Un « pacha » et un « grand chef » corses au sommet de l’armée et de l’Otan
Par Paul Ortoli- Corse Matin -30 juillet 2018
L’amiral Jean Casabianca et le général André Lanata – Photos CEMAA/SIRPA
L’amiral Jean Casabianca, né à Ajaccio, promu numéro deux de l’armée ; le général André Lanata, originaire du Nebbiu, sera l’un des piliers français à l’Otan
La Corse, terre de soldats. Cette réputation ne se dément pas, avec deux insulaires promus à des postes prestigieux, cet été, l’un dans les sommets de l’armée française, l’autre dans les hautes sphères de l’Otan.
L’actuel chef d’état-major de l’armée de l’air, le général André Lanata, 56 ans, vient d’être nommé commandant suprême pour la transformation à Norflok, le QG de l’Otan en Virginie (États-Unis).
Il rejoindra ses pénates américains à la rentrée pour endosser l’uniforme de l’une des deux plus hautes fonctions de l’organisation internationale qu’avait quittée le général de Gaulle mais que Nicolas Sarkozy avait choisi de réintégrer.
Au cœur de ses nouvelles missions, la transformation de l’Otan ; la « préparation de l’avenir de l’alliance atlantique qui compte vingt-neuf nations afin de proposer les capacités de demain pour faire face aux grands enjeux », détaille-t-il.
Au-delà de la lutte contre le terrorisme, d’autres fronts s’ouvrent tels que le « cyberespace ou la question spatiale : mais il s’agit d’embrasser l’ensemble du spectre des menaces ».
Sa nomination est la suite logique d’une carrière sans faute, initiée avec un brevet de pilote de chasse en 1984, en pleine guerre froide. Ont suivi 3 300 heures de vol au sein de 146 missions de guerre, notamment au Tchad via l’opération Epervier, en Irak et en ex-Yougoslavie, principalement en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo.
Quittant l’habitacle des Mirage 2000D, il a ensuite commandé l’escadron de chasse « Champagne » puis, sous d’autres tropiques, la base aérienne de Djibouti avant d’intégrer l’état-major de l’armée de l’air dont il est finalement devenu le « grand chef », il y a trois ans.
« Vol de nuit »
Trois années « sous le signe de l’engagement », marquées selon lui par la lutte contre le terrorisme, dans un « contexte sécuritaire où l’armée de l’air a eu un rôle déterminant, notamment au Sahel ou au Levant, puisqu’elle a pu frapper l’ennemi au lendemain des attentats du Bataclan ». Un signe qui indique que l’armée de l’air incarne « l’image d’une nation restant debout ».
Pour ce lecteur de « Saint-Ex » qui a dévoré comme tout pilote qui se respecte Vol de nuit, les « aviateurs ont montré qu’ils protégeaient les Français en prenant les menaces à la racine ». Ces réussites sur les différents théâtres d’opérations se basent, selon le général André Lanata, sur la « qualité des hommes et des femmes : les Français peuvent être fiers de leur armée de l’air ».
Le militaire, qui a gagné ses ailes de général de brigade en 2008, dit suivre la devise du héros de la grande Guerre, Guynemer, qu’a embrassée l’armée de l’air toute entière : « Faire face. »
« Né en Corse de père et de mère corse », ce père de famille de cinq enfants passionné de randonnée (« avec une préférence pour la vallée de la Restonica ») et de plongée sous-marine revient dans la demeure familiale du Nebbiu « à chaque vacance ».
Chez les Lanata, l’armée de l’air est une tradition familiale : André est le fils de Vincent Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air durant la première guerre du golfe et qui a accompli une carrière militaire prestigieuse.
Ce « doublé » est une première dans l’histoire de l’armée de l’air française.
« Amirale nustrale »
Des cieux aux abysses, il n’y a parfois qu’un pas. Un autre insulaire, l’amiral Jean Casabianca, 58 ans, vient d’être promu, quant à lui, major-général des armées, autrement dit numéro deux, coordonnant directement les travaux de l’état-major entre l’air, la mer et la terre, soit une machine de 23 000 soldats.
Une consécration pour cet ancien sous-marinier alors que le budget de la défense vient d’être revu à la hausse par le gouvernement.
« Nous avons bâti la loi de programmation militaire avec une double philosophie, réparer le matériel usé, préparer l’avenir », détaille le haut gradé qui fut le conseiller marine de Michèle Alliot-Marie, d’Hervé Morin avant de devenir le chef de cabinet de Jean-Yves Le Drian, puis des ministres des armées Sylvie Goulard et Florence Parly.
« Aujourd’hui, la France est engagée au Sahel, au Mali, au Tchad, au Niger, mais aussi en Méditerranée, en Syrie, au Liban, en Irak ou dans l’océan indien », énonce le « Pacha », non sans oublier l’opération Sentinelle, en collaboration avec la police et la gendarmerie, qui lutte contre le « terrorisme djihadiste militarisé » sur le territoire national.
« Nous avons modifié notre mode d’action en développant l’imprévisibilité, sans trop rester sur les sites et en étant capable d’agir en bloquant les frontières si une bande décide de s’enfuir », détaille l’amiral Casabianca.
Le soldat de demain ? « Je ne sais pas s’il sera hyperconnecté, mais son environnement le sera et la cybermenace existe, alors il devra se défendre et maîtriser le numérique », avance-t-il depuis son bureau parisien de chef de cabinet militaire.
« Depuis deux siècles, un tableau représentant la signature, le 15 mai 1768, par le duc Etienne de Choiseul, du traité de Versailles qui voit Gênes céder l’île à la France, y est en place », précise l’« amirale nustrale » qui y voit, en bon marin, une « base stratégique offerte à la France face aux Anglais campés à Minorque et Gibraltar ».
Le jeune Napoléon Bonaparte, qui naîtra un an plus tard, écrira à Paoli que c’était le temps où la patrie périssait.
« L’hôtel de Brienne a été, de 1800 à 1805, la résidence de Lucien Bonaparte, ministre de l’Intérieur, puis la résidence de Madame Mère avant de devenir celle du ministre des armées ou de la défense selon les gouvernements », poursuit ce natif d’Ajaccio, fier, malgré un curriculum vitae long comme le bras, d’y écrire qu’il a usé les bancs de l’école primaire Forcioli-Conti, du groupe scolaire Saint-Jean et du lycée Fesch où il a obtenu son bac.
« Mon grand-père maternel était boucher derrière la cathédrale d’Ajaccio, tandis que mon grand-père paternel, qui était dans l’infanterie marine, décéda dans l’entre-deux-guerres, ce qui fit de mon père et de ses trois frères des pupilles de la Nation », ajoute ce père de quatre enfants qui revendique une double origine à Argiusta-Moriccio (Taravo) et Sant’Antonino en Balagne.
Du haut de ses vingt ans d’embarquement sur huit sous-marins, six bâtiments de surface et 20 000 heures sous les mers qui l’ont mené à réaliser des opérations spéciales, notamment pendant le conflit irako-iranien, et à se spécialiser dans la question nucléaire, le pacha garde les pieds sur le plancher des vaches : « Je suis un fils d’Ajaccio. »