Le Haut-commissariat au Plan avance des pistes pour porter le budget des Armées à 3,5 % du PIB d’ici 2030

Le Haut-commissariat au Plan avance des pistes pour porter le budget des Armées à 3,5 % du PIB d’ici 2030


Malgré une hausse continue de ses crédits depuis 2018, le ministère des Armées manque de marges de manœuvre budgétaires pour accompagner sa remontée en puissance. Tel est en effet le constat établi par deux récents rapports publiés par la Cour des comptes et la commission sénatoriale des Finances.

Ainsi, l’un et l’autre ont mis en garde contre le niveau trop élevé du report des charges, lequel a atteint le niveau record de 8 milliards d’euros lors de l’exercice 2024. Pour rappel, il s’agit d’une astuce comptable consistant à ne payer les factures que l’année suivante, des intérêts moratoires étant versés aux industriels en compensation.

« Alors que le stock de report de charges de 2022 vers 2023 était de 3,88 milliards d’euros, il s’établirait à environ 8,02 milliards d’euros de 2024 vers 2025. Il a ainsi plus que doublé en deux ans », a ainsi relevé le sénateur Dominique de Legge, dans son rapport rendu au nom de la commission des Finances.

Pour la Cour des comptes, cette « augmentation du report de charges en 2024 » va « bien au-delà de l’objectif fixé au ministère ». Et d’ajouter : « La révision de la trajectoire de report de charges en fin de période sous programmation, interrogent sur la capacité du ministère à en maîtriser le retour à un niveau raisonnable d’ici à 2030 ».

Un autre point d’attention sont les « restes à payer », c’est-à-dire les autorisations d’engagements [AE] non encore couvertes par des crédits de paiement [CP]. Leur niveau est « en très forte augmentation depuis 2019 » note la Cour des comptes, qui précise qu’il s’est élevé à 100 milliards d’euros à la fin de l’exercice 2024 [soit + 2,9 % par rapport 2023].

Or, comme le souligne M. de Legge, « près de 90 % des crédits de paiement prévus en 2025, hors dépenses de personnel, seront ainsi destinés à apurer ce stock, qui continue par ailleurs d’être alimenté par l’engagement d’AE. »

Aussi, les magistrats de la rue Cambon font valoir que, malgré la hausse significative du budget des Armées et l’évolution « très favorable » de la « moindre évolution des coûts de facteurs » [prix du carburant, par exemple], la « nouvelle dégradation des ratios de report de charges et de restes à payer fait peser un risque significatif sur la soutenabilité des dépenses de la mission Défense ».

« Le ministère et le gouvernement, se doivent désormais d’y mettre impérativement de l’ordre, soit en parvenant à couvrir par des ressources additionnelles ses besoins financiers non programmés, soit en faisant des choix capacitaires pour se ramener plus étroitement à la trajectoire financière planifiée par la Loi de programmation militaire », estime la Cour des comptes.

D’autant plus que, la semaine passée, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a fait savoir que la France allait souscrire à l’objectif de l’Otan visant à porter les dépenses militaires à 5 % du PIB d’ici 2032.

« L’objectif de 3,5% est le bon montant pour les dépenses de base en matière de défense. Mais cela s’accompagne de dépenses qui vont concourir à l’augmentation de notre capacité de défense, qui ne sont pas des dépenses de défense directes, mais qui doivent être réalisées », comme la cybersécurité ou la mobilité militaire, a expliqué M. Barrot.

Pour rappel, il faut remonter au début des années 1960 pour retrouver un tel niveau de dépenses militaires en France.

Cependant, malgré les plans d’économies, les « réformes » et les promesses faites par les gouvernements successifs à la Commission européenne, les finances publiques continuent de se dégrader, avec une dette publique ayant dépassé les 3 300 milliards d’euros [113 % du PIB] et un déficit public s’étant établi 169,6 milliards d’euros en 2024 [soit 5,8 % du PIB]. Dans ces conditions, comment porter les dépenses militaires, au sens large, à 5 % du PIB, alors que d’autres priorités doivent aussi être financées ?

Le Haut-commissariat au Plan a tenté de répondre à cette question dans une note « flash » qu’il vient de publier. Selon lui, il n’existe que quatre leviers pour financer un tel effort, à savoir : la maîtrise des dépenses publiques, avec des « réduction inédites » dans certains domaines [social, fonction publique, etc.], une « hausse majeure des prélèvements obligatoires », alors que leur niveau, selon l’INSEE, est déjà de 42,8 % [hors cotisations sociales imputées], une « croissance du taux d’emploi », ce qui paraît compliqué à court terme, sauf à prendre des mesures radicales, et le « recours à un financement européen, via un endettement commun », ce qui pose des problèmes politiques et juridiques.

Selon cette note, « financer l’effort en ne recourant qu’à un seul levier – que ce soit la maîtrise de dépenses, des hausses d’impôts ou des réformes visant à accroître le taux d’emploi et grâce à cela les recettes publiques – semble peu crédible tant l’ampleur et la vitesse dans l’usage de chacun d’eux serait conséquente et inédite ». Aussi, « il apparaît donc indispensable de combiner plusieurs leviers, qui relèvent d’un choix politique essentiel », estime-t-elle.

Sans surprise, quand on connaît ses engagements pro-européens, le Haut-commissaire au Plan, Clément Beaune, pense que « la clé du problème » passe par l’Union européenne [UE], tant sur le plan financier qu’industriel.

« Au-delà du projet ‘ReArm Europe’, des solutions plus radicales doivent être envisagées. Un emprunt européen, permettant non seulement des financements communs mais aussi des acquisitions et des programmes industriels conjoints, est une idée qui progresse. Un montant proche de 500 milliards d’euros […] serait près de deux fois inférieur à l’effort consenti pendant la crise du Covid et faciliterait grandement les efforts nationaux, le niveau d’endettement global de l’Union européenne restant modéré », écrit M. Beaune dans son « éditorial ».

S’agissant de l’aspect industriel, le Haut-commissaire au Plan plaide pour une DGA [Direction générale de l’armement] européenne, laquelle serait créée à partir de l’Agence européenne de défense [AED], « sous le contrôle des États ». Une telle structure permettrait « de définir et d’acquérir en commun de nouveaux équipements » à des industriels européens.

« De la prescription à la production, c’est un modèle européen qu’il faut inventer : les erreurs commises dans le secteur spatial notamment, avec un ‘retour géographique’ inefficace, doivent inciter à bâtir un autre schéma, reposant sans doute, en aval, sur une spécialisation industrielle nationale plus assumée », conclut M. Beaune sur ce point.