Récit – Afghanistan (avril 2011) – Quand les anges gardiens font but à plus de 1.700 mètres, de nuit (+MAJ)

Récit – Afghanistan (avril 2011) – Quand les anges gardiens font but à plus de 1.700 mètres, de nuit (+MAJ)

Mars attaque – publié le 25 mai 2021

Avant-hier dans les vallées afghanes, hier dans les zones urbaines ou péri-urbaines irakiennes et syriennes le long de la Kurdish Defense Line, à Mossoul, dans la moyenne vallée de l’Euphrate ou à Baghouz, encore aujourd’hui dans les étendues désertiques sahéliennes ou les montagnes de Makhmour au Kurdistan irakien, demain nul ne le sait… Le système d’armes composé de l’arme, de la munition, de l’optique, de l’optronique, du calculateur et des opérateurs formés et entraînés permet d’atteindre des performances élevées. Avec une réelle compétence dans le domaine du tir à très longue distance détenue et mise en œuvre par les militaires français. « Cela fait maintenant plus de 10 ans que les faits se sont déroulés, il est donc possible de commencer à en parler« , précise d’emblée un militaire, vétéran d’Afghanistan et sans doute membre des forces spéciales, dans un commentaire sur un récent article publié par Michel Goya (dans sa série d’articles « Tueurs fantômes et anges gardiens« ). « C’est le témoignage à la fois d’une action d’anges gardiens, et d’un record mondial inconnu« , indique-t-il. Record mondial sans doute, et clairement peu connu en tout cas

 

Patch (non officiel) du mandat Jehol IV. L’arbalète (et son pénétrant carreau), symbole du Commandement des Opérations Spéciales (COS), visant un insurgé local transportant sur son dos son stock de roquettes type RPG. Crédits : privés.


Pour planter le décor, l’action racontée se déroule, de nuit, en avril 2011 en Afghanistan, au cours du mandat Jehol IV (environ de novembre 2010 à avril 2011). Jehol était le nom donné au déploiement des groupements de forces spéciales (GFS) françaises de la fin 2009 / début 2010 à décembre 2012, des GFS qui avaient initialement pour mission principale la localisation et la libération des deux journalistes français alors détenus en otage. Jehol est le nom d’un cheval (« Le Cheval Fou« ), qui est une figure centrale dans le livre « Les Cavaliers » de Joseph Kessel. Ces GFS ont également appuyé les opérations menées par les militaires français de la conventionnelle, en localisant et neutralisant les chefs locaux insurgés et désorganisant les réseaux insurgés, dans la province de Kapisa et le district de Surobi, zones d’opérations des militaires français regroupés au sein de la Brigade La Fayette (Task Force La Fayette – TFLF), à cette époque dans son 3ème mandat, lors de l’opération Pamir. Après la libération des 2 journalistes en juin 2011, le déploiement sera aussi connu par la suite comme la Task Force 32, sous le commandement de l’état-major « forces spéciales » de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), et non plus sous commandement français. Des mandats Jehol qui seront marqués par un durcissement des opérations, dans une zone d’opérations très concentrée, dans la continuité de l’apprentissage et de l’innovation connue lors de l’opération Ares (Août 2003 – Janvier 2007). Une épopée afghane formant « le creuset du contre-terrorisme » pour les forces spéciales françaises, pour reprendre les termes du général Eric Vidaud, actuel général commandant les opérations spéciales (GCOS), dans l’ouvrage  « Les Guerriers sans nom » de Jean-Christophe Nottin. Notamment pour le ciblage : apports des drones, de la guerre électronique, des IMSI-catchers, fusion du renseignement multi-sources, raccourcissement de la boucle renseignement/action…
Les principaux acteurs de l’action racontée dans ce commentaire sont un binôme de tireurs d’élite du 1er RPIMa (issu de la 1er Compagnie de ce régiment de forces spéciales), aidé pour l’observation et la désignation d’objectifs par 2 équipiers d’une équipe de recherche (ER) du 13e RDP (issue du 2ème Escadron), les deux unités étant d’ailleurs notamment liées par leur spécialité nautique. Ils détiennent sans doute à 4 « le record mondial, peu connu, mais toujours inégalé à ce jour à ma connaissance, d’un tir de nuit faisant but à 1.786 m de distance » (oui, oui, à 1.786 mètres). Le tir a été réalisé par nuit claire depuis une position haute en entrée de vallée de Sken, dans le district d’Alasai, au Nord-Est de Kaboul, sur un individu en mouvement. Un chef de groupe taliban abattu alors qu’il prenait à partie, avec son groupe de combattants, une équipe du Commando d’Action Sous-Marine (CASM) Hubert. Ces derniers étaient, dans leur phase d’infiltration, en approche d’un compound (pour désigner les habitations locales composées d’un ensemble de pièces couvertes et d’une cour, et entourées de hauts murs) en fond de vallée d’Alasay. Les fonds de vallée étant réputés pour être les zones refuges privilégiées des insurgés locaux, leurs sanctuaires (et celui d’Alasay était connu pour être particulièrement bien tenu, avec une défense à la fois ferme et en profondeur, un vrai nid de guêpes). 

Carte de la zone d’opérations (la vallée concernée étant à l’Est de Tagab, dans la province de Kapisa) : Crédits : EMA.

Le tir fût réalisé avec une munition en Calibre .338 (sans doute, avec un fusil PGM, McMillan ou Sako, alors en dotation et existant avec un tel calibre), avec une munition explosive/incendiaire pour mieux détecter les impacts (notamment de nuit). Des fusils TRG 42 (en calibre 338 Lapua Mag), de la marque finlandaise Sako (pour Suojeluskuntain Ase- ja Konepaja Osakeyhtiö, ou Firearms and Machine workshop of the Civil Guard), aujourd’hui filiale de la société italienne Beretta Holding, était notamment en dotation au sein du groupe de tireurs de haute précision (THP) de la 1ère compagnie. Groupe ayant pour symbole le rat, un animal survivant à beaucoup de choses, et « RAPAS tireur spécialisé » (de la spécialité « Recherche AéroPortée et Action Spéciale« , devenu aujourd’hui SAS pour « Stick Action spéciale« ), donnant également l’acronyme « RATS« . Les paramètres de tir étaient fournis par le spotter-observateur (le chef d’équipe du binôme de TE), la désignation faite à la JIM LR (une jumelle regroupant de nombreuses fonctions dans un seul équipement portable : vision jour-nuit, télémétrie, pointeur…) par un équipier de l’ER, couplée, pour une double désignation par un autre équipier, au faisceau d’un système ‘JTAC IR pointer’ (un désignateur-laser) pour aider le tireur à visualiser le point d’impact à atteindre : « Le tireur ne voyait que peu, ou du moins mal, la cible dans sa lunette de tir à cette distance, mais voyait très bien la désignation du pointeur en infrarouge« , se souvient l’opérateur. Selon le narrateur, le coup considéré comme au but a été réalisé au bout du 7ème tir, moins d’une minute après le déclenchement du 1er tir. Le fait que la cible soit tué sur le coup ou qu’lle décédera des suites de ses blessures restant, dans le feu de l’action et avec l’absence de possibilités de réaliser une évaluation des dégâts (ou BDA, pour batlle damage assessment), même a posteriori, encore une question ouverte.
« Peu de communication fût faite à l’époque sur ce tir, et même plus tard dans le cadre d’un partage de RETEX (ndlr : retour d’expérience), en franco-français ou auprès des Alliés, notamment Américains« , regrette l’intéressé. Et pourtant, continue-t-il, « cela fût une réussite technique remarquable : alignement progressif de l’observation, puis de la désignation, puis du tir, sur l’objectif par 4 intervenants différents, 1 spotter-observateur TE, 2 équipiers d’ER, et bien sûr 1 tireur TE« . Alors « qu’il me soit permis de rendre hommage aux équipiers pour leur réactivité et leur intelligence de situation au cours de l’événement, au tireur et au spotter pour cet exploit technique, leur savoir-faire et leur maîtrise de ce tir très difficile, un tir efficace particulièrement important et utile pour les camarades marins en contre-bas ! » se souvient-il. Des anges gardiens, pour reprendre une partie du titre de la série d’articles, pour ceux au contact.
Et plus globalement, « hommage également au sang-froid et aux capacités de riposte de l’ensemble du TU (ndlr : task unit, une unité de circonstance composée de différentes composantes issues des différentes armées) au cours des 36h qui ont suivis, suite à des conditions météorologiques qui se sont juste après brutalement dégradées – prenant tout le monde par surprise aussi bien sur le terrain qu’au TOC (ndlr : tactical operations center, le centre de commandement), empêchant toute QRF (ndlr : quick reaction force, ou force de réaction rapide) et l’impossibilité d’obtenir un quelconque appui aérien ». Appui aérien rapproché, par hélicoptère d’attaque, qui ne viendra que bien plus tard. Mais dans l’intervalle, de plusieurs heures, au sol, la visibilité était tombée à 10-15 mètres, l’ennemi montant sur la position, en hauteur, au petit matin profitant du brouillard, et étant en bonne position pour prendre à partie les forces spéciales déployées, notamment ceux en fond de vallée. La situation demeurant particulièrement critique pendant plusieurs heures. En effet, « ce tir et sa désignation par nuit claire, quelques heures auparavant, avaient révélé notre position aux différents groupes ennemis, qui possédaient déjà à l’époque des JVN (jumelles de vision nocturne)… Les difficiles heures qui ont suivis pour nous, puis le lancement de l’opération majeure de la Task Force La Fayette (TFLF) dans la zone 48 heures plus tard (ndlr : potentiellement l’opération Eternal Blacksmith, incluant 600 militaires français et 500 militaires afghans, notamment du groupement tactique intermares (GTIA) Allobroges dont l’ossature était formée par le 7ème Bataillon de Chasseurs Alpins – BCA), ont complètement éclipsé ce record mondial de nuit », poursuit-il.

 

Image d’illustration. Binôme de tireur d’élite du 1er RPIMa (période des mandats Jehol) équipé d’HK417 (selon les modèles (et les optiques et les désignateurs montés), avec et sans réducteur de son, et pour le tir à courte ou à moyenne/longue portée). Date non précisée.
Crédits : Christophe Deal / privés.

Les mandats Jehol étant aussi marqués par une forte complémentarité forces spéciales / conventionnelles (ici, les unités du 3ème mandat de la Brigade La Fayette) : partage des tâches, du renseignement, de la part cinétique/non-cinétique, synchronisation des opérations… Pour la TFLF, « la fin de l’année 2010 et le premier semestre 2011 sont déterminants pour l’armée française en Afghanistan. Dès l’option prise de mener des actions violentes contre les taliban au cœur de la zone verte, l’intensité des combats monte de plus en plus jusqu’à la rupture de la fin de l’été. Cette radicalisation de l’action française en Kapisa et en Surobi, s’étend sur deux mandats. Cette fois, il s’agit de détruire l’ennemi où qu’il se trouve. […] Pour tenir le terrain dans la zone verte, les militaires français y pénètrent dorénavant pour limiter leurs pertes« , comme précise Christophe Lafaye dans son ouvrage « L’armée française en Afghanistan : le génie au combat (2001-2012)« . 
Mais pour le moment, selon le témoin de l’action « tous les acteurs étaient concentrés sur leurs missions respectives (assurer les réarticulations des moyens, rédiger les FRAGO (ndlr : fragmentary orders, ou ordres de conduite simplifiées), prendre en compte une situation sur le terrain très évolutive…), avec une prise à partie, et donc une situation particulièrement précaire pour l’équipe, entre deux passages d’épaisses nappes de brouillard (l’ennemi nous ayant ensuite contourné et nous surplombant, malgré notre position déjà bien haute)« . La capacité de grimpeur, rapide, des combattants locaux étant régulièrement relevée, capables de prendre à revers des postes d’observation pourtant situés à mi-pente ou sur des lignes de crête.

Cette association de compétences donnera ensuite des idées, selon le vétéran d’Afghanistan : « cette coopération, de talents et de compétences complémentaires, d’une équipe de recherche avec une équipe de TE, dans un cadre espace-temps bien défini (dans la stricte conformité des ROE, rules of engagement, en vigueur) avait déjà été initiée sur le mandat précédent, Jehol III. Elle avait été reprise et développée par nos soins et fonctionnait très bien sur notre mandat. Puis elle a été poursuivie et même un moment conceptualisée au cours du mandat Jehol V. Avec une proposition de dénomination : SKIT pour ‘Special Kill and Intelligence Team’, avec un cadre d’emploi développé très précisément ; le nom n’avait pas été retenu au final, on comprend d’ailleurs pourquoi… ». Néanmoins, cela ne restera pas dans les cartons : « de mon point de vue, quelques mois/années plus tard, les Marins ont ‘récupéré’ l’idée et le concept, en renommant cela ESNO ou équipe spéciale de neutralisation et d’observation (terme bien plus politiquement correct), tout en défendant l’idée d’une importante percée conceptuelle sur le sujet…« . L’auteur concluant sans rancune : « comme quoi, toujours aussi pragmatiques et habiles ces Marins 😉« . Créées en 2012 et présentes uniquement au sein de certains commandos jusqu’à peu, les ESNO sont depuis 2019 présentes au sein de tous les commandos dotés de groupes de combat (hors commandos d’appui donc), regroupant des capacités permettant des missions d’observation à longue distance et/ou de neutralisation (jusqu’à des distances de plus ou moins 2.000 mètres). Les premières réflexions autour de ces capacités (mixant observation et destruction, par différents moyens) étant réalisées dans certaines unités spéciales, dès le début des années 2000.

Au final, « quoiqu’il en soit, un très bon souvenir d’une belle coopération entre opérateurs et équipiers, loin des guerres de chapelles et des questions d’emplois/répartitions de tâches, « dans le feu de l’action », pour répondre au danger immédiat de camarades et amis pris à partie en contre-bas« . Une histoire forte parmi une longue liste de souvenirs : « merci au commando Hubert (particulièrement lle groupe B) et merci aux gars du 1er (équipe TE + Groupe Oxy de la 1ère compagnie, ndlr : donc capable de faire de la chute opérationnelle à haute altitude) pour ces 4 mois à bosser tous ensemble. De sacrés souvenirs ! De l’exceptionnel chef de TU issu du 13ème RDP, toujours en activité, présent sur cette action de feu au plus jeune équiper (22 ans à l’époque), nous avons bien assuré sur le moment. Mais nous avons eu chaud et aussi eu beaucoup du pot sur l’intégralité du mandat. En particulier au cours de cette action et des heures qui ont suivi. Il est bien possible qu’en fait un tout autre (arch-)ange gardien veillait également sur nous… et a eu la gentillesse de bien vouloir s’attarder un peu sur notre situation tactique compliquée. Merci Saint Michel« . Et des souvenirs pour tous les présents, conclut-il : « Nous nous en souvenons encore, pour en avoir reparlé avec certains présents il y a peu, autour d’une bonne bière, avec quelques sourires, quelques silences et un reste de frissons« .

Récemment, les capacités du système d’armes complet n’ont pas cessé d’évoluer. Intégration des drones « au contact » pour l’observation et la désignation, désignation déportée par divers moyens, développement « agile » pour optimiser certains calibres dont le .408 Cheytac, capacités étendues jour/nuit et en distance, etc. Et dépassant les actuels premiers échos, encore lointains, entendus ici ou là, certains récits de ces actions, mêlant technicité, ruse et audace pour les militaires français concernés, ne manqueront pas d’être prochainement connus. Au sein des forces spéciales mais aussi des forces conventionnelles, dont les tireurs d’élite, tireurs haute précision ou tireurs d’élite longue distance ne sont pas sans avoir réussis quelques tirs pas moins impressionnants (dont, par exemple, un tir au but à 1.800 mètres, de jour, également en Afghanistan, en 2010 par une équipe de tireurs du 21ème RIMa).
Merci à cet « Anonyme » pour ce partage, Michel Goya pour l’autorisation de recopie, Christophe Lafaye, Jean-Christophe Notin et Christophe D. pour les compléments d’informations sur la période