La France veut faire former des soldats ukrainiens par des privés
par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 14 août 2023
https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/
Voici un article paru sur ouest-france.fr ce week-end. Il revient sur le sujet de mon post de vendredi soir qui traitait de l’externalisation d’une partie de la formation dispensée par la France au profit des forces ukrainiennes.
En matière d’externalisation, les responsables de la Défense française ont tendance à adopter la posture des trois singes de la fable qui ne veulent ni dire, ni voir, ni entendre ce qu’ils savent exister. Mais quand la dure réalité des sous-capacités s’impose, il faut bien admettre que le recours au secteur privé et aux entreprises de services de sécurité et de défense est incontournable.
C’est exactement ce qui va se passer dans le cadre de l’effort français au profit des forces armées ukrainiennes dont les militaires sont formés et entraînés par plusieurs pays occidentaux. Dont la France (photos AFP).
Un effort qui dure
La France participe à cet effort depuis les premiers mois de la guerre.
D’abord, en 2022, sur les 15 000 soldats ukrainiens formés par l’UE dans le cadre de l’opération PSDC EUMAM3 (European military assistance mission), la France en a formé 2 000 en métropole. Dont par exemple, dès avril 2022, des artilleurs allant servir les canons Caesar fournis par Paris. D’autres formations ont été dispensées : reconnaissance blindée (AMX 10 RC), combat en zone urbaine niveau compagnie, défense sol-air, sauvetage au combat, formation tactique niveau chef de section (30 hommes) et commandant de compagnie (150 hommes)…
Ensuite, Paris a décidé de former des Ukrainiens en Pologne où les camps et terrains de manœuvres hérités de la Guerre froide ne manquent pas. « 150 à 200 formateurs français », selon l’État-Major des Armées (EMA), ont commencé à y former depuis avril 2023 des soldats ukrainiens. Après les formations spécifiques (artillerie, reconnaissance, sauvetage au combat) dispensées en France l’année précédente, les Ukrainiens sont, cette fois, formés au combat interarmes. Chaque mois environ, un bataillon de 500 soldats ukrainiens passe entre les mains des formateurs français, avant de rejoindre les nouvelles brigades de combat que Kiev engage sans tarder dans ses opérations offensives.
Un effort renforcé
Mais Paris entend faire mieux en multipliant le nombre de soldats ukrainiens qui bénéficient des formations françaises.
Or, le nombre d’instructeurs disponibles au sein de l’institution militaire française est jugé insuffisant par l’EMA. Le ministère des Armées a donc décidé d’externaliser une partie de la formation des militaires ukrainiens que la France entraîne depuis plusieurs mois.
Un appel d’offres qui sera clos le 15 septembre prochain a ainsi été publié le vendredi 11 août pour préciser les objectifs de cette externalisation portant sur l’appui à la formation des forces armées ukrainiennes.
Actuellement, selon le ministère des Armées, un bataillon ukrainien est formé chaque mois ; ce nombre devrait augmenter sensiblement, ce qui oblige à mobiliser plus de formateurs/instructeurs et plus d’interprètes que ce que les armées françaises peuvent mettre à disposition.
En complément des formations déjà réalisées en régie, la France souhaite donc faire réaliser par un prestataire extérieur (une ESSD, pour « entreprise de services de sécurité et de défense ») trois types de formation qui seront dispensés en France, en Pologne et/ou en Roumanie.
Il s’agit d’abord de la formation technique à la mise en œuvre des systèmes d’armes (on pense aux blindés AMX-10 RC et à certains systèmes sol-air), ensuite de la formation des postes de commandement tactiques des unités de mêlée de l’infanterie et de la cavalerie (pendant 3 à 4 semaines, avec des personnels civils anciennement diplômés d’état-major) et enfin de l’appui aux formations collectives des unités ukrainiens via des interprètes, l’objectif étant d’avoir un interprète pour dix soldats ukrainiens en formation.
Ces formations seront dispensées par des personnels civils recrutés par le prestataire retenu ou par ses sous-traitants.
Le ministère des Armées prévoit de conclure un accord-cadre pour une durée d’environ 15 mois, soit jusqu’au 31 décembre 2024. Il pourra être reconduit deux fois pour une durée d’un an.
Le coût maximal de l’opération est estimé à 39 M€ (reconductions comprises).
Le petit monde des ESSD françaises
L’appel d’offres ne stipule pas que « l’opérateur économique » retenu soit français. Il pourrait être européen, voire américain. L’appel d’offres stipule en revanche que les prestations ne peuvent pas être fournies en dehors de l’UE.
Toutefois plusieurs opérateurs tricolores devraient répondre à cet appel d’offres.
Parmi eux : DCI, « l’opérateur du ministère des Armées » comme se présente Défense Conseil International dirigé par Samuel Fringant. DCI ne cache pas ses ambitions dans le domaine critique de l’Enseignement Militaire Supérieur. Le 4 mai dernier, DCI est monté, à hauteur de 60 %, au capital d’IFESO (Institut Français d’Enseignement Stratégique et Opératif) spécialisée dans les domaines de l’Enseignement Militaire Supérieur, la planification et la conduite des opérations militaires.
DCI est actuellement l’objet de convoitises. En effet, l’ADIT (dont le fonds canadien Sagard est actionnaire de référence) souhaiterait prendre le contrôle de DCI. L’opération, soutenue par l’État français, vise à créer un géant tricolore du soft power, avec un chiffre d’affaires de 450 millions d’euros.
Parmi les autres acteurs français figure la société Themiis spécialisée dans la formation des cadres militaires de haut niveau. Themiis, dirigé par Camille Roux et le général Gilles Rouby, pourrait s’allier à d’autres opérateurs qui se chargeraient des formations techniques et de l’interprétariat, pour se concentrer sur la formation des cadres des états-majors.