L’Occident serait-elle trop confiante dans la non-utilisation d’armes nucléaires par la Russie, la Chine ou la Corée du nord ?

L’Occident serait-elle trop confiante dans la non-utilisation d’armes nucléaires par la Russie, la Chine ou la Corée du nord ?


 

L’Occident serait-elle trop confiante dans la non-utilisation d’armes nucléaires par la Russie, la Chine ou la Corée du nord ?


Dans son nouveau rapport au sujet des armements, du désarmement et de la Sécurité international, le Stockholm International Peace Research Institute, ou SIPRI, l’institut suédois faisant référence dans ce domaine, trace un instantané du rapport de force mondial en matière de forces armées. Cette année, celui-ci montre, entre autre, une progression inédite depuis plusieurs décennies des systèmes d’arme nucléaires et des têtes en service dans le monde.

En effet, entre 2022 et 2023, le nombre total de têtes nucléaires opérationnelles est passé de 9.490 à 9.576, soit une hausse de 0,9% au global. Toutefois, cette variation faible au demeurant cache d’importantes disparités, alors que les pays occidentaux (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France et Israel) ont maintenu des stocks strictement identiques, là ou la Chine (410 vs 350) a connu une hausse de plus de 17%, et la Corée du Nord (30 vs 25) de 20%. Quant à la Russie (+0,2%), l’Inde (+2,5%) et le Pakistan (+3%), leurs stocks ont augmenté de manière plus modéré.

Pour autant, cette hausse rapide des stocks chinois et nord-coréens, n’a pas donné lieu à une quelconque réponse marquée par les autorités des pays occidentaux dotés.

Cette absence de réaction est à chercher dans la certitude partagée par les chancelleries occidentales, selon laquelle le seuil nucléaire ne pourrait être franchit par les autorités de Moscou, Pékin ou Pyongyang, sachant que le cas échéant, cela déboucherait probablement sur un conflit nucléaire généraliser duquel personne ne sortirait vainqueur.

La Russie mettra en oeuvre une flotte de 12 SNLE Borei/ Borei-A soit autant que la flotte de sous-marins de la classe Columbia de l’US Navy

Cette théorie de la destruction mutuelle assurée a été au coeur de nombres de décisions ces derniers mois, qu’il s’agisse du soutien occidental à l’Ukraine face à la Russie, ou du soutien américain à Taïwan face à la Chine dans le Pacifique.

De toute évidence, européens et américains n’ont jamais vraiment pris au sérieux les menaces du Kremlin dans ce domaine, pas davantage que le réarmement massif en cours de ces pays dans le domaine nucléaire.

Rappelons en effet que ces dernières années, la Russie a considérablement accru ses efforts dans ce domaine, avec la production intensive des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la classe Borei, la reprise de la construction de bombardiers stratégiques Tu-160M2 et l’entrée en service prochaine du système ICBM Satan potentiellement équipé de planeurs hypersoniques Avangard.

La Chine, de son coté, a admis au service 3 SNLE Type 09IV(A) ces 3 dernières années, poursuivi le développement du bombardier stratégique furtif H-20, et surtout a entrepris la construction de 3 nouveaux sites destinés à accueillir des missiles ICBM en silo, pouvant potentiellement amener Pékin à parité avec les Etats-Unis et la Russie dans ce domaine dans les années à venir.

La Corée du Nord, enfin, a procédé à de nombreux essais de nouveaux vecteurs balistiques, y compris un missile à changement de milieux qui armera le prochain sous-marin lanceur d’engins à propulsion conventionnelle de la Marine nord-coréenne.

L’absence de réponse occidentale à ces programmes chinois et nord-coréens, et la certitude des chancelleries européennes et américaines que la Russie n’emploiera jamais l’arme nucléaire en Ukraine, ont été au coeur des préoccupations exprimées par le docteur Francesca Giovannini, la directrice du Harvard Research Network on Rethinking Nuclear Deterrence, à l’occasion du NATO’s Riga StratCom Dialogue qui s’est tenu les 7 et 8 juin dans la capitale lettone.

La Chine a entreprit la construction de 3 sites destinés à accueillir jusqu’à 300 missiles ICBM en silo, contre 399 Minuteman III américains en service

Pour cette spécialiste reconnue de la dissuasion nucléaire, les certitudes occidentales dans le domaine de la dissuasion nucléaire, sont bien trop optimistes. D’une part, Pékin, Moscou et Pyongyang n’ont montré, ces dernières années, aucune volonté pour réduire et contrôler les armes nucléaires, les leurs comme celles de leurs compétiteurs, ce qui démontrerait une stratégie et une doctrine pleinement basée sur le rapport de force nucléaire.

Surtout, aucun de ces pays n’adhère au principe d’inefficacité des armes nucléaires dans un conflit limité, du fait des risques d’escalade et de destruction mutuelle assurée. Au contraire, ils ont développé des doctrines employant les armes nucléaires dans une approche se voulant maitrisée pour obtenir un avantage militaire ou politique circonscrit au théâtre d’opération.

La directrice du Harvard Research Network on Rethinking Nuclear Deterrence n’est d’ailleurs pas la seule à exprimer des inquiétudes motivées dans ce domaine. Ainsi, dans un article publié le 17 Mai par le belier Center de Harvard, le général de brigade en retraite de l’US army Kevin Bryan, a lui aussi expliqué que l’utilisation de l’arme nucléaire en Ukraine par la Russie avait été encadrée depuis plusieurs mois par le Kremlin, notamment si les armées russes venaient à s’effondrer face aux coups de boutoir ukrainiens.

Bien évidemment, les positions exprimées par le docteur Giovanni ou par le général Bryan, ne doivent nullement être considérées comme des prédictions inévitables, mais davantage comme des arguments en faveur d’une évolution des postures occidentales dans ce domaine.

On doit se rappeler, en effet, que jusqu’à quelques jours avant l’offensive russe contre l’Ukraine, l’immense majorité des chancelleries occidentales, ainsi que de leurs services de renseignement, convergeait sur la certitude que la Russie ne commettrait pas l’erreur d’attaquer son voisin.

La Russie comme la Chine et la Corée du nord disposent de vecteurs adaptés aux armes nucléaires de faible intensité, contrairement aux pays occidentaux dotés de l’arme nucléaire

Il est également important de prendre conscience que si la Chine, la Russie ou la Corée du nord, et peut-être bientôt l’Iran, disposent ou disposeront bientôt de vecteurs adaptés à la posture ou a la frappe nucléaire de faible intensité, parfois désignée comme tactique, ce n’est plus le cas aujourd’hui des pays occidentaux dotés, tous n’ayant dans leur arsenal que des armes stratégiques pouvant, éventuellement, voir leur capacité de destruction réduite.

Or, s’il est possible d’identifier un missile balistique Iskander ou DF-21 comme une arme balistique nucléaire de faible intensité, il n’existe aucun moyen de savoir si l’ASMPA, la bombe nucléaire B61 ou les véhicules de rentrée atmosphérique lancés par des ICBM ou des SLBM sont de faible, moyenne ou forte intensité.

De fait, on peut se demander si, aujourd’hui, il ne manquerait aux pays occidentaux dotés de l’arme nucléaire, toute une partie de l’alphabet nécessaire à l’inévitable dialogue stratégique qui fut au coeur du rapport de force face à l’Union Soviétique au cours de la guerre froide, au risque de ne pouvoir contenir les risques de dérapages potentiels qui se dessinent ?