Mort des maths : Une menace pour la démocratie

Mort des maths : Une menace pour la démocratie

“L’érosion très rapide du niveau de maths de notre pays constitue une menace réelle pour notre démocratie.”
© dpa Picture-Alliance via AFP

Par Philippe ManièreMarianne Cet article est issu du n° 1244 p.59 – Parution le 14 janvier 2021

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Un peuple qui n’a plus la capacité de distinguer les ordres de grandeur ou de faire une règle de trois ne peut pas comprendre les grands enjeux contemporains et s’expose à toutes les manipulations.

Voilà près de trois ans, Luc Ferry et Cédric Villani s’étaient engagés, par plateaux télé interposés, dans une drôle de dispute sur l’utilité réelle des mathématiques dans la vie de tous les jours. Au-delà du distinguo théorique entre argumentation et démonstration qui ressortait de ce débat au sommet, la question n’est pas sans importance opérationnelle pour le pays : confirmant la déculottée annuelle de Pisa, une étude de l’IEA (Association internationale pour l’évaluation de la réussite scolaire) vient de nouveau de montrer l’étendue du naufrage. En 2019, nos élèves de 4e sont, en moyenne, revenus au niveau de connaissance de la 5e de 1995. Et seuls 2 % d’entre eux ont, au niveau international, un niveau « avancé » – 25 fois moins que les petits Singapouriens du même âge ! Est-ce grave ?

”Des cours de “stats” permettent d’apercevoir les bienfaits d’un vaccin – encore faut-il avoir bénéficié des uns pour désirer l’autre.”

La question est généralement abordée du point de vue économique et géopolitique. À juste titre: la France fut longtemps un pays d’excellence scientifique et de performance technologique, il est peu probable que ce qui lui reste de cet avantage comparatif majeur subsiste si ce qui en est l’indispensable base, la compétence mathématique, n’est plus acquis par une part suffisante de sa population. De la Silicon Valley à la City (lieux d’excellence où brillent d’ailleurs nombre de cracks français), en passant par la Corée du Sud, ou même par l’Allemagne et la Suisse, on voit aujourd’hui le bénéfice que tout un pays peut tirer, en puissance économique et en rayonnement international, de cet atout majeur tant qu’il est conservé. Et l’on tremble a contrario pour une France qui s’effacerait complètement de ce paysage.

Très mauvais calcul

Mais il y a une autre raison, plus importante encore si cela est possible, de déplorer la chute de notre niveau de maths : celui-ci a un lien direct avec la capacité civique. Il ne s’agit nullement ici de subordonner le droit de vote à la compréhension des fractales ou de l’intégrale double ! Mais le minimum d’esprit mathématique, principalement au sens du « calcul » d’antan, est indispensable à une participation éclairée au débat public moderne. Si l’on ne maîtrise pas la règle de trois, si l’on ne se figure pas ce que sont des intérêts capitalisés, si l’on ne distingue pas les ordres de grandeur, alors on n’est pas équipé pour comprendre le problème des retraites ni celui de la dette, on se représente mal l’importance du décollage de la Chine, on ne voit pas pourquoi deux années de croissance à 3 % ne compensent pas une récession de 6 %. On passe à côté des grands enjeux contemporains.

Pis : on est vulnérable à toutes les manipulations, et la proie de tous les complotismes.

Quelques heures de statistiques suffisent pour rapporter l’importance d’un fait divers à son caractère significatif ou non, mais beaucoup n’ont pas cette capacité. Les « stats » permettent aussi d’apercevoir les bienfaits d’un vaccin – encore faut-il avoir bénéficié des unes pour désirer l’autre. Un peu d’algèbre suffit à comprendre que si la France réduit moins que d’autres ses émissions de CO2, c’est d’abord parce qu’elle en produit déjà très peu – mais il faut pour cela avoir été familiarisé avec ce qu’est un effet de base. Tout est à l’avenant.

L’érosion très rapide du niveau de maths de notre pays constitue une menace réelle pour notre démocratie.