La sous-marinade boit la tasse: l’Australie dénonce le contrat avec Naval Group
Par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 15 septembre 2021
http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/
Le gigantesque contrat de 50 milliards de dollars australiens (environ 35 milliards d’euros) remporté en 2016 par le français Naval Group pour fournir douze sous-marins à propulsion conventionnelle (diesel) à l’Australie va être abandonné, au profit d’un programme qui verrait l’Australie se doter de sous-marins à propulsion nucléaire (mais sans armes nucléaires) et équipés de technologies américaines et britanniques.
Cette annonce a bien sûr provoqué « une grande déception » chez Naval Group dont les collaborateurs avaient été prévenus d’une prochaine annonce lourde de conséquences.
Mercredi soir, le Premier ministre australien Scott Morrison a confirmé que son pays allait se doter de sous-marins à propulsion nucléaire dans le cadre d’un nouveau partenariat dans la région indo-pacifique de concert avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
Petit retour en arrière.
Français et Australiens ont signé, en 2016, un méga-contrat portant sur la fourniture de 12 sous-marins de la classe Barracuda pour remplacer les bâtiments vieillissants de la classe Collins. Pour ces 12 sous-marins, la facture s’élevait à 34 milliards d’euros. Le début de la construction du premier sous-marin était alors prévu pour 2023 et la première livraison escomptée à l’horizon 2030. Le 11 février 2019, a été signé l’accord de partenariat stratégique par le Commonwealth d’Australie et Naval Group. Cet accord, signé après 16 mois de discussions âpres, encadrait la coopération entre les deux partenaires pour les 50 prochaines années, mais aussi tous les futurs contrats du projet. La prochaine étape devait être la signature en 2023 d’un troisième contrat portant sur la fabrication des douze sous-marins. Cette signature devait coïncider avec le début du chantier de construction du premier sous-marin de la future classe Attack.
Axe anglo-saxon
Exit donc Naval Group et la France.
Place à un axe d’abord industriel anglo-australo-américain surnommé « AUKUS ». C’est pourquoi le président américain Joe Biden s’est fendu, mercredi soir, d’une déclaration sur « une initiative de sécurité nationale« . Il a été rejoint, en virtuel, par le Premier ministre australien Scott Morrison et le Premier ministre britannique Boris Johnson qui se sont félicités de ce partenariat stratégique et industriel qui garantira « la liberté dans la zone indo-pacifique ».
Seul Biden a cité la France, un « allié et un partenaire-clé » mais sans faire une allusion au contrat perdu par Naval Group. Le président US a annoncé une période d’études de 18 mois entre les trois pays pour lancer le programme des futurs sous-marins à propulsion nucléaire qui équiperont la RAN.
Un communiqué a, peu après, été diffusé par la Maison Blanche (cliquer sur l’image pour l’agrandir):
Naval Group, coulé!
L’équipementier français est accusé de dépassements de budget (le coût du programme serait passé de 50 à 90 milliards de dollars australiens, soit 50 milliards d’euros environ) et de retards, ce dont se défend l’industriel. Ajoutons que le choix de sous-marins français n’a jamais fait l’unanimité en Australie et que des campagnes médiatiques intenses et répétées ont été lancées pour critiquer le choix gouvernemental et dénoncer les conditions du marché. Ces campagnes n’étaient pas que le fait de l’opposition travailliste.
Stupeur dans le Cotentin.
A Cherbourg, selon mes confrères de la rédaction locale, la fin du contrat constituera un petit séisme social et économique : « Ce contrat a marqué le moment où ça a basculé ici, en matière de relais de croissance, notamment immobilière », avance-t-on dans l’entourage du maire de Cherbourg, Benoît Arrivé.
Ce dernier a été informé de ce possible rebondissement par les dirigeants de Naval Group, et une prochaine rencontre afin d’évoquer les conséquences potentielles du désengagement de Canberra s’annonce. Loin de l’euphorie qui prédominait en 2017, un an après la signature impliquant construction et transfert de technologie. Cette convention, cadre de coopération décentralisée entre Adélaïde et le grand port du Nord-Cotentin, avait justifié le lyrisme du maire, saluant « cette collaboration qui s’étirera sur plusieurs décennies et nous ressentons une envie sincère des autorités australiennes de voir des liens d’amitié se tisser entre nos deux peuples ».