Berlin ose le « quoi qu’il en coûte » pour moderniser ses forces armées… et envisage de se doter d’avions F-35A
Lors du sommet de l’Otan organisé à Newport [Royaume-Uni] en 2014, l’Allemagne avait pris l’engagement, comme tous les Alliés, de porter ses dépenses militaires à 2% du Produit intérieur brut [PIB]. Seulement, la classe politique allemande se divisa sur cet objectif. Si les chrétiens-démocrates de la CDU/CSU étaient globalement favorables à un tel effort budgétaires, les sociaux-démocrates du SPD, les écologistes et le parti Die Linke exprimèrent leurs réticences.
Reconnaissant que son pays devait faire plus pour sa défense, Sigmar Gabriel, alors vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères, avait demandé si les Européens souhaitaient vraiment voir le budget militaire allemand être porté à 60 milliards d’euros par ans. « Ce serait le résultat si nous dépensions 2% [du PIB]. Ce serait notre suprématie militaire en Europe et je pense que nos voisins n’aimeraient pas cela », avait-il déclaré, en mars 2017.
Cela étant, au regard du PIB de l’Allemagne, la Bundeswehr dispose d’un budget conséquent [environ 40 milliards d’euros par an]. Mais, comme l’a souligné à plusieurs reprises Hans-Peter Bartels, l’ex-commissaire parlementaire auprès de celle-ci, des problèmes structurels entravent ses capacités opérationnelles.
« La Bundeswehr, dans son ensemble, est remarquablement peu opérationnelle pour les sommes énormes que les contribuables allemands dépensent pour elle », avait ainsi estimé M. Bartels, dans son dernier rapport, remis en 2020. Il y a « trop peu de matériel, trop peu de personnel, trop de bureaucratie » dans les forces allemandes, avait-il insisté.
Ces problèmes, identifiés depuis longtemps, n’ont pas été réglés jusqu’ici… malgré le recours d’Ursula von der Leyen, ancienne ministre de la Défense et désormais présidente de la Commission européenne, aux cabinets de conseils privés [recours qui lui sera reproché par le Bundestag, qui a même ouvert une enquête parlementaire].
Par ailleurs, et même s’il est relativement important, le budget de la Bundeswehr demeure insuffisant pour financer les différents programmes d’armement en cours. Ainsi, ayant succédé à Mme von der Leyen, Annegret Kramp-Karrenbauer, avait estimé qu’il fallait porter le montant des dépenses militaire à 61,5 milliards en 2025. Seulement, elle perdit son bras de fer avec Olaf Scholz, alors ministre des Finances… et désormais chancelier.
Et, selon la trajectoire financière jusqu’ici prévue pour les trois prochaines années, le budget de la Bundeswehr devait progresser de 5% en 2022 [et atteindre 49,29 milliards d’euros], pour ensuite diminuer et atteindre les 45,6 milliards d’euros en 2025.
Mais l’offensive russe en Ukraine a changé la donne… au point que M. Scholz a annoncé son intention de renforcer significativement les capacités de la Bundeswehr, avec un « fonds exceptionnel » de 100 milliards d’euros qui sera débloqué dès cette année. « Il est clair que nous devons investir beaucoup plus dans la sécurité de notre pays, afin de protéger notre liberté et notre démocratie » et « nous allons à partir de maintenant, d’année en année, investir plus de 2 % de notre Produit intérieur brut dans notre défense », a-t-il ajouté. soit un effort qui ira au-delà de ce que demande l’Otan.
Ce fonds « spécial Bundeswehr » servira à financer les « investissements nécessaires et les projets d’armement », a continué M. Scholz, qui a également dit vouloir l’inscrire dans la Loi fondamentale [la Constitution allemande, ndlr] afin de le « sécuriser ».
L’annonce de M. Scholz est conforme à l’accord de la coalition « tricolore » [sociaux-démocrates, écologistes, libéraux] qu’il dirige. Celui-ci précise en effet que « le mandat et la mission de la Bundeswehr doivent être fondés sur les défis stratégiques et les menaces de notre temps » et que « le profil de ses capacités doit en découler ». Aussi, ajoute-t-il, « conformément à son mandat et à ses missions, elle doit disposer des meilleurs moyens humains, matériels et financiers possibles ».
Par ailleurs, le chancelier allemand a estimé qu’il est « important » de développer la « prochaine génération d’avions de combat et de chars avec des partenaires européens, et en particulier avec la France ». Et d’ajouter : « Ces projets sont notre priorité absolue ». Or, le Système de combat aérien du futur [SCAF] et le Main Groud Combat System [MGCS – char du futur] sont pour le moment à l’arrêt, faute d’accord entre les principaux industriels français et allemands…
Enfin, le remplacement des chasseurs-bombardiers Tornado, utilisés par la Luftwaffe pour les missions nucléaires de l’Otan, est plus que jamais prioritaire. Dans son allocution, M. Scholz n’a cité qu’un seul appareil : le F-35A de Lockheed-Martin.
L’avion américain ne manque pas de soutiens outre-Rhin… La présidente de la commission de la Défense du Bundestag, Marie-Agnès Strack-Zimmermann, a estimé que l’Allemagne avait « besoin du F-35, l’avion de combat le plus moderne au monde et utilisé par nombre de partenaires ».
Augmenter significativement les dépenses militaires est une chose. La capacité pour des forces armées à les « absorber » en est une autre. Par exemple, il faudra à la Bundeswehr faire un effort particulier sur son recrutement, alors qu’elle peine déjà à disposer du nombre de recrues requis. Dans son accord, la coalition « tricolore » insiste sur le fait que les « structures de la Bundeswehr doivent être rendues plus efficaces et efficientes afin d’augmenter la disponibilité opérationnelle » et que « pour ce faire, nous soumettrons le personnel, le matériel et les finances à un inventaire critique ».
Quoi qu’il en soit, disposant déjà de la première économie du Vieux Continent et prévoyant désormais un effort significatif pour ses forces armées, l’Allemagne cochera au moins deux cases qui en feraient une superpuissance européenne…
Dans ce contexte, la France ne pourra pas faire l’économie d’un effort budgétaire conséquent pour ses armées, comme l’ont récemment préconisé les députés de la Commission de la Défense. L’un d’eux, Fabien Gouttefarde [LREM], avait même appelé à oser un « quoi qu’il en coûte » pour les armées… en juillet 2021. Nul doute que ce sera un sujet de débat pour les prochaines échéances électorales.