Les Forces aériennes stratégiques manquent d’avions Rafale pour l’entraînement de leurs équipages
La dissuasion française repose sur deux composantes : océanique, avec la Force océanique stratégique [FOST], qui met en oeuvre quatre sous-marins nucléaires lanceur d’engins [SNLE] de la classe Triomphant porteurs de missiles M-51, et aéroportée, avec les Forces aériennes stratégiques [FAS] et, dont une moindre mesure puisqu’elle n’est pas permanente, la Force aéronavale nucléaire [FANu].
Chaque année, le budget alloué à la dissuasion nucléaire représente 12,5% des crédits affectés au ministère des Armées. Ce qui fait environ 60 euros par Français et par an. Et ce qui fera bientôt 100 euros par Français car il est question d’investir 37 milliards d’euros pour entrenir et moderniser les moyens de la force de frappe française entre 2019 et 2025.
Il s’agira ainsi de financer le développement et la construction de quatre SNLE 3G, appelés à succéder à ceux de la classe Triomphant, ainsi que la modernisation des missiles ASMP-A et la mise au point du missile AS4NG pour les FAS et les FANu.
Certains, estimant la note beaucoup trop salée, avancent régulièrement l’idée qu’il faudrait supprimer les FAS et la FANu, comme les Britanniques le firent avec leur composante aéroportée à à la fin des années 1990. « Çà ne peut plus être ceinture et bretelles », avait ainsi lancé Hervé Morin, quatre ans après avoir quitté la tête du ministère de la Défense.
Seulement, si cet argument aurait pu à la rigueur être entendu quand les FAS reposait sur le couple Mirage IV/ bombe AN-52 puis ASMP, il tombe complétement à plat aujourd’hui. D’autant plus que leur format a déjà été fortement réduit puisqu’elles ne comptent actuellement plus que deux escadrons de chasse [le 1/4 Gascogne et le 2/4 La Fayette] contre encore trois il y a 10 ans.
Ensuite, la composante aéroportée de la dissuasion apporte une certaine souplesse au président de la République en lui donnant une marge de manoeuvre politico-diplomatique et en lui permettant de démontrer sa détermination grâce à l’aptitude des FAS à monter progressivement en puissance et à réaliser un raid nucléaire dit « d’ultime avertissement » [ce que le film, « Le chant du loup » ne montre hélas pas…].
Mais tel n’est pas le seul rôle des FAS, dont les effectifs représentent 4% de ceux de l’armée de l’Air. Grâce aux Mirage 2000N [retirés du service en 2018], aux Rafale B et avions ravitailleurs C-135 [progressivement remplacés par les A330 MRTT Phénix], ces dernières assurent une part non négligeable de missions dites conventionnelles, que ce soit dans le cadre des opérations extérieures ou au titre de la posture permanente de sûreté aérienne.
« Le premier atout de la composante aéroportée est sa dualité. Ce terme technique signifie que les forces aériennes stratégiques ne disposent pas de moyens qui leur soient exclusivement réservés. Tous nos avions, tous nos moyens contribuent à l’ensemble des missions de l’armée de l’air. Tous nos escadrons de chasse – exclusivement équipés de Rafale Biplaces – couvrent l’ensemble du spectre des missions de l’armée de l’air : police du ciel, missions de reconnaissance, dissuasion, opérations extérieures, etc. », a ainsi rappelé le général Bruno Maigret, le commandant des FAS, lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale.
Ainsi, l’an passé, les opérations extérieures ont représenté 35% de l’activité Rafale des FAS. « En 2018, 80 munitions ont été tirées par nos équipages au Levant ou au Sahel, 83 depuis le début de l’année 2019 », a souligné le général Maigret. « Pour la flotte C135, nous parlons de 43 % d’activité réalisées sur les 2 plots opex, et une alerte PPS permanente », a-t-il ajouté, précisant, plus tard, que les avions ravitailleurs ne sont sous son « contrôle opérationnel que 4% du temps ». Ce qui est suffisant pour assurer « la crédibilité et la cohérence du raid nucléaire entier, combinaison de têtes nucléaires, de missiles, de chasseurs, de ravitailleurs et d’infrastructures. »
Cependant, cette dualité a un revers : les FAS manquent de Rafale B disponibles pour assurer l’ensemble de leurs missions ainsi que l’entraînement de ses équipages.
« À Saint-Dizier, en moyenne sur l’année, 25 Rafale sont aptes au vol, dont la moitié est employée pour réaliser les missions opérationnelles et l’autre moitié au maintien en condition opérationnelle des équipages. Cela laisse donc 12 appareils pour l’entraînement des équipages », a lâché le général Maigret.
« La loi de programmation militaire prévoit une remontée d’activité vers 180 heures de vol par an pour nos équipages. Nous n’y sommes pas. Pour un avion omni-rôles tel que le Rafale, c’est essentiel. Les Américains, pour ce type d’avion, visent 230 heures. Accroître le nombre d’avions disponibles et l’activité de mes équipages est donc aujourd’hui une priorité », ensuite expliqué le commandant des FAS.
L’entraînement des équipages est d’autant plus fondamental qu’assurer une mission nucléaire n’est pas un « sport de masse ».
En outre, a-t-il le général Maigret, « au-delà de la contrainte organique, ou d’entraînement, le nombre d’avions est également fondamental du point de vue opérationnel » car « en cas d’engagement de haute intensité, nous pourrions être amenés à devoir préserver les moyens de la dissuasion et de la posture permanente de sûreté pour garantir la survie de la Nation. »
Or, actuellement, avec le nombre d’avions dont elles disposent, les FAS auraient « une vraie difficulté pour accomplir » leurs « autres missions et mener une campagne aérienne dans la durée et en intensité, avec un niveau d’attrition potentiellement important, sans entamer ce socle de moyens essentiels », a prévenu le général Maigret. « Le format est donc un point d’attention de la prochaine LPM », a-t-il dit.
En attendant, il s’agit surtout d’augmenter la disponibilité des Rafale.
« J’estime que nous devons encore faire mieux, et nous plaçons de l’espoir dans le contrat Ravel en matière de disponibilité pour la flotte Rafale », a confié le général Maigret, qui place aussi ses espoirs dans la réforme du Maintien en condition opérationnelle [MCO] aéronautique et le Niveau de soutien opérationnel [NSO] 4.0, qui vise à garantir la « capacité de l’Armée de l’air à réaliser toutes ses missions, en tous lieux et en toutes circonstances. »
S’agissant de la modernisation des FAS, qui constitue un autre enjeu important, elle a déjà commencé avec la livraison des deux premiers A330 MRTT Phénix. Au total, 15 seront mis en service à terme. « Le plus tôt sera le mieux », a lancé le général Maigret.
En 2023, le missile ASMP-A subira une rénovation à mi-vie, ce qui permettra d’attendre, à l’horizon 2035, l’arrivée de son successeur, l’ASN4G. « Véritable rupture technologique, ce vecteur sera à même de pénétrer les défenses adverses les plus évoluées, grâce à une combinaison de vitesse et d’agilité inédite. Son arrivée nécessitera l’adaptation du porteur. Ce dernier restera à ce stade un appareil de type Rafale, en attendant l’arrivée, en 2040 du SCAF », a commenté le commandant des FAS. Le couple « SCAF/ASN4G » permettra aux FAS d’avoir toujours un coup d’avance sur les systèmes de défense aérienne, tel le S-500 russe, a-t-il asssuré.
Plus proche, la mise au standard F3R des Rafale est très attendue. « Cette version permettra l’emport et le tir du missile Meteor, véritable game changer du combat aérien grâce à sa portée de tir extraordinaire. Le F3R comporte également la possibilité du combat collaboratif. Ce dispositif permet à un appareil de guider un missile tiré par un autre Rafale. Cela compliquera fortement la tâche de l’adversaire », a fait valoir le général Maigret. Et les capacités en matière de connectivité seront encore accrues avec la version F4.
Enfin, il n’est pas question, du moins pour le moment, que les FAS soient dotées de planeurs hypersoniques. Le programme V-MAX, annoncé en janvier par la ministre des Armées, Florence Parly, vise avant tout à voir comment il est possible de s’en protéger [parce que d’autres puissances entendent s’en doter] et comparer leur potentiel d’emploi. « Néanmoins, il n’est pas prévu d’orienter la composante aéroportée dans cette direction, dans laquelle nous ne bénéficions pas des atouts qui nous profitent dans le domaine du statoréacteur », a conclu le général Maigret.