Pas de durcissement de la préparation opérationnelle sans un effort sur les munitions
Les armées françaises auront besoin de davantage de munitions pour s’entraîner à l’hypothèse d’un engagement majeur. Le besoin n’est pas neuf et se chiffre à plusieurs milliards d’euros pour la seule armée de Terre, révèle un rapport parlementaire sur la préparation opérationnelle réalisé par les députées Brigitte Liso (RE) et Anna Pic (PS).
« Plus de 1500 », c’est le nombre de munitions de 120 et 155 mm tirées par le 35e régiment d’artillerie parachutiste (35e RAP) lors d’un passage par le camp de Canjuers à l’automne dernier. Début décembre, l’exercice franco-koweïtien Pearl of the West conduit par le 5e régiment de cuirassiers nécessitait 42 tonnes de munitions diverses, de l’obus pour char Leclerc aux petits calibres pour armements individuels. Même s’il agrège de nombreux rendez-vous annuels, l’exercice majeur Orion aura pour conséquence d’amoindrir les potentiels en l’espace de quelques semaines.
La problématique est connue et n’épargne personne : le « pivot vers la haute intensité » annoncé par le président de la République lors de ses vœux aux armées, ce sont aussi des stocks de munitions qui s’érodent plus rapidement. Dans les armées, la phase de « réparation » de la préparation opérationnelle s’est achevée l’an dernier. Celle dite de « montée en puissance » démarre cette année « afin de correspondre progressivement aux normes annuelles d’activité de l’OTAN en 2025 ». Des normes qui, dans le cas des pièces de 155 mm, demanderont de pratiquement doubler le niveau actuel de 69 coups tirés en moyenne par pièce et par an.
Si l’armée de Terre bénéficie de stocks d’entraînement, ceux-ci doivent être renforcés « pour donner la possibilité aux militaires de s’entraîner davantage en conditions réelles », soulignent les deux rapporteuses. Quand « certaines catégories de munitions sont au niveau requis », plusieurs références pourtant déjà identifiées lors de précédents rapports restent en effet sous-dotées. Ce sont essentiellement les munitions d’artillerie de 155 mm, les obus d’entraînement du char Leclerc et de l’engin blindé AMX-10 RC ainsi que certaines munitions spéciales parmi les missiles et roquettes. De même, certains pans de l’entraînement ne peuvent être remplacés par la simulation, à l’instar d’un segment antichar au coût élevé.
Cet effort sur les munitions, l’état-major de l’armée de Terre l’évalue à 3 Md€. Soit l’équivalent d’une « marche » financière de fin de LPM 2019-2023 ou une fois et demi l’investissement attendu pour cette année pour l’ensemble du pilier munitionnaire. Derrière l’enveloppe budgétaire, toute remontée en puissance doit désormais aussi tenir compte des tensions sur les matières premières, de l’inflation, de délais qui s’allongent. Et si une prochaine LPM mieux dotée et la bascule vers une économie de guerre tenteront d’y remédier, encore faudra-t-il enrayer cette tendance à faire des munitions l’éternelle variable d’ajustement des exercices budgétaires.
Pour les autrices du rapport, il conviendra ainsi de rester vigilant « à ce que les effets bénéfiques de la dynamique initiée par la LPM actuelle ne soient pas amoindris ou reportés du fait du contexte macroéconomique fortement inflationniste ou de par la nécessité de financer des surcoûts non prévus par la programmation. La préparation opérationnelle ne devra pas servir de variable d’ajustement ».
Le sursaut demandé n’est par ailleurs qu’un pan d’une volonté globale d’amélioration. Rien ne sert de remplir les arsenaux si il n’y a pas, en parallèle, de progression sur la disponibilité des hommes, des matériels et des infrastructures. Autant d’axes pour lesquels des investissements sont programmés. Côté infrastructures et matériels, par exemple, l’armée de Terre s’est ainsi dotée d’un plan baptisé « Amélioration de la Préparation Opérationnelle Globale par les Espaces d’Entraînement » (APOGEE). Échelonné en trois phases, il vise à « mettre en adéquation l’ambition de montée en gamme de la préparation opérationnelle avec la qualité des installations mises à disposition des unités » d’ici à 2035.
Crédits image : 35e RAP