Armée française : L’échec de l’équipement en drones
Depuis 2017, la mise en œuvre du projet SCAF (Système de combat aérien du futur) était censée devenir le pilier de la politique de défense européenne, basée notamment sur une coopération franco-allemande à laquelle l’Espagne s’est jointe plus tardivement. Le projet est inclus au sein d’une architecture globale de développement militaire transnationale où les Français conservent un rôle prééminent pour le SCAF et laissent aux Allemands le pilotage du projet de char d’assaut du futur MGCS (Main Ground Combat System).
Tout comme Galiléo et l’A400M, les deux projets accumulent les retards, les surcoûts et les mésententes. S’agissant des drones (qui s’insèrent dans le SCAF comme accompagnateurs d’un avion de chasse multitâche successeur du Rafale), la France, après une longue suite d’échecs, a encore fait le pari de la coopération européenne, ce qui, pour l’heure, ne s’est pas avéré payant.
Comme l’a montré l’utilisation du Bayraktar turc sur le front ukrainien, les drones peuvent se révéler flexibles, peu coûteux et terriblement efficaces contre des engins lourds comme les blindés, d’où l’impérieuse nécessité de développer une autonomie stratégique en la matière.
A deux reprises pourtant, en 2017 et en 2021, la Haute Assemblée avait tiré, en vain, la sonnette d’alarme et mis en garde l’Exécutif sur la question.
Une longue suite de retards et de surcoûts…
En 2008, après cinq ans de retard et des prix initiaux multipliés par quatre, la France avait acheté à Israël le système intérimaire de drone MALE (moyenne altitude, longue endurance) Harfang et les drones tactiques Sperwer destinés à pallier l’échec des programmes européens de l’époque (Euro MALE en 2004 et MALE Talarion réalisé avec les Allemands et les Espagnols).
Devant leurs performances décevantes et avec le déclenchement de la guerre au Mali, l’armée de l’air française a été obligée d’acheter onze Reapers américains, mettant à mal tout un pan de notre indépendance nationale industrielle et de défense. Par ailleurs, les Etats-Unis avaient conditionné cette livraison à l’exclusivité de leur propre maintenance ainsi que de leur propre formation et proscrit leur utilisation libre en dehors de la zone sahélo-saharienne, créant des complications dont il eût été utile de pouvoir se départir en amont.
Notons que les Reapers, des drones d’attaque moyens, dit drones de théâtre, s’insèrent au sein de la classification OTAN dévoilée par la Cour des comptes :
S’agissant de l’Armée de terre, les mini-drone Spyranger de Thales et les Patrollers de Safran ont effectivement pu être développés mais ont été livrés avec quatre et cinq ans de retard. De son côté, la Marine ne pourra équiper chacun de ses bâtiments avec un drone qu’en 2030 alors que les Anglais et les Américains en sont dotés depuis 15 ans.
Les restrictions budgétaires des précédentes LPM (lois de programmation militaires), où les dépenses affectées aux drones n’ont jamais dépassé 2 % du budget total des armées, l’absence de vision stratégique des décideurs politiques, le « manque de constance et de cohérence dans les choix industriels capacitaires et diplomatiques des pouvoirs publics », que souligne la plus haute juridiction financière française, et des résistances culturelles venues de l’Armée de l’air (sur le rôle du pilote notamment) sont les principales raisons qui ont conduit nos forces armées à se priver d’une composante essentielle à son action ou de devoir l’acquérir auprès de puissances étrangères dont la volonté de coopération varie en fonction de la fluidité de nos relations diplomatiques.
Le projet d’euro drone et la recherche effrénée d’une coopération stratégique européenne
Alors que d’autres pays, comme la Chine (avec le Wing Loong, d’une valeur d’1M$ contre 13 à 16M$ pour un Reaper) qui a le mérite de fabriquer des drones aux performances inférieures à celles de ses homologues américains mais meilleur marché, se positionnent rapidement à l’export dans ce secteur, le nôtre semble englué dans sa volonté acharnée de produire un engin européen.
Après trois échecs consécutifs (Euro Male, Talarion et le projet franco-anglais Telemos, lancé en 2010 pour donner suite aux accords de Lancaster House), la France, l’Allemagne et l’Italie ont mis sur les rails un quatrième programme de construction d’un drone européen (après avoir écarté le projet du « Voltigeur » de Dassault suite à l’élection de François Hollande…) en 2015.
Sans entrer dans les détails des disparités de besoins et d’attentes de chacune des nations, la commission de la Défense du Sénat constatait déjà en 2019 des retards et un surcoût de 30 % du projet.
Le nouvel aéronef sera, en outre, doté de turbopropulseurs italiens fabriqués par une filiale de General Electric et construits à partir de composants américains, ainsi que d’un système d’armement également américain, faisant courir ainsi le risque, comme l’ont soulevé certains députés, que ceux-ci soient placés un jour sur la fameuse liste ITAR (International Traffic in Arms Regulations), ce qui empêcherait leur fourniture à nos industriels.
Au vu des retards pris, l’appareil ne devrait pas être livré aux armées avant 2030, c’est-à-dire pile au moment où les Américains sortiront leur nouvelle génération de Reapers…
Rappelons que la France fait partie, avec les Etats-Unis, des pays capables de réaliser un chasseur de combat multifonction en toute autonomie, ce qui pourrait laisser soupçonner que le projet d’Eurodrone aurait une visée plus idéologique que technique. Il existe aussi la solution d’abandonner tout projet de fabrication de drones et se contenter d’en acheter à nos partenaires. Simple et, peut-être, plus sûr.