Point de situation des opérations en Ukraine 3 avril 2022
par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 3 avril 2022
https://lavoiedelepee.blogspot.com/
Situation générale
Accélération du repli des forces russes dans le Nord de l’Ukraine et la ville de Kiev est complètement dégagée de toute menace. Maintien des positions russes dans le Sud et poursuite des attaques dans le Donbass avec sans doute l’espoir d’obtenir une victoire avant la célébration du 9 mai.
Situations particulières
Nord
Il semblerait que les Russes aient abandonnés toute idée de menacer Kiev et aient complètement dégagé ses abords. La manœuvre de repli est plutôt bien menée et ne se transforme pas en déroute mais les reliquats des 35e et 36e Armées à l’Ouest de Kiev sont menacés. Les 41e, 2e et 1ère Armées se replient du Nord-Est en bon ordre. C’est à ce jour, la manœuvre russe la mieux coordonnée de la guerre. Pour autant, la fin de la bataille de Kiev marque une victoire majeure pour l’Ukraine.
Le repli s’accompagne de destructions et de nombreux minages destinés à freiner les forces ukrainiennes. Il s’accompagne surtout de témoignages concrets de nombreuses exactions menées par les forces russes dans les zones occupées.
Est
Raid aéromobile par deux Mi-24 P ukrainien au matin du 2 avril sur un dépôt de carburant à Belgorod, à l’intérieur du territoire russe malgré la densité de la défense aérienne. Deux autres frappes par missiles ont déjà été réalisées par les Ukrainiens, sans être revendiquées par les autorités ukrainiennes.
Bombardement de Kharkiv par l’artillerie russe.
Sud-Ouest
Front secondaire où les forces russes réduites en volume sont sur la défensive, face à des troupes ukrainiennes également réduites qui poussent de Mikolayev vers Kherson ou depuis Kryvyi Rhi vers le Sud. Kherson verrouille la zone.
Bombardement d’Odessa par la flotte de la mer Noire.
Donbass
Pression des forces russes sur la Donets à Yzium et Severodonetsk. Après trois semaines de combat la ville d’Yzium a été prise par la 144e Division motorisée (DM) russe le 1er avril. Le génie prépare le franchissement de la rivière Donets, afin de lancer une nouvelle attaque vers Sloviansk à l’intérieur de l’oblast de Donetsk.
La 3e DM poursuit la pression sur la poche de Severodonetsk par l’attaque de Rubizhne, au Nord-Est et l’attaque du 2e Corps d’armée (CA, LNR) sur Popasnaya avec l’espoir de couper l’axe T1302.
La prise de Severodonestk serait une défaite significative pour les forces ukrainiennes, surtout si plusieurs brigades s’y trouvaient piégées, et la province de Louhansk serait complètement conquise.
Le 1er CA (DNR) fait effort sur les sorties Ouest de Donetsk, en particulier en direction de Marinka et Selydove mais sans beaucoup progresser.
La 42e DM à la limite Sud de l’oblast de Donetsk est pour l’instant à l’arrêt. Pas de progression vers Zaporijjia.
Toujours effort de la 150e DM renforcée dans Marioupol. Progression très ralentie mais constante.
Notes
Tentative russe de sortir du blocage par une bascule d’effort de toutes les forces du front Nord vers le Donbass, puis de celle de Marioupol une fois la ville prise probablement vers la limite Sud du Donbass.
Pour être véritablement efficace, il faudrait prendre le temps de reconditionner et recompléter les forces dégagées avant de constituer une masse de manœuvre permettant d’obtenir des rapports de forces suffisants sur certains points clés. Si les Russes parviennent à former des groupements de feux importants – l’artillerie russe a moins souffert du mois de guerre que les troupes de manœuvre – associées à des sorties aériennes plus nombreuses, les GTIA, parfois recomposées en pures unités d’assaut sans appuis, sont plutôt engagés au fur et à mesure de leur arrivée.
Il y a sans doute une forte pression politique pour obtenir une victoire avant la célébration du 9 mai, mais à l’encontre de la logique opérationnelle. Cela peut réussir mais le coût de l’engagement d’unités déjà usées ou mal préparées est très élevé.
Après les ordres stratégiques données aux états-majors opérationnels au dernier moment avant la guerre par peur des fuites, l’engagement « toutes forces réunies » sans aucune réserve opérative, l’obstination à s’emparer de Kiev malgré l’évidence de l’échec du plan initial, la pression politique pour s’emparer au plus vite du Donbass quel que soit le coût est un nouvel indice de dissociation entre les désirs souvent irréalistes de l’échelon politico-stratégique et le commandement sur le terrain.
Rappelons une évidence : la bascule des efforts se fait aussi au profit des forces ukrainiennes qui bénéficient de l’avantage des lignes intérieures, et ce malgré la supériorité aérienne russe. Plusieurs brigades ukrainiennes de l’Ouest ou du Nord, peuvent venir renforcer ou relever les brigades sur la ligne de contact du Donbass. Chaque jour qui passe permet également la transformation des localités de la région en bastions urbains en particulier le complexe Sloviansk-Kramatorsk.
L’annonce de l’envoi aux forces ukrainiennes de missiles sol-air très courte portée (SATCP) Starstreak à visée laser et de drones-rodeurs Witchblade représente un saut qualitatif dans l’armement léger fourni. Tout aussi importante, sinon plus, est la décision d’engager des équipements lourds, en particulier des pièces d’artillerie (et les obus correspondants), le point faible de l’armée régulière ukrainienne, mais aussi peut-être des missiles anti-aériens S300, selon sans doute une manœuvre de « roque » (envoi d’équipements ex-soviétiques par des pays Est Européens, remplacés par des équipements américains).
La « manœuvre d’équipements » consistant à transférer très vite à un allié (mais aussi à une force nationale mobilisée) des équipements, plus la logistique et l’apprentissage qui vont avec, est une manœuvre en soi, qui implique au moins des stocks, des processus de production industrielles réactifs, et des équipes de formation, bref une organisation préalable. Cette organisation n’existe pas en France. Il serait bon de l’inventer.