Les six priorités de la PFUE 2022 en matière de défense
À deux semaines de l’entame de la présidence française de l’Union européenne (PFUE), la ministre des Armées Florence Parly a présenté ce mardi les six grandes priorités de la France en matière de défense. En pole position, la boussole stratégique, un document stratégique qui fixera le cap de la politique de sécurité et de défense de l’Europe.
« Il est temps que l’Europe s’assume. Elle est en effet depuis trop longtemps une puissance qui s’ignore », relevait la ministre des Armées lors d’une audition de la commission défense de l’Assemblée nationale. « Nous voulons d’une Europe qui agit pour elle-même et qui ne subit pas les appétits et les priorités des autres. Nous voulons d’une Europe capable de parler d’une seule voix, de porter ses valeurs, de défendre ses intérêts partout où ils se trouvent dans le monde. Nous voulons, enfin, d’une Europe capable de protéger ses citoyens ».
Le ton est donné. Le volet défense et sécurité de la PFUE sera lui aussi marqué par la volonté d’accélération de l’ « agenda de souveraineté » exprimée jeudi dernier par le président de la République. Une souveraineté que la ministre des Armées a à son tour défini comme « la liberté de décider, la liberté de choisir, la liberté d’agir ». Une souveraineté qui ne s’arrête pas aux frontières de l’Europe, mais se joue également « au Sahel, dans le golfe de Guinée, en Indo-Pacifique, (…) sur la mer, dans les airs, dans l’espace cyber, dans l’espace exo-atmosphérique, dans l’espace informationnel et même (…) sur le terrain des normes ».
« Tout le monde s’accorde à dire que c’est le moment de fixer un niveau d’ambition élevé », a-t-elle ajouté. L’action de la France reposera sur six grandes priorités. Toutes feront partie intégrante de la boussole stratégique, dont la version finale devrait être adoptée en mars 2022, et poursuivront un même objectif : « mieux protéger les Européens ». Il ne s’agira « évidemment pas d’en assurer la mise en œuvre toutes au même niveau dans les six prochains mois », tempère la ministre des Armées. La France amorcera le mouvement, mais ce sera bien aux pays qui lui succéderont à la tête du Conseil, la République tchèque et la Suède les premiers, d’en poursuivre l’élaboration.
La liberté de décider « s’acquiert avec la capacité à disposer, en amont des crises, d’une appréciation commune de la menace », pointe tout d’abord Florence Parly. Cette liberté de décision, c’est l’objet principal de la future boussole stratégique, première des six priorités. « Premier livre blanc de la défense européenne », le document entend fournir un cap pour les 10 prochaines années. Florence Parly l’affirme, il ne s’agit pas de livrer « un rapport de fond de tiroir dont l’ambition s’amenuise à mesure que les années passent » mais plutôt « un véritable plan d’action concret ». La tenue des engagements qu’elle contient sera scrutée de près, un état des lieux annuel devant être présenté par le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité en consultation avec la Commission européenne et l’Agence européenne de défense (AED).
La France doit ensuite davantage promouvoir les opérations conjointes, qu’elles soient conventionnelles ou hybrides. L’enjeu ? « Rendre l’Union européenne plus réactive ». Il s’agira, par exemple, de travailler sur les synergies entre opérations et coalitions ad-hoc et de développer une capacité de réaction rapide. Celle-ci serait en mesure de mobiliser « jusqu’à 5000 hommes » à l’horizon 2025. « Il ne s’agit pas d’une énième tentative de créer une force permanente sur le papier », pointe Florence Parly, mais plutôt d’une volonté de renforcer le potentiel d’action des armées européennes. Cette force reposerait sur un certain nombre d’outils existants, telles que des coalitions comme Takuba et des missions de la PSDC, et à venir, comme la Facilité européenne pour la paix, dont l’extension à la fourniture d’armements sera bientôt une réalité.
D’autres réflexions porteront sur le développement d’une culture stratégique, sur l’amélioration des processus décisionnels et, finalement, sur « ce qui manque aux Européens pour agir dans le monde réel, par exemple dans le domaine des capacités de transport aérien ». L’exemple n’a rien d’anodin, l’un des 14 projets lancés le mois dernier dans le cadre de la Coopération structurée permanente (CSP/PESCO) vise justement à apporter une réponse technologique à ce trou capacitaire. Piloté par la France, le projet « Strategic Air Transport for Outsized Cargo » (SATOC) devrait aboutir, comme son nom l’indique, à identifier une solution européenne de transport stratégique de fret hors-gabarit. La France entend enfin mettre l’accent sur les menaces hybrides, « une réalité de plus en plus présente et tangible ». Pour s’en défendre, la France propose la création d’une « boîte à outils » notamment calibrée pour lutter contre la désinformation.
Troisièmement, l’Europe doit apprendre à défendre ses intérêts communs dans les espaces contestés, que sont les mers, le cyber et l’espace. Sur les mers, la France envisage de développer la présence maritime coordonnée, à l’instar de ce qui s’expérimente déjà dans le golfe de Guinée, et les capacités de surveillance. L’Europe se dotera ensuite d’une politique en matière de cyberdéfense et organisera dès l’an prochain des exercices conjoints dans le cyberespace. Idem pour le spatial, avec l’élaboration d’une stratégie spatiale européenne de défense d’ici 2023, « en tirant les bénéfices de la stratégie de défense nationale » présentée par Florence Parly en 2019.
Pour agir ensemble, « il nous faut aussi des outils et des équipements communs ». Faut-il le rappeler, les armées européennes disposent de 17 types de chars de combat, de 29 types de frégates de premier et second rangs et de 20 types différents d’avions de combat. C’est tout l’intérêt des dispositifs PADR, EDIDP et PESCO que de parvenir à communaliser les développements tout en réduisant les dépendances dans certains domaines, à l’image du transport stratégique cité plus haut. La sanctuarisation de grands programmes multinationaux comme SCAF et MGCS est également primordiale. Le renforcement de la BITD européenne n’est cependant pas exempt d’obstacles, certains émanant paradoxalement de l’Europe. « Souveraineté et naïveté font rarement bon ménage », déclare à cet effet Florence Parly, ajoutant que « nous devons veiller à ne pas nous démunir face à nos compétiteurs en pensant, avec la meilleure foi du monde, agir pour le bien commun ». Et la ministre de citer l’exemple de critères européens ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) susceptibles de placer la défense dans la catégorie des activités non-durables. Avec pour principale conséquence de dissuader les investisseurs et de donner de l’eau au moulin d’un secteur bancaire de plus en plus réticent à soutenir la filière défense.
Étroitement liée à la précédente, la cinquième priorité se concentre sur le soutien à l’innovation, « clef de la puissance industrielle ». « Nous avons besoin d’une industrie européenne forte pour donner à l’Europe les capacités militaires dont elle a besoin », souligne la ministre des Armées. Les engagements communs devront être renforcés, principalement grâce un Fonds européen de défense (FEDef) faisant de l’UE « l’un des trois principaux investisseurs en matière de recherche et technologie en Europe ». Mais l’innovation de défense doit trouver d’autres appuis, relève la ministre des Armées. Un « Innovation Defense Hub » sera dans ce sens créé au sein de l’AED.
Enfin, la dernière priorité relève de l’approfondissement des partenariats existants. Une volonté valable pour le premier d’entre-eux, le partenariat transatlantique, 21 pays étant à la fois états-membres de l’UE et de l’OTAN. Ce partenariat « ne peut que bénéficier d’une Europe plus forte », estime Florence Parly, en écho à la déclaration commune des présidents français et américain signée fin octobre. Et la ministre des Armées d’insister, il ne s’agira en aucun cas de dupliquer les missions et capacités de l’OTAN. « Nous sommes aussi convaincus que les deux organisations sont complémentaires et que la coopération entre elles est un élément fondamental pour faire face aux menaces ». La construction en parallèle de la boussole stratégique et du prochain concept stratégique de l’OTAN « constitue une opportunité unique de renforcer cette complémentarité », précise-t-elle. Derrière l’OTAN, les partenariats avec l’Afrique et les pays de l’espace indopacifique devront eux aussi faire l’objet « d’une attention toute particulière ».