Avec Croix du Sud, l’armée française met en scène sa stratégie Indo-Pacifique

Avec Croix du Sud, l’armée française met en scène sa stratégie Indo-Pacifique

Exercice à Koumac, dans le cadre de l’exercice Croix du Sud 2023  


19 pays, 3 000 civils et militaires sur le terrain… jamais l’exercice Croix du Sud n’avait attiré autant de participants et autant de nations différentes. La France fournit une bonne part des effectifs, grâce à la mission Jeanne-d’Arc, arrivée à bord d’une frégate et d’un porte-hélicoptère amphibie, il y a dix jours. Une manière de renforcer les liens avec les alliés de la zone et d’affirmer la stratégie française dans l’Indo-Pacifique.

Posé dans la baie de Karembé, à Koumac, le porte-hélicoptère amphibie (PHA) Dixmude et ses 200 mètres de long ne passe pas inaperçu. En comparaison, le minéralier en attente de chargement, stationné non loin, paraît presque frêle.

Le navire participe depuis lundi à la phase la plus visible de l’exercice Croix du Sud, débuté le 24 avril : un exercice grandeur nature d’aide à un pays ravagé par un tsunami. Pas moins de 10 bâtiments et 3 000 soldats et civils, représentant 19 nations, y prennent part jusqu’à samedi.

Assurer une présence physique dans les eaux françaises

Avec la frégate rapide furtive La Fayette, le Dixmude est le porte-étendard du groupe Jeanne-d’Arc, parti de Toulon début février avec, entre autres missions, celle d’assurer la visibilité de la présence militaire française dans ses territoires maritimes. « La France dispose de la deuxième Zone économique exclusive dans le monde, 11 millions de kilomètres carrés, lance le capitaine de vaisseau Emmanuel Mocard, le commandant du Dixmude. 90 % se trouve dans l’Indo-Pacifique. C’est une zone gigantesque et je répète assez souvent qu’une zone qui n’est pas contrôlée est un jour pillée. Et ce qui est pillé est un jour contesté. Donc c’est important que les forces de souveraineté contrôlent, surveillent ces zones pour éviter des dérives. »

Une zone qui n’est pas contrôlée est un jour pillée, et ce qui est pillé est un jour contesté.

Capitaine de vaisseau Emmanuel Mocard, commandant du Dixmude

La Nouvelle-Calédonie n’est pas épargnée par le pillage des ressources, en témoigne la crise des Blue Boats, ces navires vietnamiens venus pêcher illégalement les holothuries entre 2016 et 2017. Près d’une centaine avait été repérée, dans l’immense ZEE calédonienne, et 16 d’entre eux avaient été arraisonnés et ramenés à Nouméa par les Forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC), après parfois des altercations musclées avec les braconniers vietnamiens.

La mission Jeanne-d’Arc doit justement mettre à profit son déplacement dans la région en apportant son soutien à l’Agence des pêches du Forum des îles du Pacifique, dans le domaine de la police des pêches.

Pour mener à bien ses missions de surveillance, le Dixmude peut compter sur des hélicoptères Dauphin et Gazelle, ainsi que sur deux drones tactiques, capables de voler six heures en autonomie.

La coopération au cœur des enjeux

Des moyens qui, dans le cadre de l’exercice Croix du Sud, servent à renforcer la coopération entre les différents pays de la région. Des troupes fidjiennes ont ainsi été débarquées sur la plage de Pandop par l’Eda-R (engin de débarquement amphibie rapide), capable d’évoluer « à la vitesse de 60 km/heure avec 100 tonnes de matériel à son bord, soit l’équivalent d’un char Leclerc, le plus gros char de l’armée française et de naviguer en autonomie pendant 3 jours sur une distance de 400 km”, détaille Maxime, chef du détachement amphibie.

« L’axe de la coopération est très important pour les Forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC), souligne leur commandant, le général Valéry Putz. Notamment pour faire face aux enjeux qui touchent le plus les populations, à savoir les conséquences du changement climatique. Cet axe passe par plusieurs canaux pour discuter avec nos partenaires, avoir une vision commune des enjeux de la région, une vision commune de la manière de faire face à ces enjeux-là et d’y répondre collectivement. »

Une coopération mise en œuvre notamment dans le cadre de l’accord FRANZ (pour France-Australie-Nouvelle-Zélande), signé en 1992 et qui permet aux pays insulaires confrontés à une catastrophe naturelle de solliciter une aide tripartite. Le dernier exemple de déclenchement de l’accord FRANZ remonte à début mars, après le passage de deux cyclones au Vanuatu.

La présence chinoise en toile de fond

Un terrain de coopération post-catastrophe sur lequel la Chine semble de plus en plus présente. La semaine dernière, un navire militaire chinois, le Changbai Shan, a accosté à Port-Vila, avec à son bord 20 tonnes de riz et 3 000 tonnes de matériel d’urgence et de reconstruction.

 

 

L’aide chinoise n’est pas nouvelle, mais elle illustre la guerre d’influence que se livrent les grandes puissances dans la région, les Etats-Unis ayant de leur côté annoncé l’ouverture prochaine d’une ambassade à Port-Vila, un mois après avoir décidé de rouvrir celle des Salomon, après la signature en mars 2022 d’un accord de sécurité entre les Salomon et la Chine, le premier du genre dans la région.

Depuis, les Etats-Unis ont rencontré des difficultés pour faire ravitailler leurs navires, à deux reprises aux Salomon, mais également au Vanuatu en janvier.

Pour autant « le Pacifique Sud n’est pas le Pacifique Ouest », où se situe Taïwan, tempère le général Valery Putz. Mais la présence, lors de Croix du Sud, du n°2 de l’armée américaine dans le Pacifique, le général James Jarrard, illustre l’importance grandissante prise par le Pacifique Sud dans la stratégie des grandes nations. « C’est important pour nous de développer notre inter-opérabilité lors d’exercice comme celui-ci, avec des alliés qui partagent nos valeurs comme celle de la liberté de navigation », note pour sa part le général Jarrard.

Quant à la France, elle dispose à Nouméa d’une frégate, le Vendémiaire, qui est régulièrement utilisée pour des missions dans le Pacifique Ouest, comme en début d’année dernière ou en 2019, où sa présence dans le détroit de Formose avait même suscité un début d’incident diplomatique.

 C’est important pour nous de développer notre inter-opérabilité lors d’exercice comme celui-ci, avec des alliés qui partagent nos valeurs comme celle de la liberté de navigation .

Le général James Jarrard, commandant général adjoint de l’armée américaine dans le Pacifique

En janvier dernier, lors de ses vœux aux armées, le président de la République avait fait de la présence militaire dans les territoires ultramarins une priorité : « Nos Outre-mer ne doivent jamais quitter notre regard et notre présence. Et la marche du monde met nombre de ces territoires, en particulier dans le Pacifique et l’océan Indien, aux premières loges des possibles confrontations de demain », avait déclaré Emmanuel Macron, qui souhaite que les Outre-mers français deviennent « une constellation stratégique, à la fois tête de pont relais et point de veille de nos intérêts dans le monde».

La Nouvelle-Calédonie va d’ailleurs voir ses moyens encore renforcés dans les mois et années à venir. Un nouveau patrouilleur, l’Auguste-Bénébig, est arrivé à Nouméa le mois dernier. Un deuxième, le Jean-Tranape, doit être livré en 2025. Un engin de débarquement rapide est, lui, attendu l’année prochaine. Avant le renouvellement des hélicoptères de l’armée de l’air, puis celui des avions de surveillance maritime de la marine, inscrit dans la dernière loi de programmation militaire.