Général Jon Cresswell : « Une relation bilatérale nécessite un travail constant »
Depuis l’été 2021, le général de brigade Jon Cresswell est général adjoint « opérations » à l’état-major de la 1ère division de l’armée de Terre française, basé à Besançon ; dans le cadre des échanges d’officiers renforcés depuis le traité d’Amiens, en 2016, un général français est en même temps général adjoint de la 1ère division britannique, à York. Après sa formation initiale à l’Académie royale militaire de Sandhurst, Jon Cresswell a surtout servi dans l’artillerie de marine, en Afghanistan, dans les Balkans ou en Norvège, mais aussi dans les blindés en Irak, puis au Sahel dans le cadre de la Force multinationale mixte déployée contre Boko Haram.
C’est en France que ce francophone a suivi sa formation supérieure, à l’École de guerre puis au Collège des hautes études militaires (CHEM), en parallèle de la 72e session de l’IHEDN dont il a été auditeur dans la majeure « politique de défense ». Ce passionné d’histoire, titulaire d’un master dans cette discipline, est aussi président de la Société historique de l’artillerie royale.
– QU’EST-CE QUI VOUS A MOTIVÉ POUR PRENDRE CE COMMANDEMENT ADJOINT DE DIVISION DANS LE PAYS PARTENAIRE ?
Même si j’ai suivi toute ma formation militaire supérieure en France et ai été engagé dans des opérations en Afrique francophone, je n’avais en fait jamais servi en France même. C’est donc tout naturellement que j’ai souhaité faire cet échange au sein des forces armées françaises. En soi, ce poste offrait aussi une excellente opportunité pour exercer au niveau divisionnaire. J’avais auparavant servi au niveau d’une brigade et dans le champ des politiques de défense, mais jamais au niveau d’une division ou d’un corps d’armée. Après mon parcours spécialisé dans le ciblage (effets, renseignement, feux), ce poste de commandant adjoint opérations inclut la responsabilité de la bataille profonde de division, un domaine dans lequel je souhaitais développer mes compétences. Et pour le soldat que je suis, il y a aussi un réel plaisir à me trouver au niveau tactique.
– QUELLES SONT LES DIFFÉRENCES CULTURELLES ENTRE L’ARMÉE DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ET CELLE DE LA MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE BRITANNIQUE ?
Je trouve fascinant de comparer les deux systèmes démocratiques, parce qu’à mon sens, la constitution de votre Ve République est monarchique, avec son exécutif fort mandaté de manière claire par une élection à deux tours. Le Royaume-Uni, lui, est une démocratie parlementaire dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle. Dans les deux cas, les armées acceptent leur subordination au pouvoir civil démocratiquement élu, bien que pour la française ce soit au nom de la France, alors que pour la britannique c’est au nom du souverain. On peut considérer que ce dernier système permet efficacement aux armées de montrer leur caractère apolitique.
Plus largement, la question culturelle me fascine parce que nos deux armées sont le résultat de l’histoire de leur nation respective, la France étant un pouvoir à la fois terrestre et maritime, alors que la Grande-Bretagne était avant tout un pouvoir maritime. Par ailleurs, les caractéristiques sociales des deux nations ont aussi modelé leurs relations avec leurs armées respectives. Enfin, il est intéressant de noter les différences entre nos deux formations au haut commandement : au Higher Command and Staff Course (HCSC), les Britanniques préparent leurs officiers supérieurs à commander en opérations, alors qu’au Centre des hautes études militaires (CHEM), la France forme ses futurs généraux à être des acteurs politico-stratégiques au service du gouvernement.
– QUELS SONT SELON VOUS LES AVANTAGES D’UNE TELLE COOPÉRATION D’UN POINT DE VUE OPÉRATIONNEL ?
Il a souvent été dit que le Royaume-Uni et la France ont des vues et intérêts similaires au niveau mondial, ainsi que des responsabilités sécuritaires en Europe. Comme l’a remarqué votre Président dernièrement pendant la visite de notre Premier ministre, nos deux nations sont « dotées » en matière de dissuasion nucléaire. Il y a donc d’utiles synergies à exploiter, sous l’égide de différentes initiatives comme celle de Lancaster House en 2010, qui n’est sans doute pas la dernière. Notre relation bilatérale fonctionne ainsi depuis l’Entente cordiale de 1904, d’ailleurs des officiers britanniques ont commencé à étudier à l’École de guerre peu après, et des rencontres annuelles d’états-majors ont été initiées.
Cependant, pour en revenir à la question culturelle, nous demeurons très différents, et donc travailler ensemble implique une interopérabilité technique, conceptuelle et humaine. Les fonctions comme la mienne permettent d’améliorer cette dernière, tout en soutenant les deux premières. Une relation bilatérale nécessite un travail constant pour atteindre la confiance, assurer la compréhension, et aussi pour trouver des domaines de coopération future.
– EN QUOI CETTE EXPÉRIENCE VOUS SERA-T-ELLE UTILE POUR LA SUITE DE VOTRE CARRIÈRE ?
Elle l’est déjà, puisque mon travail avec la 1ère division à Besançon m’a permis d’améliorer ma formation tactique, particulièrement en termes de bataille profonde, ainsi qu’au niveau opérationnel plus large. Elle m’apporte aussi une réelle profondeur en combat défensif, avec la France évidemment, mais aussi avec les partenaires américains, belges, hollandais et allemands, comme le veut ma fonction. Plus important encore, je pense que des expériences comme celle-ci ouvrent nos horizons intellectuels, en nous permettant de voir les choses sous un angle différent. Et ça, c’est précieux dans n’importe quel domaine professionnel.