). Mais ses moyens demeurent limités, ce qui le rend dépendant des aides extérieures : programme African Crisis Response Initiative-ACRI puis African Contingency Operations Training and Assistance-ACOTA des États-Unis, British Peace Support Team-BPST des Britanniques et Renforcement des Capacités Africaines de Maintien de la Paix-RECAMP des Français, élargi à l’Union européenne. Ajoutons que les désaccords politiques ne manquent pas, ce qui contribue à expliquer l’échec du “Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits“ mis en place par l’OUA en 1993. L’OSCE engage des médiations dans les conflits eurasiatiques (sa compétence s’étend jusqu’en Asie centrale et s’arrête à la frontière chinoise) et veille au respect des droits de l’homme et du citoyen. D’autres regroupements essayent de défendre des intérêts spécifiques  : Ligue des États arabes (1945), Organisation de la conférence islamique (1969), ou une conception particulière : Mouvement des non-alignés (1961). Durant la Guerre froide, les États-Unis cherchèrent à organiser leurs alliés de manière efficace : Organisation européenne de coopération économique (1948), pour gérer le plan Marshall ; Organisation des États américains (1948), pour resserrer les liens avec l’“arrière-cour“, par exemple. Depuis la chute de l’URSS, la Russie tente de restaurer sa puissance perdue : dès 1991, elle suscita une Communauté des États indépendants, espérant ainsi conserver un contrôle indirect sur son ancien empire. Au contraire, Washington, qui n’a aucun intérêt à la renaissance d’une Russie forte, encourage plus ou moins discrètement l’alliance des pays rétifs à l’influence de Moscou, comme celle nouée, en 1997, entre la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldavie : le GUAM. Dans un sens inverse, l’Organisation de coopération de Shanghai naquit, en 2001, du refus d’un monde unipolaire et de l’hostilité partagée de la Russie et de la Chine envers l’unilatéralisme américain. La recherche d’une régulation internationale se substituant à l’unilatéralisme américain justifie également le regroupement de la Russie (qui avait suggéré cette démarche en 1998), de l’Inde et de la Chine, le RIC, formé en 2002, puis élargi au Brésil, en 2006 pour constituer le BRIC, ensemble fort de 40 % de la population mondiale et créant 10 % de la richesse mondiale [29].

Un ou plusieurs États peuvent intervenir dans un conflit pour honorer des accords ou des traités défensifs, bilatéraux ou multilatéraux.

Ainsi, la France signa-t-elle, après la décolonisation de l’Afrique noire, une série d’accords bilatéraux, souvent en partie secrets, en matière de défense et de coopération militaire. Les accords dits “de défense“ impliquent une garantie française en cas d’agression. Cette dernière peut revêtir trois formes : des troubles internes – dits “circonstances graves“ – (cela était inclus dans les accords signés au début des années 1960 avec la Côte-d’Ivoire, le Gabon et le Tchad), des mouvements de rébellion soutenus de l’extérieur, une agression étatique. La mise en œuvre de ces accords ne revêt aucun caractère d’automaticité. Les accords dits “de coopération militaire“ assurent une formation de personnels, une assistance militaire technique et un soutien logistique [30].

 
Accords internationaux au 30 juin 2009
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Ils constituèrent le cadre juridique des multiples interventions de l’armée française dans la région. Certains autorisent même l’intervention de la France en vue du maintien de l’ordre intérieur : Côte-d’Ivoire, Gabon, Togo. En septembre 2002, confronté à une rébellion organisée dans le nord du pays, le président de la Côte-d’Ivoire, Laurent Gbagbo, demanda le soutien de la France, dans le cadre de l’accord de défense de 1961. En l’absence de participation étrangère avérée, cela lui fut refusé. Seul fut mis en œuvre l’accord de coopération prévoyant la contribution des armées françaises à la formation et au soutien des troupes ivoiriennes. Il en résulta le déploiement de la force “Licorne“, le 22 septembre. Dans un premier temps, elle évacua les ressortissants étrangers, ensuite, elle apporta une aide logistique à l’armée régulière, enfin, elle s’interposa entre les belligérants afin de prévenir la guerre civile : le 17 octobre, les deux camps durent se résigner au cessez-le-feu. De même, lorsque la France intervint aux confins du Tchad, de la République centrafricaine et du Soudan, fin 2006 puis début 2007, elle honorait des accords bilatéraux conclus avec les deux premiers pays, menacés de déstabilisation à partir du Darfour voisin [31]. Durant les années 1990, la France signa également des accords de “coopération en matière de défense“ avec plusieurs États du Golfe Arabo-Persique inquiets des menées irakiennes et iraniennes [32] : Koweït (1992), Qatar (1994), Émirats arabes unis (1995). Dans le cadre des ces engagements et à la demande des Émirats arabes unis, la France décida, en janvier 2008, de créer une base permanente dans le port d’Abu Dhabi, « aux portes du détroit d’Ormuz, par où transite 40 % du pétrole mondial [33] ». Cela s’explique par le fait que, « pour ne pas s’enfermer dans un face-à-face étouffant avec les États-Unis, au demeurant mal perçu par leurs populations, les monarchies du Golfe s’attachent à diversifier leurs partenaires, tant pour les achats d’armes que pour les accords de coopération militaire [34] ». Les deux partenaires en tirent donc avantage. En 2009, l’inauguration de la base française à Abu Dhabi, baptisée “Camp de la paix“, coïncida avec la signature d’un nouvel accord de défense avec les Émirats arabes unis. Ce dernier allait plus loin qu’aucun autre signé par le passé (du moins pour ce que l’on peut en connaître). Un quotidien affirma même, quelques jours plus tard, savoir “de source sûre“ que Paris pourrait aller jusqu’à mettre en action ses armes nucléaires [35]. Extrapolation, ou fuite savamment calculée pour “dissuader“ l’Iran ? À la relecture, les propos du président de la République française ne comportaient rien qui permît de trancher :
« Il est prévu que nous décidions en commun de réponses spécifiques et adaptées, y compris militaires, lorsque la sécurité, la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance des Émirats arabes unis sont affectés [36] ».

Mais n’est-ce pas là, précisément, tout l’art de la dissuasion ? Nicolas Sarkozy précisa, à l’occasion de cette inauguration, les objectifs de la France en expliquant que cette base se voulait :
« le témoignage du dynamisme de la France et une illustration de la capacité de la France à s’adapter aux défis du monde contemporain, à la mondialisation, à la diversification croissante de nos partenaires politiques, économiques, stratégiques, militaires, voire culturels, au-delà de l’Europe, de l’Atlantique ou des pays issus de notre ancienne zone d’influence traditionnelle [37] ».

Quant à la presse, elle insista sur l’importance des enjeux : pétrole, contrats d’armement, échanges commerciaux, implantation à proximité de l’“arc de crise“ dans lequel la France est déjà impliquée – via l’Afghanistan, notamment – ; et aussi, peut-être, renforcement du lien transatlantique :
« Abu Dhabi est une ancienne colonie britannique. L’installation d’une base française dans une région historiquement sous influence anglo-saxonne est chargée de symbole. Au moment où notre pays accomplit son retour dans le commandement [militaire] intégré de l’OTAN, il y a là la preuve concrète d’une volonté de s’insérer dans un effort collectif de défense. À Abu Dhabi, les militaires français seront notamment en contact avec leurs homologues américains et britanniques, présents dans les parages. Ils pourront participer à la collecte de renseignements et être prêts à toute éventualité [38] ».

Parfois, plus opaques encore, voire secrètes, des ententes expliquent le ralentissement ou le blocage d’un dossier. Ainsi, la République populaire de Chine et la Fédération de Russie en usent abondamment aujourd’hui, comme le firent, nous l’avons vu, les principaux protagonistes de la Guerre froide durant cinquante ans. La définition d’un statut pour le Kosovo, la pacification du Darfour, la résorption des sécessions en Géorgie, par exemple, n’aboutissent pas, du fait de la mauvaise volonté de Pékin et/ou de Moscou. Autre exemple : le partenariat stratégique des États-Unis avec l’État d’Israël ainsi que la sympathie qu’il lui manifeste sont considérés comme deux des causes de la paralysie du dossier palestinien et fournissent un argument aux adversaires de Washington, au premier chef Al Qaeda.

La Russie n’a jamais digéré l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999. Elle considéra cette action comme une humiliation et affiche, depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, sa volonté de prendre une revanche éclatante. Moscou affiche donc un soutien sans faille à la Serbie contre les États-Unis et l’Union européenne. Toutefois, Belgrade, qui « ne jure plus que par le grand frère russe [39] » ne devrait pas trop s’illusionner : elle est instrumentalisée dans le bras de fer qui oppose les Russes et les Américains en Europe – élargissement de l’OTAN, système de défense antimissile, notamment. Si les seconds accordent aux premiers des contreparties suffisantes, le Kosovo sera vraisemblablement abandonné aux Occidentaux [40]. Dans le cas contraire, la Serbie risque de devenir un État tampon, comme l’ex-Yougoslavie le fut durant la Guerre froide, après la rupture entre Tito et Staline, et cela pourrait remettre en cause sa volonté d’adhésion à l’Union européenne. De la sorte, Moscou « disposerait au cœur de l’Union européenne d’une sorte de cheval de Troie. Elle empêcherait la continuité territoriale de l’UE élargie et se servirait de la Serbie comme d’une plate-forme pour déstabiliser les pays voisins [41] ». Cette instrumentalisation russe ne se limite d’ailleurs pas à la Serbie, mais englobe l’ensemble des Balkans. Cette région stratégique, constituée d’États faibles, offre au Kremlin, comme à l’Union européenne, un champ de manœuvre très propice au maniement de la carotte et du bâton. Le gouvernement russe, en l’occurrence, ressuscite la politique des zones d’influence qui se déploya dans la région tout au long du XIXe siècle [42].

Pas d’analyse géopolitique sans une étude attentive de la manière dont s’organise la communauté internationale. Les engagements pris, comme le refus d’y souscrire, les liens noués, dénoués ou refusés, ne dépendent pas uniquement de considérations juridiques. Ils revêtent une signification politique et nous les retrouvons dans tous les conflits, dans toutes les crises.

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PROBLÉMATIQUE LIÉE AUX OBLIGATIONS INTERNATIONALES

Quel est le rôle des accords internationaux lorsque des acteurs extérieurs interviennent dans la crise ou le conflit ?

CHAMPS DE RECHERCHE

Outils pour étudier les accords internationaux motivant ou justifiant une intervention extérieure sur le territoire où se déroule la crise ou le conflit :
. les ouvrages consacrés à l’histoire, aux relations internationales, au droit international et à la science politique.

Les informations recueillies servent à repérer quel(s) accord(s) international(aux) peu(ven)t entraîner dans les événements des acteurs extérieurs au territoire. Le plus souvent un ou plusieurs des éléments suivants :

. les obligation de la charte de l’ONU,
. l’Union européenne,
. les regroupements économiques régionaux,
. les associations régionales autres qu’économiques,
. les accords et les traités de défense,
. les ententes,
. les arbitrages.

La liste n’est pas exhaustive, mais elle recense les facteurs qui apparaissent le plus fréquemment.

Une information est pertinente lorsqu’elle contribue à éclairer la crise ou le conflit que l’on étudie.

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