Ces images ne montrent pas un bombardement impliquant l’armée française au Niger

Ces images ne montrent pas un bombardement impliquant l’armée française au Niger


Des photos publiées sur Facebook sont censées montrer un récent bombardement de l’armée française sur un convoi militaire nigérien. Les internautes qui partagent ces images affirment que l’attaque présumée aurait fait « 71 soldats brûlés, 26 soldats portés disparus et 16 soldats gravement blessés« . Le lieu exact de cet incident n’est pas précisé mais il se serait produit à proximité du village d’Adab-Dab, dans le sud-ouest du Niger. Attention, ces images n’ont aucun lien avec une attaque impliquant l’armée française. Elles ont été prises lors du violent incendie qui a ravagé le marché de la ville de Tahoua, en février.

Les images font apparaître des hommes en uniforme qui tentent d’éteindre un incendie en dirigeant un jet d’eau vers des flammes. A côté de cette photo, les portraits des présidents français Emmanuel Macron et nigérien Mohamed Bazoum. Dans une publication distincte reprenant les mêmes affirmations, une photo montre des personnes debout au milieu de débris calciné et une autre un village en proie aux flammes.

Capture d’écran Facebook réalisée le 14 mars 2023
Capture d’écran Facebook réalisée le 14 mars 2023

Le texte qui accompagne ces images relayées par plusieurs pages Facebook (1, 2, 3) depuis la mi-février est exactement le même à chaque fois. Il a pour titre : « AU NIGER SA TUE EN MASSE ». L’auteur indique que selon sa source, « les militaires nigériens auraient attrapé des djihadistes en complicité avec des soldats français et ils ont décidé de les ramener à Niamey pour montrer sa à la population. Ce que le chef d’état major français du BARKHANE a refusé et a demandé à ce que les militaires français attrapés avec les djihadistes soient libérés sur le champ« .

Selon ce texte, les militaires nigériens auraient refusé d’obéir « à leurs maîtres impérialistes et ont pris la route pour la capitale du pays. Juste après leurs départs, le chef d’état major français aurait ordonné et les forces spéciales français présentes dans le pays ont pris leur avion et ont ensuite bombardé le convoi militaire transportant les djihadistes avec les français arrêtés« .

Les militaires français « ont décidé de bombarder le convoi pour camoufler l’identité des français attrapés qui sont en collaboration avec les djihadistes« , affirme encore l’auteur de la publication.

Capture d’écran Facebook réalisée le 14 mars 2023
Capture d’écran Facebook réalisée le 14 mars 2023

 

Ce message a commencé à circuler une semaine après une attaque contre des éléments de l’opération Almahaou aux alentours de la localité d’Intagamey, dans la région de Tillabéri, en février. Cette région d’une superficie de 100.000 km² se situe dans la zone dite « des trois frontières » aux confins du Niger, du Burkina Faso et du Mali.

L’embuscade tendue le 10 février par un « groupe d’hommes armés terroristes » a fait au moins « dix-sept morts, treize blessés, douze portés disparus« , selon un bilan actualisé du ministère nigérien de la Défense daté du 17 février.

L’opération Almahaou qui vise notamment à sécuriser la frontière avec le Mali bénéficie du soutien de la France. Quelque 250 soldats français appuient Niamey dans un « partenariat de combat« .

Au même moment, le président Bazoum était en visite officielle en France, où il a rencontré son homologue français pour une « séance de travail en tête-à-tête », a indiqué le compte Twitter de la Présidence du Niger le 16 février.

L’incendie d’un marché

Une recherche par image inversée nous a permis de confirmer que les images partagées sur Facebook n’ont aucun lien avec une quelconque attaque jihadiste ou un bombardement impliquant l’armée française. La photo des hommes en uniforme qui tentent d’éteindre un incendie et celle montrant des personnes au milieu de débris calcinés renvoient toutes deux à l’incendie du marché de Tahoua, dans le centre du Niger, le 15 février. Les informations relatives à cet incendie, accompagnées de ces mêmes photos, ont été largement relayées par plusieurs médias en ligne (1, 2, 3).

Capture d’écran Google réalisée le 14 mars 2023

L’incendie dont l’origine reste inconnue s’est déclaré dans le principal marché de la ville de Tahoua, logé dans le stade régional. Il n’a causé aucune perte humaine mais d’importants dégâts matériels. Plusieurs centaines de boutiques sont parties en fumée.

Au-delà des images décontextualisées, les publications accusent « le chef d’état-major français du BARKHANE » d’avoir ordonné le bombardement de la colonne de l’armée nigérienne. Or, il n’y a pas d’état-major de Barkhane au Niger.

Entre 2013 et 2022, les forces armées françaises étaient engagées au Sahel dans le cadre des opérations Serval (2013-2014) et Barkhane (2014-2022). L’opération Barkhane a pris fin en novembre 2022. Environ 3.000 militaires français restent toutefois déployés dans la région, notamment au Niger et au Tchad.

Contrairement au Mali et au Burkina Faso qui ont demandé le départ des forces françaises, qui s’est concrétisé ces derniers mois, le Niger maintient sa coopération sécuritaire avec la France.

Cette proximité entre Niamey et Paris a suscité récemment une avalanche de rumeurs et de critiques sur les réseaux sociaux visant le Niger. De nombreuses publications ont aussi relayé l’annonce d’un faux coup d’Etat à Niamey et l’exagération du bilan de l’attaque d’Intagamey, dans ce qui s’apparente, selon des sources françaises, à des attaques informationnelles coordonnées.

« Les mêmes recettes qu’au Mali et au Burkina sont employées au Niger. On assiste à une bascule d’effort pour déstabiliser le gouvernement, qui héberge des troupes françaises« , fait-on valoir à Paris. « Il s’agit peut-être d’une vaste stratégie informationnelle qui vise à investir les uns après les autres les pays d’Afrique de l’Ouest pour évincer les Occidentaux dans le champ des perceptions« .

Les relations entre Paris et les juntes parvenues au pouvoir à Bamako et à Ouagadougou à la suite de coups d’Etat se sont largement détériorées depuis quelques années. Celles-ci ont privilégié d’autres partenaires, notamment la Russie, sur le plan économique ou de la lutte contre les jihadistes qui sévissent dans la région.

Au Mali, ce rapprochement se matérialise entre autres par la présence du groupe paramilitaire privé Wagner – bien que la junte démente et parle d' »instructeurs russes » – alors que la France, ancienne puissance coloniale, est de plus en plus critiquée. Moscou est de son côté accusée – notamment par Paris – de mener une guerre d’influence via les médias et les réseaux sociaux pour faire valoir ses intérêts.

C’est dans ce contexte que le chef de l’État français Emmanuel Macron a annoncé récemment une refonte du dispositif militaire français en Afrique, pour tendre vers une diminution des effectifs. Cette volonté s’inscrit dans une dynamique visant à bâtir une « relation nouvelle » avec l’Afrique, a-t-il insisté lors de sa dernière tournée sur le continent début mars.