Gaza: l’impact environnemental du conflit actuel sera sans commune mesure avec celui des attaques passées
par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 5 novembre 2023
https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/
A la fin (inéluctable) des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza et avant même la résolution (beaucoup moins certaine) de la crise politique régionale, il faudra faire les comptes humains: dresser la liste des morts dans le camp israélien (au moins 1500 tués civils et forces de sécurité) et estimer les pertes dans les rangs des civils combattants et non-combattants du camp palestinien. Selon des chiffres du ministère de la Santé du Hamas palestinien, après 30 jours de guerre, plus de 10 000 Palestiniens ont trouvé la mort; d’autres sources minorent ce chiffre d’un tiers, voire des deux tiers (photos AFP).
Il faudra aussi faire les comptes environnementaux. Dans l’hypothèse où les plus de deux millions d’habitants de la bande de Gaza y restent bloqués, sans espoir de trouver refuge dans un pays voisins (l’Egypte et la Jordanie refusent toujours cette possibilité), ils devront tenter de survivre dans un environnement dévasté, en proie à une crise environnementale majeure.
Et même si des aides humanitaires massives permettent de réduire les souffrances de la population civile, il faudra du temps, alors que l’hiver approche, pour mettre en place des structures efficaces à même de soigner, nourrir et loger les habitants, pour réduire les pollutions de l’air et des sols, ainsi que les contaminations des terrains aquifères, pour évacuer des monceaux de débris et d’innombrables cadavres d’animaux etc.
Le défi est à relever; sinon le nombre des victimes continuera de croître dans Gaza. Les morts interviendront à cause à cause de la contamination par les obus, roquettes, grenades, bombes non explosés, à cause de la pollution des sols, de l’atmosphère et des eaux (de surface, de profondeur ou côtières), à cause de probables des carences sanitaires et épidémies.
Crise environnementale.
J’ai déjà eu l’occasion d’écrire sur les émissions militaires de gaz à effet de serre (dans le cadre de la guerre en Ukraine par exemple). Tant que les opérations militaires, israéliennes spécifiquement, ne sont pas finies, il sera difficile de quantifier les émissions de GES. Je renvoie vers le site The Military Emissions Gap, site qui précise que l’IDF (armée israélienne) ne communique pas sur ce sujet, même en temps de paix. Rien pour l’instant donc sur la « carbon boot print » de cette guerre entre Israël et le Hamas.
A défaut de données stabilisées pour mesurer les effets de la crise environnementale en cours, on peut toutefois se pencher sur les effets des guerre passées et sur la nature des destructions enregistrées dans l’enclave palestinienne.
Après les opérations de 2008-2009
L’Onu (le United Nations Environment Programme) a publié en septembre 2009 un rapport sur l’impact des combats de décembre 2008 et janvier 2009 dans la bande de Gaza. Il est intitulé Environmental Assessment of the Gaza Strip. Il détaille toutes les atteinte à l’environnement du fait des bombardements et des combats au sol. En voici quelques-unes.
Selon les chiffres de ce rapport, 2 692 bâtiments et 186 serres ont été détruits ou irrémédiablement endommagés. Ces destructions ont généré 600 000 tonnes de débris et de gravats où la présence d’amiante (entre autres polluants) était massive. La pollution de l’air a été intense du fait des particules de combustion en particulier et elle a été exacerbée par la toxicité des débris (béton, pierres, briques, bois, terre et autres matériaux).
Aux bâtiments et serres s’ajoutaient 167 kilomètres de routes qui ont été détruits, selon un autre rapport. Intitulé « Public services and roads in the Gaza Strip after the last 22 days of war in Gaza« , il pointe la difficulté d’évacuer tous les débris, le coût d’enlèvement (10$ la tonne) et la superficie nécessaire pour entreposer ces débris avant le tri et le concassage (125 000 m2 sur 5 m de haut).
Autre problème majeur: les eaux usées qui se déversent souvent directement dans la mer (entre autres via le Wadi Gaza, rivière et dépotoir géant) et les décharges publiques à ciel ouvert. Des déversements massif de bassins de rétention ont eu lieu en 2008-2009. Ainsi à la grande station d’épuration d’Az Zaitoun, une rupture de digue liée à un bombardement a provoqué le déversement de 100 000 m3 d’eaux usées qui ont pollué 55 000 m2 de terres agricoles.
Les terres agricoles ont, elles aussi, particulièrement souffert. Selon une étude conjointe de l’UNDP et de la PAPP, 17% des surfaces agricoles ont été détruites, ainsi que 17,5% des vergers et 9,2% des pâturages, labourés par les chenilles des blindés et pollués par les résidus de carburants et de munitions.
Pour en finir avec les effets sur l’agriculture, l’Onu avait recensé la mort d’au moins 35 750 vaches, moutons et chèvres, et celle d’un million de volailles. La masse de ces carcasses, qui ont pourri en plein air et pollué les sols, était estimée entre 1000 et 1500 tonnes.
L’assaut terrestre de 2014
En 2014, les 51 jours de combats terrestres et les bombardements avaient généré 2,5 millions de tonnes de débris et de gravats, selon une étude palestinienne. Elle était titrée: « 2014 War on Gaza Strip: Participatory Environmental Impact Assessment »
Cette étude d’octobre 2015 avançait le chiffre de 15 264 structures frappées par les tirs dont 10 326 bâtiments détruits/endommagés.
Les combats avaient provoqué l’interruption totale de la collecte des déchets. 80 000 tonnes de déchets se sont donc accumulées dans les rues, les villages, les camps de réfugiés selon l’Environmental Quality Authority-Gaza.
Autre chiffre: 250 000 arbres ont alors été détruits (oliviers, citronniers, arbres fruitiers…).
11 jours de guerre en mai 2021
Une étude plus récente porte sur les bombardements de mai 2021 (11 jours de guerre). Publiée en novembre 2022 par Airwars et Conflit and Environment Observatory, elle est titrée « Reverberating civilian and environmental harm from explosive weapons use in Gaza in 2021« .
Elle aborde surtout les effets des bombardements sur les réseaux d’assainissement et de distribution d’eau de Gaza. 109 des 290 infrastructures liées à l’eau s’occupaient du traitement des eaux usées, selon des chiffres de l’organisme onusien Water Sanitation & Hygiene (WASH).
WASH estimait alors qu’un million d’habitants de l’enclave avaient été directement impactés par les destructions sur ces réseaux, avec des coupures d’eau, du rationnement et, surtout, des déversements d’eaux usées dans les rues, dans les champs, dans les réservoirs d’eau et dans la Méditerranée, comme l’ont confirmé les images satellites (photo ci-dessus Gaza City Municipal Council). Au plan sanitaire, ces déversements ont fait courir de sérieux risques à la population (infections qui ne peuvent pas être traitées par des antibiotiques, risques d’épidémies etc.).
Des retards dans les travaux de rénovation des infrastructures n’ont pas permis de réduire rapidement les effets des déversements. De fortes pluies en janvier et novembre 2022 à Gaza ont même soit augmenté la taille des zones où croupissaient des eaux polluées depuis mai 2021, soit entraîné dans la mer toutes les eaux croupies et les déchets.
2023 et après?
La virulence des frappes israéliennes et des combats au sol font craindre qu’en 2023, les effets sur l’environnement soient décuplés.
Quelques données circulent déjà. Dont cette carte du United Nations Satellite Centre (UNOSAT) qui estime qu’entre 38 200 et 44 500 constructions de la bande de Gaza ont été affectés (endommagés/détruits) par les combats entre le 7 et le 29 octobre 2023 (pour rappel, 2 692 bâtiments touchés en 2008-2009).
L’UNSAT estime que 22% des terres arables sont désormais endommagés par les combats. Les vues satellitaires de l’UNSAT témoignent aussi de la diminution de la densité de la végétation suite aux abattages, aux dégâts causés par les véhicules militaires, par les bombardements et par les combats au sol. La biodiversité est donc menacée. Elle l’est aussi en mer avec les rejets sauvages et ceux provoqués par les ruptures de canalisation.
Les combats actuels ont les mêmes effets que ceux des années précédentes sur les réseaux d’eau et la qualité de l’eau qui est peu ou pas traitée (en 2018, 92,6% de l’eau puisée dans le sol était impropre à la consommation humaine), sur les stations d’épuration, sur les infrastructures routières et ils dégagent les mêmes types de pollution aux particules toxiques.
Deux différences toutefois sont à noter: d’abord ces combats durent depuis près d’un mois (pour la partie aérienne et les tirs d’artillerie) et depuis le 27 octobre pour partie terrestre; ensuite, leur intensité est sans commune mesure à celle connue précédemment (même en 2014). La crise environnementale sera donc sévère et durable.