Pour le général commandant la force et les opérations terrestres, la bureaucratie freine la mobilité militaire en Europe

Pour le général commandant la force et les opérations terrestres, la bureaucratie freine la mobilité militaire en Europe

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L’Otan peut toujours élaborer des plans de défense pouvant mobiliser jusqu’à 50 brigades et/ou inciter à porter les dépenses militaires à 2 ou 3 % du PIB [voire plus]… Cela ne servira à rien s’il n’est pas possible de faire circuler des troupes à travers l’Europe pour venir rapidement au secours d’un État membre qui aurait fait jouer la clause de défense collective prévue à l’article 5 du Traité de l’Atlantique-Nord.

Ce problème de mobilité militaire a été identifié dès 2017 par l’Otan, dans un rapport « confidentiel » évoqué par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. Le document avait ainsi pointé des infrastructures inadaptées ainsi qu’une bureaucratie pouvant parfois donner lieu à des situations burlesques, comme, par exemple une colonne de blindés bloquée à une frontière pendant des heures à cause de formalités douanières à accomplir…

Peu après, l’Union européenne [UE], via son Service européen pour l’action extérieure [SEAE], dévoila un plan censé améliorer la mobilité militaire entre ses pays membres. Il était question d’identifier les infrastructures susceptibles d’être utiles au transport militaire et de les mettre à niveau si nécessaire. Et il s’agissait également de « rationaliser » les règles « relatives aux douanes », en s’inspirant de l’espace Schengen. Puis, lors des négociations sur le Cadre pluriannuel financier [CPF] 2021-27, il était prévu d’y allouer 6,5 milliards d’euros pour financer 95 projets. Seulement, cette somme fut finement réduite à 1,5 milliard…

Aussi, sept ans après la publication du rapport de l’Otan, les progrès sont minces. On aurait pu penser qu’il aurait plus facile de réduire la bureaucratie et de simplifier les réglementations. Il n’en a rien été.

En novembre 2023, le chef du comité militaire de l’Otan, l’amiral Rob Bauer, l’avait déploré. « La guerre de la Russie contre l’Ukraine s’est révélée être une guerre d’usure. Et une guerre d’usure est une bataille de logistique. Or, nous avons trop de règles », avait-il dit.

La France est bien placée pour le savoir, au regard des difficultés qu’il lui a fallu surmonter pour déployer des chars Leclerc en Roumanie, le code de la route allemand limitant la charge par essieu des porte-chars à seulement 12 tonnes.

Commandant de la force et des opérations terrestres [CFOT], dont relève le « Commandement Terre Europe » [CTE], le général Bertrand Toujouse a rappelé cet épisode lors d’un entretien accordé à Politico. « Nous avons découvert l’ampleur des lourdeurs administratives. Il y a une guerre en Ukraine, mais les douaniers expliquent que vous n’avez pas le bon tonnage par essieu et que vos chars n’ont pas le droit de traverser l’Allemagne. C’est tout simplement incroyable », a-t-il confié.

Pendant la Guerre froide, la circulation des forces entre les membres de l’Otan n’était pas sujet. C’était une « tâche très simple » mais qui « est devenue progressivement extrêmement complexe », a expliqué le général Toujouse. « Il est est absolument essentiel de remettre la mobilité militaire dans les esprits européens, et pour cela il faut la pratiquer », a-t-il ajouté.

Cela étant, beaucoup de choses ont changé depuis l’implosion de l’Union soviétique. À commencer par la composition de l’Otan, qui a accueilli dans ses rangs les anciens membres du Pacte de Varsovie. Et cela pose des problèmes au niveau des infrastructures, celles-ci n’ayant pas été construites selon des normes occidentales [comme les ponts et les tunnels, dont la hauteur est insuffisante].

En outre, comme le souligne le Conseil allemand des affaires extérieures [DGAP – Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik e.V.], beaucoup d’infrastructures n’ont pas été entretenues et se trouvent désormais dans « un état pitoyable » au point de ne pas supporter « le transport rapide de charges lourdes ». En 2022, avance-t-il, le déficit d’investissement de l’Allemagne pour les projets d’infrastructure les plus urgents s’élevait à 165 milliards d’euros… Et 457 milliards d’euros seront nécessaires au cours des dix années à venir.

Dans les pages de Politico, le général Toujouse insiste sur l’importance du transport ferroviaire. « Le chemin de fer reste de loin le moyen le plus pratique » pour déplacer les chars. C’est là-dessus que nous devons nous concentrer », a-t-il dit.

Mais, une fois encore, la course à la rentabilité et la privatisation de compagnies de chemin de fer, comme la Deutsche Bahn, ont fait que de nombreuses lignes de chemin de fer ont été abandonnées. S’ajoute à cela l’absence de normes au niveau européen, les rails étant plus larges dans les pays baltes qu’en Allemagne, par exemple.

En outre, comme l’a montré le sabotage massif auquel a été confronté la SCNF le jour de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris, de telles infrastructures sont vulnérables et peuvent faire l’objet d’attaques ciblées. Enfin, le nombre de wagons plats disponibles pour transporter chars et blindés est insuffisant. Le DGAP estime qu’il a été divisé par dix, en Allemagne, depuis la fin de la Guerre froide.

D’autres obstacles à la mobilité militaire sont propres à certains pays. Dans le cas allemand, le DGAP explique qu’il faut obtenir des autorisations spécifiques pour traverser les frontières entre les Länder [États fédéraux]. « Le transport de matériel militaire lourd du nord au sud de l’Allemagne en 30 jours est perçu comme ‘rapide’. La réglementation serait suspendue si le Bundestag devait déclarer l’état d’urgence, mais cela se produirait probablement trop tard pour servir des objectifs de défense et de dissuasion », écrit-il.

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