Ankara menace les États-Unis d’une riposte s’ils cessent leurs livraisons d’armes aux forces turques
Dans les prochains jours, le comité des Forces armées de la Chambre des représentants du Congrès des États-Unis examinera le projet de Loi d’autorisation de la Défense nationale [National Defense Authorization Act – NDAA], qui fixe le budget du Pentagone ainsi que différentes mesures d’ordre politique.
Ainsi, selon les résumés qui ont été faits de ce projet de NDAA, le 4 mai, il est question de nouvelles sanctions contre l’industrie russe de l’armement « en réponse aux violations des traités », de dispositions visant à améliorer les capacités défensives de Taïwan et d’interdire à toute agence gouvernementale d’utiliser des produits électroniques commercialisés par les groupes chinois Huawei et ZTE, en raison de risques d’espionnage.
Outre la Russie et la Chine, qui, dans la stratégie de défense nationale récemment publiée par le Pentagone, sont qualifiées de « puissances révisionnistes » posant des « menaces grandissantes », la Turquie est également concernées par le projet de NDAA, alors qu’elle est membre de l’Otan.
En effet, ce texte envisage de bloquer toute vente d’équipements militaires importants à la Turquie tant qu’un rapport sur l’état des relations entre Washington et Ankara ne sera pas remis au Congrès par le Pentagone.
Cette disposition n’est pas très surprenante, dans la mesure où l’acquisition par Ankara de systèmes de défense aérienne russes S-400 peut poser des soucis d’interopérabilité au sein de l’Otan et compromettre les capacités de l’avion de combat F-35A, la Turquie en ayant commandé 100 exemplaires.
En clair, cette question des systèmes S-400 pourrait permettre à la Russie d’obtenir des informations sur le F-35, dont les deux principaux points forts sont la furtivité et la fusion des données.
« C’est une préoccupation importante, non seulement pour les États-Unis, car nous devons protéger cette technologie de pointe mais aussi pour tous nos partenaires et alliés qui ont déjà acheté le F-35 », avait ainsi fait valoir Heidi Grant, sous-secrétaire adjointe de l’US Air Force pour les affaires internationales, en novembre dernier.
C’est aspect, outre des désaccords de plus en plus nombreux, notamment au sujet de la Syrie, a été récemment mis en avant par des sénateurs américains pour justifier une proposition de loi visant à interdire toute livraison de F-35 aux forces turques.
« Le décisions stratégiques de la Turquie tombent malheureusement de plus en plus en désaccord avec les intérêts américains, voire en opposition avec eux » ce qui rend « le transfert de la technologie sensible du F-35 et de ses capacités de pointe au régime d’Erdogan de plus en plus risqué », a ainsi expliqué le sénateur James Lankford.
D’où les propos tenus par le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, lors d’un entretien donné à la chaîne CNN-Türk, le 6 mai.
« Ce n’est pas juste pour eux [les États-Unis] de parler avec nous d’une manière menaçante. S’ils prennent une telle mesure à un moment où nous essayons de réparer nos liens bilatéraux, ils recevront certainement une réponse de la Turquie », a ainsi prévenu M. Cavusoglu.
« Notre adhésion à l’Otan ne nous empêche pas d’établir de bons liens avec d’autres pays. Personne ne peut prétendre que la Turquie cherche une alternative à son adhésion à l’Otan », a ajouté le chef de la diplomatie turque, pour qui les États-Unis « doivent comprendre qu’ils ne peuvent plus imposer leurs propres politiques » aux autres et et « prendre des sanctions unilatéralement. »
« Il y a l’ONU et d’autres organisations internationales. Tous les pays doivent se conformer aux résolutions prises par ces organisations. Mais je ne suis pas obligé d’approuver les décisions prises par un pays en particulier. Par conséquent, la tentative des États-Unis de nous imposer des sanctions est illogique et erronée. Je riposterais [dans ce cas] », a encore averti M. Cavusoglu.
« Si les États-Unis imposent des sanctions ou font un pas dans cette direction, la Turquie va absolument y répondre. Mais ce n’est pas quelque chose que nous souhaitons », a insisté le ministre turc, avant d’affirmer que les S-400 acquis auprès de la Russie « ne seront pas connectés aux radars et aux systèmes de l’Otan. »
Cela étant, les discussions sur le NDAA ne font que commencer, sa version finale devant être le fruit d’un compromis entre la Chambre des représentants et le Sénat. En tout cas, interdire la livraison des F-35A (voire les pièces détachées des F-16 et d’autres équipements utilisés par les forces turques) à la Turquie pourrait augmenter les coûts, déjà élevés, de ce programme, auquel la participation turque est estimée à 12 milliards de dollars.
Par ailleurs, la Turquie a été sélectionnée pour assurer la maintenance des moteurs des F-35 utilisés en Europe. Ce qui suscite des inquiétudes à Londres. « Le Royaume-Uni devrait avoir des options en cas de crise diplomatique avec la Turquie », avait ainsi estimé George Kerevan, un député britannique, en avril 2017. « Je veux savoir quelles sont les autres dispositions en place s’il devenait impossible de faire réviser les moteurs », avait-il ajouté.