Belgique, la Cour des comptes critique l’achat de blindés français Griffon et Jaguar

Belgique, la Cour des comptes critique l’achat de blindés français Griffon et Jaguar


En octobre 2018, ayant fait part de son intention de rejoindre le programme français SCORPION [Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation] et d’acquérir 382 Véhicules blindés multirôles [VMBR] « Griffon » et 60 Engins blindés de reconnaissance et de combat [EBRC] « Jaguar » pour 1,5 milliard d’euros, la Belgique noua avec la France le partenariat stratégique « Capacité Motorisée » [CaMo].

Ainsi, l’objectif était d’arriver à une interopérabilité « complète » entre l’armée de Terre et la composante terrestre de la Défense belge, leurs unités devant être « interchangeables ». Au-delà de l’aspect capacitaire, il s’agissait de faire converger les règles d’engagement, les doctrines d’emploi, la formation et la préparation opérationnelle entre les deux forces.

Puis, ce partenariat a pris une autre ampleur avec « CaMo 2 », ce second volet du partenariat franco-belge devant s’étendre à l’artillerie, avec l’acquisition par Bruxelles de Camions équipés d’un système d’artillerie de nouvelle génération [CAESAr NG] et de Griffon MEPAC [Mortiers embarqués pour l’appui au contact].

En mars 2024, lors du Forum de défense et de stratégie organisé à Paris, le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], avait décrit le partenariat CaMo comme étant un « modèle à suivre pour nos futures coopérations européennes, à l’heure où s’affirme le besoin de partenariats capables de produire des effets sur le terrain ». Et d’estimer qu’il « devrait même faire tache d’huile sur le continent ». D’ailleurs, le Luxembourg l’a depuis rejoint.

Quant au volet industriel, KNDS France désigna le groupe MOL pour assembler les Griffon destinés à la force terrestre belge. Une usine a ainsi été inaugurée à Staden [Flandre-Occidentale], en avril 2024.

Tout irait pour le mieux si le partenariat CaMo n’avait pas fait l’objet d’un rapport au vitriol rédigé par la Cour des comptes belge et dont l’Organisme de la radiodiffusion flamande [VRT – Vlaamse Radio- en Televisieomroeporganisatie] a publié les bonnes feuilles, bien qu’il soit confidentiel.

Ainsi, selon ce document, les coûts d’achat et d’exploitation des Griffon et Jaguar destinés à la force terrestre belge auraient été mal évalués, ceux-ci devant être dix fois supérieurs par rapport à ce qui avait été prévu. En effet, celui-ci avance que si l’on ajoute les dépenses d’entretien et les investissements pour les infrastructures à la facture initiale de 1,5 milliard d’euros, le programme CaMo atteindrait 14,4 milliards d’euros.

« Si une série de frais ont été pris en compte, d’autres ont en revanche été oubliés, comme la nécessité de rénover ou de construire dans de nombreuses casernes des garages pour ranger le nouveau matériel. Ainsi, à Léopoldsbourg et à Marche-en-Famenne, ces travaux coûteront 230 millions. Dans la future caserne de Flandre orientale encore à construire, la facture sera là de 225 millions. À Charleroi, il faudra débourser 216 millions d’euros supplémentaires », avance la VRT.

Quant au Maintien en condition opérationnel [MCO], il est question d’un coût annuel de 60 millions d’euros pendant 25 ans. Soit 1,6 milliard d’euros. Soit « un montant presque équivalent au prix d’achat initial », relève la Cour des comptes belge.

Celle-ci souligne par ailleurs que la Défense belge devra se procurer les pièces détachées et certaines munitions « aux prix imposés » par le fournisseur français. Ces derniers étant confidentiels, « il est impossible de vérifier si des tarifs comparables sont appliqués à la Belgique », dénonce-t-elle.

D’où ses critiques à l’endroit du service des achats de la Défense, qu’elle accuse de n’avoir « mené aucune analyse formelle des risques, […] notamment en ce qui concerne le contrôle des prix liés à l’achat de matériel, de pièces détachées et de munitions auprès du fournisseur français ». Quant au ministère, elle lui reproche d’avoir « oublié » d’exiger plus de garanties sur les retombées économiques de ce programme, alors que celles-ci sont censées s’élever à 910 millions d’euros.

La « fuite » de ce rapport a incité plusieurs formations politiques – en particulier celles de l’opposition – à se saisir de cette affaire. Ainsi, les écologistes [Groen] et les Libéraux et démocrates flamands ouverts [Open-VLD] ont demandé la tenue, en urgence, d’un débat au Parlement.

« Au moment où l’on cherche des milliards supplémentaires pour atteindre la norme d’investissement de l’Otan, l’ampleur du dérapage dans ce dossier est proprement absurde. Le parlement doit pouvoir jouer son rôle de contrôle », font valoir les libéraux flamands.

Dans un communiqué, la Défense belge s’est dit prête à s’expliquer devant les parlementaires… mais seulement après la publication du rapport définitif de la Cour des comptes. En attendant, elle a rappelé que la somme de 1,5 milliard d’euros ne concerne que l’achat des Griffon et des Jaguar et qu’il avait bien été tenu compte de leur coût d’exploitation.

« Les dépenses ultérieures pour d’autres types de véhicules » du programme CaMo ainsi que pour les munitions, le carburant, l’entretien et les infrastructures portent l’estimation totale à 14,4 milliards d’euros, comme l’indique la Cour des comptes. Ce montant couvre donc plus que l’achat du premier lot de véhicules. Il est calculé sur l’ensemble des investissements prévus par la Vision Stratégique 2016 […] pour la Capacité Motorisée. Il inclut tous les coûts additionnels sur une période de 25 ans. Ces dépenses sont intégrées dans la planification budgétaire pluriannuelle de la Défense », a-t-elle conclu, selon la Libre Belgique.