Afrique subsaharienne : la démocratie fragilisée
La démocratie sur le continent africain est une affaire récente et fluctuante, aujourd’hui en recul face au retour de l’autoristarisme dans plusieurs pays. La carte politique de l’Afrique subsaharienne met en évidence cinq types de régimes : la monarchie, il en existe deux; la démocratie, les élections y respectent les délais constitutionnels et donnent lieu à une alternance pacifique ; la démocrature, simulacre de démocratie ; la dictature, caractérisée par l’absence d’élections au suffrage universel ; et la junte, pays où les militaires sont au pouvoir.
La tendance de fond actuelle est celle d’un regain de l’autoritarisme sous la forme de coups d’État constitutionnels et de remilitarisation du pouvoir. 23 des 49 pays d’Afrique subsaharienne sont de fait des démocratures, c’est-à-dire des régimes qui présentent une forme démocratique, mais exercent une pratique autoritaire du pouvoir. Les élections y sont organisées selon le calendrier constitutionnel, mais de telle manière qu’elles ne laissent aucune possibilité d’alternance. Ces régimes se caractérisent donc par la concentration du pouvoir dans quelques mains et la longévité soit des dirigeants, soit du parti au pouvoir, soit des deux. Trois chefs d’État sont au pouvoir depuis plus de trois décennies (Teodoro Obiang Nguema Mbasogo en Guinée équatoriale depuis 1979, Paul Biya au Cameroun depuis 1982 et Yoweri Museveni en Ouganda depuis 1986), et plus d’une dizaine d’autres sont installés depuis au moins dix ans.
Démocratures, juntes et dictatures dominent
La diversité des démocratures s’exprime essentiellement dans le degré de répression politique et l’espace laissé à l’opposition qui peuvent varier en fonction des circonstances. En Tanzanie, par exemple, le parti au pouvoir depuis l’indépendance en 1962 a accepté le multipartisme en 1994 et a toujours remporté les élections depuis. Néanmoins, l’élection du président John Magufuli en 2015 a conduit à un virage autoritaire du régime qui a pris fin avec son décès en 2021. Son successeur, la présidente Samia Suluhu, a réouvert l’espace politique et prône la détente (libération du dirigeant du principal parti d’opposition, liberté d’expression des critiques, etc.), mais pour combien de temps? Certains de ces pays n’ont jamais vécu d’élections non frauduleuses. La République démocratique du Congo n’a connu qu’une seule élection régulière (2006), car organisée par les partenaires internationaux et l’ONU. Les élections suivantes (de 2011et 2018) ont été massivement entachées de fraude.
Les deux autres formes de régimes autoritaires sont les juntes (4) et les dictatures (2), qui se caractérisent par l’absence d’élections. Ces régimes, minoritaires, s’inscrivent tous dans un contexte conflictuel. Les juntes que l’on croyait appartenir à un sinistre passé politique ont fait leur retour depuis 2020. De Khartoum à Conakry, les militaires ont repris le pouvoir entre 2020 et 2022. Le Mali a inauguré le retour des militaires en 2020, et l’épidémie de putschs a atteint le Soudan, la Guinée et le Burkina Faso. La démocrature malienne et la jeune démocratie burkinabè – le long régime de Blaise Compaoré initié en 1987 a été chassé par la rue en 2014 – ont été les victimes collatérales de la guerre au Sahel. La tentation militaire persiste en Afrique comme l’attestent les récentes tentatives de putschs qui ont échoué (Gabon en 2019, Niger en 2021 et Guinée-Bissau en 2022). Les dictatures civiles sont marquées par une longue conflictualité qui interdit jusqu’à présent la pacification des relations politiques. Le nouvel État du Soudan du Sud a sombré dans la guerre civile deux ans après son indépendance, et l’Érythrée a connu un long conflit avec son voisin éthiopien. Par ailleurs, la frontière est parfois floue entre dictatures militaires et dictatures civiles (l’Érythrée est un régime de parti unique dans lequel l’armée joue un rôle déterminant).
18 pays sont des démocraties
Les régimes démocratiques constituent la seconde catégorie en nombre d’États (18). Si ce régime est enraciné dans quelques pays depuis le XXe siècle (Afrique du Sud, Sénégal), d’autres sont des démocraties du XXIe siècle. Ces démocraties récentes ont réussi leur transition politique et ont connu des alternances électorales pacifiques (Nigeria, Ghana, Sénégal, etc.). Dans certains cas, l’enracinement de l’éthos démocratique s’est traduit par la résistance à des velléités antidémocratiques du pouvoir. Au Sénégal, la mobilisation citoyenne a empêché la tentative de troisième mandat du président Wade en 2011-2012. D’inquiétantes tendances ont, cependant, fait basculer certains pays vers l’autoritarisme et fragilisent les démocraties actuelles.
Les révisions constitutionnelles pour prolonger les pouvoirs présidentiels en place se sont multipliées en Afrique. Lors de la vague de démocratisation des années 1990, de nombreux États avaient inscrit dans leur constitution une clause limitant à deux le nombre de mandats pour un même président et/ou imposant des limitations d’âge. Mais, depuis le début du XXIè siècle, on assiste à une banalisation de la révision ou de la suppression de cette clause par voie parlementaire ou référendaire : Togo (2002), Gabon (2003), Cameroun (2008), Djibouti (2011), Congo Brazzaville (2015), Rwanda (2017), Tchad (2018), Guinée (2020). En Ouganda, le président Museveni, qui a pris le pouvoir en 1986, a réussi à supprimer à la fois la limitation des mandats en 2006 et la limite d’âge pour la présidence en 2018. Au Sénégal, en 2012, au Burundi en 2015, en Zambie en 2018 et en Côte d’Ivoire en 2020, les présidents en exercice ont obtenu une interprétation juridique de la constitution leur permettant de se représenter et de faire un troisième mandat. Cependant, ces troisièmes mandats ne sont pas toujours acceptés : une forte opposition s’exprime déjà contre la nouvelle candidature en 2023 de Macky Sall, l’actuel président du Sénégal ; le président guinéen Alpha Condé a lui même été chassé par un putsch un an après sa troisième élection.
Après les fils Eyadema au Togo et Bongo au Gabon, le fils du défunt président tchadien Idriss Déby s’est installé au pouvoir en violant la Constitution en 2021. La transition tchadienne qui est en cours vise à légaliser cette succession. Le même scénario semble en préparation au Cameroun, au Congo-Brazzaville, en Guinée équatoriale, et en Ouganda.
Une corruption qui ronge et discrédite la démocratie
L’absence de puissants contre-pouvoirs, le clientélisme politique et le coût croissant des campagnes électorales sans règles de transparence sur leur financement encouragent la corruption dans les élites dirigeantes. En retour, cette prédation élitaire de plus en plus visible constitue un frein au développement du pays et à l’amélioration des conditions de vie de la population.
Le manque d’entretien des infrastructures et d’investissements dans les services publics est ainsi flagrant en Afrique du Sud alors que l’ANC – le parti de Nelson Mandela, au pouvoir depuis 1994 – est devenu synonyme de corruption. De ce fait, EAfrique du Sud est en plein désenchantement démocratique. L’ANC est en déclin, l’abstentionnisme a dépassé les 50 % lors des élections locales en 2021, une opposition radicale et populiste émerge et de nombreux citoyens affirment préférer une dictature efficace à une démocratie corrompue. Ce désenchantement démocratique touche aussi le Kenya et le Nigeria. La critique de la corruption des pouvoirs élus s’est généralisée en Afrique subsaharienne, et beaucoup dAfricains considèrent que la démocratie est un régime qui favorise la corruption élitaire.
Des démocrates sans partis et sans projets
Les partis politiques sont des acteurs centraux du jeu démocratique, car ils jouent un rôle d’intermédiaire entre l’État et les citoyens en agrégeant des revendications et en les transformant en programmes politiques. Mais, dans beaucoup de pays du continent, l’émiettement partisan est la règle, et la capacité des partis à exister en dehors des campagnes électorales est limitée. Ainsi, de nombreux partis africains n’ont pas de structures organisationnelles. Ils n’ont pas de référents idéologiques et n’existent qu a travers un leader charismatique. Leurs programmes se résument à des slogans publicitaires et leur base électorale est souvent communautaire.
Dans les années 1990, la « vague démocratique » en Afrique reflétait le contexte international. Il en est de même aujourd’hui, mais en sens inverse. Le retour de l’autoritarisme en Afrique est encouragé par l’affirmation des dictatures sur la scène internationale. À défaut de produire un modèle autochtone, des dirigeants africains sont séduits par un modèle – celui de la Chine – et se voient proposer des soutiens alternatifs à ceux des Européens et des Américains. Le fait que la Chine soit devenue le principal partenaire économique du continent, que la Turquie y ait construit sa première base militaire à l’étranger (en Somalie) et que la Russie de Poutine « redécouvre » l’Afrique reconfigurent le jeu des influences sur le continent. La régression démocratique en Afrique reflète aussi les dynamiques entre grandes puissances.
> Article paru dans la revue L’Eléphant hors série, juillet 2023