Pour le général [2S] Charles Beaudouin, l’armée de Terre a besoin d’une « force Leclerc plus importante »

Pour le général [2S] Charles Beaudouin, l’armée de Terre a besoin d’une « force Leclerc plus importante »

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Ayant occupé le poste « stratégique » de sous-chef d’état-major « plans et programmes » de l’armée de Terre avant ses adieux aux armes, en 2020, le général [2S] Charles Beaudouin assure désormais la présidence de Coge Events ainsi que la fonction de commissaire général du salon d’EuroSatory. Aussi est-il un observateur averti des tendances et des évolutions en matière d’armement terrestre.

Sollicité par La Tribune pour faire le bilan de l’édition 2024 d’EuroSatory, le général Beaudouin a dressé un constat sévère sur l’état de l’armée de Terre qui, « en trente ans continus d’engagement en opérations extérieures, est passée insensiblement mais inéluctablement d’un corps blindé mécanisé au spectre complet à un corps expéditionnaire légèrement blindé à roue, à la mobilité très opérative ».

Évidemment, les fameux « dividendes de la paix » évoqués après la fin de la Guerre froide ne sont pas étrangers à cette évolution, l’armée de Terre ayant dû faire « des impasses capacitaires majeures », au point de devenir « échantillonnaire », a déploré le général Beaudouin. Ce qui, a-t-il continué, n’est pas sans conséquence sur le stock de munitions et la préparation opérationnelle qui, selon lui, s’est « effondrée ».

«A Lorsque j’étais lieutenant en 1988, […] face au Pacte de Varsovie, nous manœuvrions 150 heures par an avec nos AMX-30B2 et tirions une cinquantaine d’obus. Aujourd’hui, nos équipages d’engagés réalisent 60 heures de Leclerc et tirent une vingtaine d’obus par an. On peut parler de simulation pour remplacer ce manque, mais nous avions déjà la simulation à l’époque », a-t-il rappelé. Et d’ajouter : « Certes, nos soldats sont aptes à la rusticité et expérimentés mais la masse en hommes, en matériels, surtout sur le haut du spectre, et l’entrainement à haut niveau manquent ».

Entre 1990 et 2017, les armées ont perdu « une à deux annuités d’un effort déjà insuffisant [c’est-à-dire inférieur aux 2 % du PIB], prélevées au profit d’autres budgets de l’État », a poursuivi le général Beaudouin. Aussi, selon lui, et à cause de cette contrainte budgétaire, l’armée de Terre « n’a eu d’autre alternative que de devenir une armée d’emploi en combat asymétrique » et si, « facialement », elle est une « armée de haute intensité », elle « n’en a que le squelette » étant donné qu’on « lui a enlevé une grande partie de ses muscles ».

Or, actuellement, l’armée de Terre « n’est pas taillée en termes de caractéristiques militaires, d’entraînement des forces, d’évacuation des blessés et de complétude pour affronter, dans une action centrale, le combat de haute intensité », a jugé le général Beaudouin, qui a cependant adouci son constat en rappelant que « l’armée française interviendra en coalition » et que « l’ultima ratio du président restera toujours le nucléaire si véritablement la France est acculée à certaines situations ».

Sans aller jusqu’à remettre en cause le programme SCORPION, dont il a été un promoteur, le général Beaudouin considère que les Griffon, Serval et autres Jaguar auraient toute leur place dans un conflit de haute intensité… mais qu’ils ne pourraient pas « encaisser le choc central », comme cela fut le cas pour les VAB [véhicules de l’avant blindé] et les AMX-10RC lors de l’opération Tempête du Désert, menée en Irak, en 1991.

« Ce ne sont ni des chars ni des véhicules de combat d’infanterie. De surcroît leur conception à roue limite leur aptitude à être surblindés et à évoluer avec une mobilité tactique pleine et entière dans l’environnement d’un théâtre d’opération centre européen où la chenille est reine. Le choc sera concentré sur les [chars] Leclerc et les VBCI [Véhicules Blindés de Combat d’Infanterie] », a-t-il fait valoir. Aussi recommande-t-il de « reconstruire une force Leclerc plus importante à partir des chars retirés du service et ‘upgrader’ [mettre à niveau, ndlr] le VBCI ». Sauf que, s’agissant des Leclerc, on n’en prend pas le chemin…

Pour rappel, l’armée de Terre compte 200 chars Leclerc. Selon le dossier de presse sur EuroSatory 2024 publié par le ministère des Armées, 130 [au lieu de 160] seront portés au nouveau standard XLR d’ici 2030 et 40 autres le seront avant 2035.

Seulement, pour que l’armée de Terre puisse faire cette transformation, il faudrait consentir un effort budgétaire supplémentaire… qui n’est pas d’actualité au regard de l’état des finances publiques. D’autant plus que d’autres priorités doivent être financées [dissuasion, nouveaux champs de conflictualité, etc.]. Un autre obstacle identifié par le général Beaudouin serait la réticence à s’écarter du modèle tel qu’il a été défini.

« L’armée de Terre n’a pas de système de supériorité unique. Elle fonctionne par combinaison des effets et génération de forces en fonction de la nature du conflit. Or certains effets ont été réduits aux acquêts. Trente ans de corps expéditionnaire impriment les mentalités à tous les échelons. […] Il faut changer d’état d’esprit et prendre résolument le virage du retour, équilibré, à un corps blindé mécanisé complet. Même si l’action sera très longue », a-t-il conclu.