Les manœuvres informationnelles sur la fin de l’accord céréalier en Mer Noire
Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’opération « spéciale » de la Russie a conduit à un blocus des ports ukrainiens sur la mer Noire, causant d’importantes perturbations dans l’approvisionnement mondial en nourriture. En effet, l’Ukraine est un acteur clé dans les exportations mondiales de nourriture, notamment en blé (5ème en 2021), en maïs (3ème en 2021), et en huiles de graines (1ère en 2021).
Les effets du blocus ont initialement été atténués par un accord en juillet 2022 entre la Russie, l’Ukraine, l’ONU et la Turquie, qui a agi en tant que médiateur. Cet accord, connu sous le nom d’accord céréalier en Mer Noire, visait à garantir le passage sûr des exportations alimentaires ukrainiennes via la mer Noire.
Entre juillet 2022 et juillet 2023, l’accord a permis l’exportation ininterrompue de la nourriture ukrainienne :
Source : Statista, Black Sea Grain Initiative
Le 17 juillet 2023, la Russie a mis fin à l’accord à la suite du bombardement du pont de Crimée. Cependant, cette décision n’a probablement que peu de lien avec le bombardement, qui semble être utilisé comme un prétexte. En effet, la Russie avait menacé de mettre fin à l’accord ces dernières semaines, exigeant la levée de plusieurs sanctions affectant l’économie russe comme condition à sa poursuite.
En mettant fin à l’accord, la Russie affecte les importations de certains de ses partenaires stratégiques, la Chine étant le plus important. Malgré le renforcement des liens depuis le début de la guerre, Moscou ne peut se permettre d’antagoniser Pékin pendant une période prolongée, car elle a beaucoup à perdre. La fin de l’accord affecte également les pays occidentaux comme l’Italie et les Pays-Bas.
Source : Statista, Black Sea Grain Initiative
La décision de Poutine peut être interprétée comme un mouvement stratégique visant à exercer une pression sur l’Occident et à faciliter les négociations sur des questions clés, comme la levée de certaines sanctions, en particulier celles imposées à des banques russes comme Rosselkhozbank. Poutine a exigé la semaine dernière la levée des sanctions affectant cette institution en échange de la prolongation de l’accord, une proposition déjà examinée par l’ONU.
Rosselkhozbank, la Banque Agricole Russe, est une entité détenue par l’État qui se concentre sur le secteur agro-industriel russe et a été durement touchée par les sanctions. La levée de ces sanctions, en particulier la réintégration de la banque dans le système SWIFT, permettrait la reprise du commerce des produits alimentaires et des engrais russes et attirerait également des devises étrangères dans le système financier russe.
Un tel afflux de devises étrangères aiderait à soutenir le rouble, qui s’est déprécié d’environ 20% depuis le début de l’année par rapport au dollar.
En conclusion, la décision de Poutine de mettre fin à l’Accord sur les Céréales de la Mer Noire devrait être considérée comme une stratégie potentielle pour influencer les négociations en cours et servir de levier pour contraindre l’Occident à accepter ses conditions concernant la levée de certaines sanctions. Si cette stratégie est couronnée de succès, cela représenterait un nouveau revers pour la stratégie poursuivie par l’Occident.