Drones armés : des recommandations pour faire émerger une solution française
« À la bourre ». Trois mots suffisent pour résumer la position de la France dans le développement des drones armés. Pour rattraper le retard, des acteurs industriels et étatiques ont planché durant six mois sur une liste de recommandations, sous l’égide du Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT).
La France à la traîne
La surprise fut de taille lorsque, en 2008 au cours d’une mission sur les drones, une délégation française découvrit qu’Israël maîtrisait la totalité du spectre disponible depuis près d’une décennie. Quatorze ans plus tard, les États-Unis, la Turquie, la Chine ou encore la Pologne sont venus gonfler le peloton de tête. La France, elle, est toujours à la traîne malgré quelques alertes, notamment en provenance des rangs parlementaires.
L’industrie française n’est aujourd’hui pas en mesure de répondre aux besoins opérationnels des armées qui, pourtant, disposent de capacités « bien en deçà de ce qu’elles devraient être ». Et ce retard a désormais pour conséquence d’obliger le ministère des Armées à envisager une solution américaine pour équiper les forces spéciales françaises.
Face à ce constat, le GICAT a initié une réflexion globale avec l’appui du Centre de recherche des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (CreC Saint-Cyr), « matrice de transfert entre les besoins capacitaires et l’aspect industriel ». De décembre 2021 à juillet 2022, des industriels de toutes tailles, membres ou non du GICAT, ont été invités à échanger deux fois par mois avec les représentants du ministère des Armées et du ministère de l’Intérieur.
Les objectifs de ce groupe de réflexion sur les « DRones Aériens à charges OpératioNnelles actives », (GR DRAGON) ? Contribuer à l’émergence de solutions souveraines, mettre à niveau l’ensemble des acteurs quelle que soit leur carrure et dialoguer avec les utilisateurs potentiels. Le tout, en se focalisant sur les drones de moins de 150 kg dont la charge utile génère des effets sur les personnels, véhicules et infrastructures.
Soutenir l’émergence d’une filière
Plusieurs recommandations ont émergé au terme de six mois de réflexions et ont été présentées début juillet lors d’une séance de restitution. Qu’importe l’objet, les acteurs s’accordent tous pour dire qu’il faut désormais « aller vite, très vite », le retard étant aggravé par l’évolution rapide des technologies, l’intérêt croissant engendré par les conflits au Haut-Karabagh et en Ukraine et la densification de l’offre étrangère.
Une première tentative de rattrapage émergeait dernièrement à l’initiative de l’Agence de l’innovation de défense (AID). Ce sont les appels à projets Colibri et Larinae, émis avec l’objectif de déboucher sur des démonstrateurs en 9 à 12 mois pour le premier, en 12 à 18 mois pour le second. Là aussi, il est question aboutir rapidement. Au point d’avoir dû décliner quelques demandes de report de délai. L’effort à consentir dépasse le seul périmètre de Larinae et Colibri. Pour être plus plus agile, plus rapide et créer de nouveaux matériels « non pas en cinq ou six ans mais en quelques mois », il faut donner de la liberté, de l’espace et de l’oxygène aux entreprises, estime le GR DRAGON.
Les règles de certification et de qualification, par exemple, sont « trop contraignantes et pas assez agiles au regards des bonds technologiques prévisibles ». « Le drame de ce début de siècle, c’est le principe de précaution », pointait un intervenant. Ces règles doivent devenir incrémentales et agiles. Le GR DRAGON recommande à ce titre d’établir au plus vite des groupes de travail entre l’État et l’industrie pour plancher sur les règles d’emploi et sur la problématique des zones d’essais et d’entraînement.
La démarche s’accompagne aussi d’un effort de sensibilisation. Systèmes d’armes « de rupture », ces drones « kamikazes », « tueurs » et autres munitions rôdeuses jouissent, premièrement, d’une image peu reluisante aux yeux du grand public. Le déploiement de ces matériels ne pourra se faire que s’ils sont « socialement acceptés » grâce à l’usage du bon vocabulaire et à une intransigeance vis-à-vis des questions éthiques.
Une équation économique à trouver
Bien qu’elle dispose des talents nécessaires, l’industrie doit encore se structurer autour de quelques grands champions. Sans visibilité ni stratégie nationale, il reste par ailleurs difficile pour les industriels de se positionner à long terme sur un sujet exigeant des investissements majeurs en R&D. « Il est indispensable que l’État donne de la visibilité aux acteurs industriels en leur garantissant son aide financière sur la durée tout en hiérarchisant ses besoins prioritaires en termes de souveraineté », souligne le GICAT. L’amorce reposerait sur un plan d’urgence d’au moins 150 M€ sur trois ans. L’effort permettrait de dépasser le stade du démonstrateur pour expérimenter des CONOPS et offrir in fine une capacité initiale susceptible de répondre à un besoin urgent. L’intervalle serait également mis à profit pour structurer un écosystème national.
L’équation est conditionnée par le niveau élevé de R&D qu’exigent ces développements. Il ne s’agit pas seulement de combler l’écart avec la concurrence, mais aussi de plancher sur des briques naissantes ou à venir, comme le vol en essaim, la résilience des communications ou le rôle de l’intelligence artificielle. Et ne pas limiter la réflexion aux seuls conflits récents. « Ce que l’on voit en Ukraine n’est pas nécessairement ce que l’on verra dans cinq ans », pointait un intervenant.
Pour maintenir la dynamique dans la durée, l’État français devrait y consacrer plusieurs centaines de millions d’euros en moyenne par an à compter de la fin de la décennie, estime le GICAT. Si elle évolue avec un temps de retard, la lutte anti-drones se généralise et se durcit en parallèle. Désormais, aucun drone n’est indétectable, et encore moins indestructible. L’attrition est donc une donnée intrinsèque à leur emploi. Réponse parmi d’autres, la massification entraîne une réflexion sur l’équilibre à trouver entre les coûts d’acquisition et le degré de technicité. Autres paramètres clés, la normalisation et une logique de modularité doivent être privilégiées afin de réaliser des économies d’échelle.
Cette équation économique inclut aussi dès l’origine la question de l’export. À l’instar des autres filières, celle-ci ne peut se développer en ne misant que sur le marché intérieur. La clientèle étrangère s’avère cruciale en termes économiques, conformément au souhait de la BITD d’exporter 50% de sa production. Les principes d’exportation doivent néanmoins être anticipés afin de ne pas subir le veto d’un éventuel fournisseur étranger ou, pire, de devoir brider l’emploi par les opérationnels.