La guerre aérienne en Ukraine va-t-elle sauver le Su-75 Checkmate russe ?
La guerre aérienne en Ukraine va-t-elle sauver le Su-75 Checkmate russe ?
On le croyait disparu après le retentissant échec de son lancement commercial. Pourtant, le nouveau chasseur monomoteur de 5ᵉ génération Su-75 Checkmate présenté par le groupe Rostec à l’occasion du salon Army 2021, a fait l’objet de plusieurs dépôts de brevets ces dernières semaines en Russie, laissant supposer qu’il puisse être encore actif.
Rappelons que tel qu’il fut présenté, le Su-75 Checkmate est un chasseur monomoteur supersonique de nouvelle génération destiné à prendre le relais du Mig-29, mais également des F-16 et autres MIG-21 encore en service. Il avait, par ailleurs, de quoi séduire, avec une vitesse de Mach 1,8, une confortable capacité d’emport de 7 tonnes, et une autonomie donnée pour atteindre 3000 km.
En outre, l’appareil devait avoir une signature radar et infrarouge réduite, et emporter une avionique parfaitement moderne. Son prix de vente, des plus attractif, était annoncé alors autour de 30 m$, et ses couts de possession l’étaient encore davantage, à 6 000 $ l’heure de vol.
Toutefois, en dépit de ces promesses alléchantes, et d’une impressionnante campagne de communication visant directement l’Inde, les Émirats arabes unis ou encore l’Argentine, le Checkmate n’a pas convaincu.
L’échec du lancement du Su-75 Checkmate
Faute de partenaires internationaux pour en financer le développement, et en l’absence du soutien du ministère des Armées russe, focalisé alors sur la production de su-35s et Su-34, ainsi que sur le développement du binôme Su-57, S-70 Okthonik-B, l’enthousiasme retomba rapidement autour de cet appareil prometteur, susceptible d’apporter potentiellement une réponse à de nombreuses forces aériennes incapables de se doter des appareils récents hors de leurs moyens budgétaires.
Qui plus est, avec le début de l’Opération Militaire Spéciale en Ukraine, qui a rapidement tourné au désastre militaire, nécessitant la pleine mobilisation des moyens russes, la question quant au développement et à l’exportation du Su-75 Checkmate semblait ne plus se poser, ni pour l’État russe, ni pour ses armées, et pas davantage pour Rostec, son promoteur.
Alors, le Checkmate était-il échec et mat ? C’est beaucoup trop tôt pour être affirmatif sur le sujet. En effet, lors derniers jours, selon l’agence Tass, Rostec aurait déposé 3 demandes de brevet pour des appareils apparentés au Su-75 : une version monomoteur monoplace légèrement révisitée pour en accroitre la furtivité d’une part, une version biplace de l’autre, ainsi qu’une version dronisée dépourvue d’équipage, laissant penser les observateurs russes qu’il pourrait s’agir d’une alternative, voire de la forme définitive du programme S-70 Okhotnik-b.
Un nouveau besoin pour les forces aériennes russes ?
Surtout, il est désormais possible que l’état-major des forces aériennes russes, jusque-là exclusivement tourné vers des chasseurs lourds comme le Su-35s et le Su-57 pour sa modernisation, ait été contraint à réviser ses plans face aux enseignements de la guerre en Ukraine.
En effet, les appareils plus compacts et légers, comme le Su-25 et le Mig-29 continuent d’apporter une grande plus-value, notamment pour les missions de soutien aérien rapproché. Dans le même temps, les chasseurs bombardiers plus lourds, comme le Su-34, se sont montrés à ce point vulnérables aux défenses anti-aériennes adverses qu’ils n’évoluent désormais plus en territoire ukrainien.
Dans ce contexte, l’hypothèse pour les armées russes de se tourner vers un chasseur léger moderne, susceptibles à la fois d’exécuter des missions pilotées et, sur la même plateforme de sorte à en simplifier la maintenance, des missions drossées au profit d’appareils plus lourds comme le Su-57, aurait évidemment un grand intérêt.
Le Su-75 checkmate peut-il sauver l’industrie aéronautique de défense russe ?
Force est de constater que les exportations d’avions de combat russes sont aujourd’hui au point mort. Ainsi, le Su-35s comme le Su-34, qui n’ont toujours pas trouvé de client à l’international. Les Su-30 et MiG-29 ont, quant à eux, vu leur attractivité considérablement se réduire ces derniers mois, y compris auprès de clients traditionnels de l’industrie aéronautique russe comme l’Algérie ou l’Inde. Cette dernière a, à ce titre, récemment préféré le Rafale M français au Mig-29 KUB pour armer son nouveau porte-avions.
Or, de nouveaux acteurs arrivent sur le marché, comme la Corée du Sud avec le FA-50 et surtout le très prometteur KF-21 Boramae, le Pakistan avec le JF-17, l’Inde avec le Tejas. La plus grande menace vient incontestablement de la Chine avec le J-10C ainsi qu’une gamme qui s’enrichit rapidement, notamment concernant les chasseurs lourds avec le J-16 et le J-20.
Quant aux occidentaux, américain, français et européens, ils font mains basses sur la plupart des compétitions qui leur sont ouvertes. Il est donc désormais indispensable à l’industrie russe de se repositionner rapidement, faute de quoi, elle pourrait perdre d’immenses parts de marchés qui lui seraient impossibles de retrouver à l’avenir.
Dans le même temps, les recettes dégagées par les exportations d’équipements militaires russes, et notamment de ses avions et hélicoptères militaires, contribuaient considérablement aux efforts d’équipement des armées russes. Elles leur permettaient surtout d’acquérir leurs propres appareils à des tarifs très inférieurs à ceux pratiqués à l’exportation. comme le chasseur de 5ᵉ génération Su-57, dont un exemplaire coute moins de 35 m$ aux forces aériennes russes.
Conclusion
On le comprend, la résurrection potentielle du Su-75 checkmate, pourrait bien représenter une nécessité tant pour les forces aériennes russes. Elles pourraient ainsi remplacer leurs Su-25 désormais obsolètes et trop vulnérables, mais également pour représenter une alternative efficace et économique au S-70 Okhotnik-B dans sa version drone lourd. C’est aussi le cas de l’industrie aéronautique de défense russe aujourd’hui en mal de solutions attractives sur la scène internationale. Il faudra cependant probablement renoncer, pour cela, à certaines ambitions anté bellum.
Reste que, pour l’heure, l’attractivité du Su-75 Checkmate, qu’elle soit opérationnelle ou commerciale, existe uniquement dans les présentations ostentatoires de Rostec. En outre, rien ne permet à ce jour de confirmer les performances ni même le prix annoncé en 2021. Une chose est certaine, en revanche. Il faudra rapidement que l’ensemble des acteurs militaires, industriels et politiques, ainsi que la filière aéronautique défense russe, se mobilisent pour éviter que le trou d’air dans lequel ils se trouvent, ne se transforme en décrochage mortel.