Mme Parly appelle les pays européens à engager leurs forces spéciales au Sahel
À l’occasion d’une visite au 4ème Régiment d’hélicoptères des forces spéciales [RHFS], à Pau, la ministre des Armées, Florence Parly, a fait le point sur l’état de la menace terroriste et tracé « quelques pistes » pour l’avenir s’agissant de l’action des forces françaises et, plus généralement, des initiatives prises par son ministère.
Tout d’abord, la lutte contre le terrorisme va encore durer, même après la fin du califat de l’État islamique [EI ou Daesh] au Levant. D’ailleurs, l’actualité quotidienne le montre : il n’y a pratiquement pas un seul jour sans que l’on apprenne une attaque menée par une organisation jihadiste… « C’est en réalité le conflit d’une génération. Tous les facteurs sont là pour le confirmer », a estimé Mme Parly.
Il y a en effet au moins deux raisons qui incitent à faire un tel constat : les crises « profondes » de gouvernance qui ont permis à des organisations comme l’EI ou al-Qaïda de prospérer n’ont pas été réglées [et certaines sont encore loin de l’être] et les jihadistes inscrivent leur action dans le temps long.
« Cet ennemi est là pour durer, car il se pense lui-même dans la durée. […] Il joue le temps long. Il mise sur la jeunesse. Il y a eu les lionceaux du califat, l’insistance sur les familles, l’enseignement. Il y a ces structures locales, à l’étranger et même dans notre pays parfois. Tout est pensé pour fabriquer en secret la prochaine génération de tueurs », a expliqué Mme Parly.
Évidemment, cela pose des défis stratégiques, politiques, diplomatiques, juridiques et matériel. Sur ce dernier point, la ministre a souligné la nécessité d’adapter « nos propres cycles d’innovation pour développer nos moyens de détection, de protection, de destruction parfois, aussi », face à ennemi « versatile » qui « a su bricoler de sérieuses menaces contre nous, comme des drones commerciaux lestés de grenades, toutes sortes d’explosifs improvisés cachés dans des vélos, des motos, des ânes et même des vaches. »
Cela étant, au sujet des équipements, Mme Parly a évoqué « l’économie de moyens que nous devons apprendre à gérer » étant donné que si « un Rafale et une GBU » est « essentiel contre un blindé de Daesh », il ne l’est « pas forcément contre un piéton armé dans un bosquet. »
Quoi qu’il en soit, et au-delà, de la poursuite de l’engagement de la France contre les groupes terroristes, Mme Parly a plaidé pour une implication plus grande des membres de l’Union européenne.
« Nous aurions tort de croire que le terrorisme est une menace pour la France seule : nos partenaires ont tous été touchés, et c’est ensemble que nous devons réagir. Et pour ceux qui n’ont pas été frappés directement, il y a le devoir de solidarité », a souligné Mme Parly, avant de rappeler que « l’unique activation de la clause de solidarité de l’UE, l’article 42.7 [du traité de l’UE], a été en réponse aux attentats du 13 novembre [2015] ».
« Aujourd’hui, ce sont 23 armées européennes qui sont présentes au Sahel. L’Union européenne fait beaucoup, avec ses missions de formation comme EUTM Mali, son soutien financier massif aux pays vulnérables du pourtour syrien. Elle dépense déjà plus de 300 millions d’euros par an dans des actions destinées à renforcer la cohésion des pays en crise et lutter contre l’extrémisme violent. C’est aussi un acteur majeur de l’aide au développement », a poursuivi la ministre.
Seulement, comme « elle est moins présente sur le haut du spectre. Elle peine à convaincre les Européens qu’elle traite véritablement la menace », a noté Mme Parly. D’où sa question : « Comment donc, lui donner le rôle qu’attendent les électeurs qui sont sortis voter en nombre le mois dernier? »
Pour la ministre, l’Europe « doit intégrer dans son logiciel l’action contre le terrorisme ». D’autant pluis que si le Sahal n’est pas stabilisé, elle aura « durablement sur sa tête non pas une, mais deux épées de Damoclès : celle du terrorisme et des prises d’otages, et celle des migrations illégales, dont beaucoup transitent par ces territoires. »
Dans le cadre de l’Initiative Européenne d’Intervention [IEI], qui n’a pas été inspirée par l’UE et qui ne fait donc pas partie de la Politique européenne de défense et de sécurité, Mme Parly a indiqué qu’elle avait créé « un groupe spécial sur la dimension militaire du terrorisme, afin que nous nous aguerrissions mutuellement sur ce sujet. » Or, a-t-elle ajouté, « les premiers contacts ont été positifs » et « il faut maintenant aller de l’avant. »
Pour rappel, lancée en juin 2018 et réunissant 11 pays [France, Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni], l’IEI vise à « favoriser l’émergence d’une culture stratégique européenne commune et à créer les conditions préalables pour de futurs engagements coordonnés et préparés conjointement sur tout le spectre de crise. »
Alors, quel rôle pourraient jouer les pays européens? « Il faut accompagner les forces armées sahéliennes après les avoir formées, y compris lorsqu’elles vont au combat, et pas seulement dans les états-majors. Ce n’est pas un sport de masse, j’en conviens », a enchaîné Mme Parly. « Mais si les Européens, qui sont directement concernés, ne le font pas, qui, alors, le fera? », a-t-elle ensuite demandé.
« Dès lors, pourquoi ne pas faire appel aux forces spéciales des pays européens? Elles en sont parfaitement capables dès lors qu’elles le veulent. C’est ce que nous avons proposé à plusieurs de nos partenaires, en lien avec les autorités maliennes », a continué la ministre.
Et d’après elle, les « retours sont encourageants » et l’espoir de voir ce « projet prospérer » est de mise. « Ce serait une belle démonstration de comment l’Europe répond à la toute première préoccupation de sécurité de ses citoyens », a jugé Mme Parly. Reste maintenant à voir quels pays répondront présents, comme l’ont déjà fait le Royaume-Uni et l’Estonie, qui ont respectivement engagé des hélicoptères CH-47 Chinook et un détachement d’infanterie auprès de la force Barkhane.
Photo : Commandos belges (c) Défense belge