Grâce à Strava, il serait possible d’anticiper les départs des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de l’Île-Longue
En 2018, alors que la Délégation à l’information et la communication de la Défense [DICoD] avait publié un guide sur l’utilisation des réseaux sociaux à l’intention des militaires, auxquels il était d’ailleurs demandé de désactiver la fonction « géolocalisation » de leurs téléphones portables au titre de la sécurité opérationnelle [SECOPS], le ministère des Armées dut faire une piqûre de rappel après que des informations potentiellement sensibles furent révélées par l’intermédiaire de l’application Strava.
Développée par l’entreprise californienne Strava Labs et utilisant la fonctionnalité GPS des téléphones mobiles et des montres connectées, cette dernière permet de suivre à la trace les activités sportives de ses abonnés. Se présentant comme étant le « réseau social des sportifs », ce service permet aux utilisateurs de se suivre mutuellement, d’évaluer leurs performances respectives et de se lancer des défis.
Or, il y a maintenant sept ans, il fut constaté que l’on pouvait assez facilement localiser et suivre les militaires français abonnés à cette application, via la carte « Global Heat Map », publiée par Strava Labs. Évidemment, cela ne pouvait que soulever des problèmes en termes de sécurité, voire de confidentialité, certains endroits [ou zones de déploiement] n’ayant pas vocation à être connus du public.
« Les données que Strava collecte sont un cauchemar sécuritaire pour les gouvernements du monde entier. Les données collectées pourraient permettre à toute personne ayant accès à cette carte de créer un modèle de carte de vie pour les utilisateurs individuels, dont certains peuvent être très intéressants », avait résumé The Daily Beast, à l’époque.
Pour autant, malgré les mises en garde et les rappels à l’ordre, l’utilisation de Strava par les militaires demeure problématique.
Ainsi, selon une enquête publiée par le quotidien Le Monde, ce 13 décembre, il serait possible d’anticiper les départs des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la base de l’Île-Longue où, pourtant, toutes les précautions sont prises pour éviter toute fuite préjudiciable. Ainsi, dans la plupart des endroits de ce haut-lieu de la dissuasion nucléaire, les téléphones portables sont proscrits… Mais pas, apparemment, les montres connectées, qui stockent les données avant de les transmettre en bloc à un smartphone dès que cela est possible.
En outre, certains marins abonnés à Strava n’utilisent pas de pseudonymes et disposent d’un profil public.
Résultat : quand plusieurs sous-mariniers – identifiés comme tels – effectuent quotidiennement une séance de sport le long des quais où sont amarrés les SNLE et qu’ils arrêtent brusquement ce type d’activité, on peut éventuellement en déduire qu’ils sont partis en mission. Et qu’ils en sont revenus dès qu’ils communiquent leurs données à Strava.
Or, c’est là que le bât blesse : théoriquement, en suivant leur activité sportive, notamment le long des quais, il est possible d’anticiper le départ en mission d’un SNLE… alors que, justement, tout est fait pour le maintenir confidentiel, le goulet de Brest [lieu de passage obligé des « bateaux noirs », ndlr] étant même sous une surveillance étroite afin d’empêcher les curieux d’en savoir plus qu’ils n’ont à en connaître. Reste qu’une telle information est susceptible d’intéresser une puissance étrangère, laquelle pourrait chercher à « pister » le sous-marin après sa dilution ou à obtenir des renseignements à son sujet.
Quand un SNLE part en patrouille, « il faut s’assurer que l’espace sous-marin et en particulier les fonds marins sont exempts de tout capteur acoustique étranger. En effet, la présence d’un dispositif d’écoute, disposé sur le fond et exploité par un compétiteur, pourrait mettre en péril la discrétion de nos SNLE, par la captation de leur empreinte acoustique, élément essentiel pour une identification ultérieure, et affecter in fine la posture de dissuasion », avait en effet expliqué le capitaine de vaisseau Jean-Christophe Turret dans la Revue Défense nationale, rappelle Le Monde.
Quoi qu’il en soit, s’il reconnaît des « négligences » parmi ses marins [les sous-mariniers ne sont pas les seuls en cause, ndlr], la Marine nationale estime que la sécurité des activités opérationnelles de la base de l’Île-Longue n’est pas fondamentalement remise en cause. L’une des sources du journal parle d’une « situation problématique » mais pas d’un « risque majeur ».