La faiblesse européenne dans la compétition entre ArianeGroup et Space X

La faiblesse européenne dans la compétition entre ArianeGroup et Space X

 
par par Thomas Leibbrandt (SIE 26 de l’EGE) –  École économique de guerre – publié le 2 novembre 2022

Tandis que la commission européenne fustige la rentabilité du futur lanceur lourd européen Ariane VI face à la concurrence et que l’arrêt récent du programme Soyouz a été prononcé à la suite du conflit russo-ukrainien, on peut s’interroger comment cette guerre des coûts et technologique peut être remportée par Arianegroup.

Le contexte du New Space dans le rapport de force

La révolution du New Space permet à de nouveaux acteurs privés de s’insérer dans le jeu des grands institutionnels du domaine des satellites et de l’accès à l’espace. La miniaturisation des satellites est un pilier important dans ce secteur, permettant une réduction des coûts de conception et l’accès aux orbites de type LEO (Low Earth Orbit). Space X profite de cette genèse structurelle et technologique pour assouvir ses désirs de croissance économique de par son premier lanceur phare Falcon X. L’institutionnel européen ArianeGroup est cependant mis à rude épreuve quant à la croissance de ces nouveaux marchés qui impactent fortement la compétitivité de son lanceur Ariane V concentré sur le marché en décroissance du GTO (Geostationary Transfert Orbit).

De plus, son homologue américain procède le 6 février 2018 au lancement de son lanceur lourd Falcon Heavy concurrençant spécifiquement le groupe européen sur son marché le plus lucratif. Réalisant une véritable guerre symétrique et asymétrique, Space X s’impose comme un acteur prédominant sur le marché de l’accès à l’Espace fortement soutenu par la NASA et l’Etat Américain et profitant de sa différence de Level Playing Field c’est-à-dire d’une différence capacitaire, financière, normative avec l’acteur européen pour accroître son hégémonie sur le marché. Quelle stratégie imposer dans le but de contrer son adversaire. 

Une des principales forces de Space X provient de sa capacité d’innovation. Bien que le principe de la réutilisation dans l’ère spatiale ne soit pas nouveau en ayant débuté avec la navette américaine, Space X permet tout de même une prouesse à l’heure où les lanceurs disposent d’une utilisation unique. Ce mécanisme est assuré par des capacités de MRO (Main Repair and Overhaul) en lien avec les nouvelles technologies mises à jour de l’usine 4.0 qui permettent jusqu’à 9 réutilisations des lanceurs de la firme américaine.

L’Etat américain, un fer de lance de la guerre des coûts

L’Etat américain est un acteur essentiel de la compétitivité de Space X. Son intervention financière et normative permet à l’entreprise de disposer d’un arsenal compétitif fortement défavorable envers la concurrence du vieux monde. Elle se traduit notamment par l’acceptation d’une surfacturation des coûts de lancement favorable à Space X à hauteur de 150 millionss d’euros lui permettant d’influer artificiellement sur ses prix pour les lancements commerciaux entre 50 millions s d’euros et 62 millions d’euros.

En comparaison, le système européen bénéficie de réductions de lancement en fonction des subventions européennes associées qui sont fortement décriées par Space X comme un avantage concurrentiel déloyal. De plus, au grand désarroi des acteurs présents sur le marché local américain, l’influence de Space X sur l’Etat américain est forte et lui permet d’être privilégié au défi du principe de concurrence vis-à-vis d’autres acteurs sur le marché tel que Blue Origin et l’institutionnel ULA (United Launch Alliance), permettant à Space X de bénéficier également d’une concurrence locale très favorable.

Une faiblesse des acteurs et des normes européennes

De plus, l’American Act permet une protection forte du marché du satellite américain qui se concentre sur des systèmes de lancement Etatiques en comparaison du marché européen qui ne bénéficie pas de ce système. L’Europe, quant à elle, peine à mettre en place un dispositif de protection en partie gangréné par la faiblesse de certains de ses partenaires de programmes qui ne disposent pas des mêmes visions mais disposent d’intérêts variables favorables aux américains.

L’Allemagne est un acteur divergent, car ce dernier finance le programme européen et bénéficie de la retombée technologique associée sur son sol mais préfère dans certains cas le lanceur américain pour la mise en orbite de ses satellites institutionnels.
De plus en plus l’Allemagne communique en sens contraire vis-à-vis de ses partenaires européens et se dirige vers un protectionnisme d’Etat.

Le conflit russo-ukrainien marque la fin de la relation russe, une aubaine pour Space X

Le début du conflit ukrainien impacte également la filière des lanceurs spatiaux européens, ArianeGroup perd sa capacité de tir avec le lanceur Soyouz en coopération avec Roscosmos et la société exploitante Starsem. Cette réduction capacitaire permet à Space X et sa force capacitaire de s’insérer dans le vide laissé et de profiter de contrats de lancement européens. 

La stratégie de Space X est de consolider ses acquis dans le domaine du spatial et de continuer la multiplication des capacités de réutilisations d’un même lanceur dans le but d’accroître sa rentabilité. L’intérêt de Space X réside également dans sa stratégie d’influence sur le gouvernement américain et de conservation de sa place de fleuron dans les programmes spatiaux à venir tel qu’Artemis et le projet de station spatiale Deep Space Gateway.

Regard sur la stratégie européenne

Branle-bas de combat côté européen, l’impact de la guerre économique américaine sur son adversaire force l’institutionnel européen à revoir en grande partie sa stratégie initiale. Dans un premier temps, la stratégie vise à convaincre de l’efficacité économique et capacitaire du nouveau lanceur plus performant Ariane 6. Cette stratégie se concrétise par la modification de la chaîne d’assemblage pour la rendre linéaire et horizontale, ce qui permettra de réduire les coûts d’exploitation et la coordination avec l’industrie 4.0. ArianeGroup se concentre également sur la conception de nouveaux lanceurs réutilisables à horizon 2028. Les démonstrateurs Thémis et Callisto devront permettre à l’Europe de pouvoir disposer de capacités de lancements réutilisables en LEO.

Une guerre économique rude mais pas encore perdue

La pression exercée par Space X sur l’acteur européen est forte et Space X consolide sa stratégie en s’appuyant sur l’aide d’Etat. L’intervention de l’acteur américain dans le marché européen est de plus en plus fréquente. L’entreprise américaine tire son jeu de la faiblesse de l’Allemagne ainsi que de la perte de Soyouz pour combler le vide capacitaire européen. La concurrence d’Arianegroup dans le réutilisable semble un peu tardive vis-à-vis de l’avance prise par Space X, toutefois il y a une réelle nécessité à augmenter la capacité de lancement dans le domaine du LEO (Low Earth Orbit) afin d’éviter de perdre des parts de marchés potentielles en Europe.

Pour contrer la guerre des coûts, l’Europe doit augmenter ses subventions allouées au secteur spatial où elle peut agir sur deux vecteurs directs, soit par l’augmentation des subventions par pays dans le programme soit par l’adhésion de nouveaux acteurs. L’introduction de nouveaux acteurs aurait pour conséquence d’augmenter le montant total des subventions mais de répartir davantage les activités de production. Cette technique est toutefois fortement critiquée par Space X qui cependant ne communique pas ouvertement sur les méthodes de surfacturations utilisées auprès de l’Etat américain. Enfin, l’aspect législatif doit être revu pour permettre un protectionnisme européen au niveau des secteurs stratégiques et technologiques, ce qui permettrait de consolider la chaîne de compétitivité européenne. Il faudra alors mener l’Allemagne à la table des négociations en vue de consolider une unité européenne pour garantir notre souveraineté sur l’accès à l’espace.


Sources

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