Les 12 projets du général Burkhard pour préparer l’armée de Terre à un conflit de haute intensité
Comme il l’avait annoncé en octobre 2019, le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major de l’armée de Terre, a élaboré un nouveau plan [ou vision] stratégique visant à tirer toutes les conséquences de l’évolution de la conflictualité pour les forces terrestres.
Attendue pour le début de cette année, la présentation de ce plan a été retardée par l’épidémie de Covid-19. Mais, ce 17 juin, le général Burkhard a pu enfin lever le voile sur les orientations qu’il entend donner à l’armée de Terre.
Cela étant, dans sa dernière « Lettre du CEMAT » [publiée en mai], le général Burkhard avait donné un avant-goût de sa « vision stratégique. En effet, avait-il écrit, « les conflits durs entre États restent […] possibles voire probables. L’armée de Terre doit plus que jamais être prête à produire d’emblée de la puissance militaire pour faire face à un péril inattendu, en sachant encaisser les chocs avec résilience. »
Cette éventualité de « conflits durs » entre États s’inscrit dans un contexte « avant tout marqué par l’incertitude, renforcée par de nombreux bouleversements géopolitiques récents » et « accentuée par la difficulté des Européens à concevoir et organiser par eux -mêmes les conditions de la défense collective de leur continent », lit-on dans la vision stratégique que vient donc de présenter le général Burkhard.
Cette incertitude, y est-il estimé, se « trouve exacerbée en France, où les fragilités d’une société manquant de cohésion et en quête de sens peuvent faire douter de sa volonté de bâtir un avenir commun et à en défendre le modèle avec fermeté et esprit de résistance. » Voilà un constat que ne renierait sans doute pas Jérôme Fourquet [et d’autres], directeur du département opinion de l’IFOP et auteur de l’essai « L’archipel français« , qui décrit justement les fractures de la société française.
Un autre élément souligné par la Vision stratégique du CEMAT est le « retour marqué de la force militaire comme mode de règlement des conflits, selon des formes connues, directes et assumées », mais aussi selon des « modes d’action nouveaux, imprévisibles et plus
insidieux, privilégiant l’intimidation et la manipulation, dans une forme de guerre nouvelle, indiscernable et non revendiquée, pour obtenir par le fait accompli des gains stratégiques indéniables. »
Aussi, cette extension des « champs de conflictualité » suppose d’avoir la capacité de produire des effets dans plusieurs domaines [spatial, cyber, électromagnétique, etc] pour espérer prendre le dessus sur l’adversaire.
À partir de ce constat [auquel il faut ajouter « l’ambition politico-militaire réaffirmée de la France, via la Loi de programmation militaire actuellement en vigueur], cette vision stratégique fixe quatre objectifs pour bâtir l’armée de Terre « dont la France a besoin ». Pour cela, il faut donc « des hommes à la hauteur des chocs futurs, reconnus par la Nation », des « capacités permettant à ses hommes de surclasser leurs adversaires », un « entraînement centré sur l’engagement majeur » et un « fonctionnement simplifié,
gage d’efficacité et de résilience. »
Pour atteindre ces quatre objectifs, la Vision stratégique évoque le lancement de 12 chantiers, le premier étant d’élaborer un « nouveau concept d’emploi des forces terrestres pour les 15 prochaines années », en adaptant « l’offre stratégique terrestre » aux « nouveaux impératifs ». Il s’agira d’ancrer ce concept, appelé « combat terrestre futur », comme « projet capacitaire structurant » [projet n°7]
Le second projet concerne la réserve opérationnelle, que le CEMAT veut « massive et engagée » et sur laquelle reposera « davantage la contribution terrestre aux missions de protection
du territoire national ». Il s’agira ainsi de faire en sorte que l’armée de Terre puisse disposer d’une « masse de manœuvre plus nombreuse, plus autonome, mieux territorialisée. » Est-ce à dire qu’il faudra envisager de rouvrir des casernes dans les « déserts militaires » créés par les précédentes réformes des armées?
Plusieurs projets portent sur le fonctionnement de l’armée de Terre. Ainsi, il y est question de « redistribuer les parcs, replacer le matériel majeur au cœur de la vie courante en corps de troupe » et de « rendre au niveau régimentaire les moyens de conduire sa préparation opérationnelle en autonomie. » En clair, il s’agit de revenir sur les réformes passées, qui n’ont pas forcément fait le preuve de pertinence…
En outre, comme se faire des nœuds au cerveau n’est pas un gage d’efficacité, la Vision stratégique propose un « chantier de simplification pour toute l’armée de Terre », en « visant la clarté et le pragmatisme dans le fonctionnement local et en faisant « émerger des propositions applicables à tous les échelons. » Le tout reposera sur une « large consultation du personnel militaire et civil ».
Enfin, trois projets portent sur un « entraînement centré sur l’engagement majeur ».
Là, il s’agira « d’approfondir l’approche par les effets », notamment « en adaptant les structures des états-majors opérationnels pour les rendre plus intégrateurs des effets dans les champs physiques et immatériels », d’accroître les capacités d’entraînement pour la haute intensité, avec des « terrains de manœuvre intégrant des polygones en ambiance électromagnétique et cyber contrainte, des secteurs en terrain libre, des espaces aériens et des outils de simulation distribuée », ainsi que de conduire des exercices réels de « niveau division », en insistant sur la « manœuvre multi-milieux dans le cadre d’un conflit majeur. »
Photos : 1/ EMA 2/ armée de Terre